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Cadernos de Pesquisa

versión impresa ISSN 0100-1574versión On-line ISSN 1980-5314

Cad. Pesqui. vol.46 no.160 São Paulo abr./jun. 2016  Epub 01-Abr-2016

https://doi.org/10.1590/198053143624 

Articles

Représentations liées aux catégories de sexe chez les enfants en contexte scolaire

Christine Morin-Messabel

Séverine Ferrière

Aurélie Lainé

Yoan Mieyaa

Véronique Rouyer

IUniversité Lyon 2, Bron, France; christine.morin-messabel@univ-lyon2.fr

IIUniversité de Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Nouvelle-Calédonie, France; severine.ferriere@univ-nc.nc

IIIUniversité de Nantes, Nantes, France; aurelie.laine@univ-nantes.fr

IVUniversité Toulouse Jean Jaurès, Toulouse, France; mieyaa@univ-tlse2.fr

VUniversité de Bordeaux, Bordeaux, France; veronique.rouyer@u-bordeaux.fr


Résumé

En France, la question de l'éducation à l'égalité filles/garçons à l'école et la lutte contre les inégalités entre les catégories de sexe est une question vive et cette recherche est à contextualiser au regard de la lutte contre les stéréotypes en contexte scolaire. Nous nous intéressons aux connaissances que les enfants développent, au cours de la petite enfance et de l'enfance, au sujet des jouets, perçus ici comme médias de la socialisation de genre. Les résultats indiquent une connaissance précoce des stéréotypes associés à certains jouets mais aussi des variations selon le type de jouet et l'âge des enfants. Les expériences de socialisation en contexte scolaire peuvent fournir, de par l'action des enseignants à travers les interactions pédagogiques et les supports ludiques, des expériences plus hétérogènes.

Mots-clés Contexte Scolaire; Jouets; Stéréotypes; Enfant

RESUMO

Na França, a questão da educação para a igualdade entre meninas e meninos na escola e da luta contra as desigualdades entre as categorias de sexo é muito presente, e esta pesquisa deve ser contextualizada tendo em vista o combate aos estereótipos no contexto escolar. Nosso interesse são os conhecimentos que as crianças desenvolvem, ao longo da primeira infância e da infância, a respeito dos brinquedos, vistos aqui como meios de socialização de gênero. Os resultados indicam um conhecimento precoce dos estereótipos associados a certos brinquedos, mas também variações segundo o tipo de brinquedo e a idade das crianças. As experiências de socialização no contexto escolar podem fornecer, por intermédio da ação dos professores através de interações pedagógicas e suportes lúdicos, experiências mais heterogêneas.

Palavras-Chave: Contexto Escolar; Brinquedos; Estereótipos Sexuais; Criança

ABSTRACT

In France, the issue of equal education for boys and girls and the struggle against inequalities based on gender categories is very present. This research should be contextualized with a view to fighting stereotypes in the school setting. Our interest is the knowledge that children develop throughout infancy and childhood regarding toys, seen here as a means of gender socialization. The results indicate an early knowledge of the stereotypes associated with certain toys, but also variations according to the type of toy and the age of the children. The experiences of socialization in the school setting can provide, by the intervention of teachers through educational interaction and ludic support, more heterogeneous experiences.

Key words: School Context; Toys; Sexual Stereotypes; Child

RESUMEN

En Francia, el tema de la educación para la igualdad entre niñas y niños en la escuela, así como el de la lucha contra las desigualdades entre las categorías de sexo está muy presente, y hay que contextualizar esta investigación teniendo en cuenta el combate a los estereotipos en el ámbito escolar. Nuestro interés son los conocimientos que desarrollan los niños, a lo largo de la primera infancia y la infancia, sobre los juguetes, vistos aquí como medios de socialización de género. Los resultados indican un conocimiento temprano de los estereotipos asociados a determinados juguetes, así como variaciones según el tipo de juguete y la edad de los niños. Las experiencias de socialización en el ámbito escolar pueden ofrecer, por intermedio de la acción de los profesores a través de interacciones pedagógicas y soportes lúdicos, experiencias más heterogéneas.

Palabras-clave: Ámbito Escolar; Juguetes; Estereotipos Sexuales; Niño

Contextualisation et enjeux éducatifs

En France, la question de l'éducation à l'égalité filles/garçons à l'école a été réactivée récemment par la publication d'une nouvelle convention interministérielle visant à appuyer des actions dans le domaine de l'éducation et de la formation des enseignant.e.s.6 Dans le Bulletin Officiel de l'Education Nationale qui en résulte, la question des stéréotypes est présentée comme centrale dans l'analyse des dynamiques inégalitaires entre les enfants:

[...] les stéréotypes constituent des barrières à la réalisation des choix individuels tant des femmes que des hommes. Ils contribuent à la persistance des inégalités en influant sur les choix des filières d'éducation, de formation et d'emploi, sur la participation aux tâches domestiques et familiales et sur la représentation aux postes décisionnels. (BULLETIN OFFICIEL DE L'EDUCATION NATIONALE, 2013)

Ces orientations et politiques éducatives s'appuient sur les valeurs émancipatrices de l'école qui compte parmi ses missions fondamentales: "celle de garantir l'égalité des chances des filles et des garçons" (PORTAIL EDUSCOL, 2015). En effet, le contexte scolaire est un lieu de socialisation, d'acquisitions de connaissances, ayant pour finalités l'insertion sociale et professionnelle des élèves. Malgré cette mission égalitaire, il est important d'analyser plus spécifiquement ce contexte de socialisation qui façonne aussi " la caractérisation du genre " (cf. MATLIN, 2007) de par ses caractéristiques (contexte de comparaison sociale et à fort enjeu) et ses acteurs (enseignant.e.s, pairs). En effet, de nombreux travaux montrent le rôle que l'école joue dans la constitution des inégalités entre les sexes. De par les différences qu'elle opère dans les interactions sociales et pédagogiques avec les élèves filles et garçons, l'école tend à introduire une hiérarchisation entre les sexes et ainsi reproduire les inégalités véhiculées par les rapports sociaux de sexe (MOSCONI, 2001, 2004; DURU-BELLAT, 2008; MIEYAA; ROUYER; LE BLANC, 2012). Des recherches menées dans le champ de la psychologie sociale et dans le champ de la psychologie du développement soulignent, par exemple, l'importance des représentations des enseignants vis-à-vis des compétences supposées des élèves filles et garçons (MIEYAA, 2012; MORIN-MESSABEL; FERRIÈRRE; SALLE, 2012) sur les perceptions des disciplines scolaires (DUTRÉVIS; TOCZEK, 2007) ou sur les décisions d'orientation (MANGARD; CHANNOUF, 2007, VOUILLOT, 2007).

Notre recherche est à contextualiser au regard de ces recommandations de lutte contre les stéréotypes dans le champ scolaire et vise à approfondir les " connaissances sociales " des élèves. Dans notre cas, nous nous intéressons ici plus particulièrement aux connaissances que les enfants développent, au cours de la petite enfance et de l'enfance, au sujet des jouets, perçus ici comme médias de la socialisation de genre. Notre posture, théorique et méthodologique, est de prendre en considération les aspects sociaux et développementaux, indissociables dans l'analyse des stéréotypes de sexe en contexte scolaire. L'étude de ces phénomènes de différenciation et de catégorisation en contexte exige en effet l'adoption d'une posture interactionniste (ROUYER; TROUPEL-CRÉMEL, 2013). Ainsi, l'approche développementale permet de se placer au plus près de l'enfant dans l'étude de ses connaissances et de son adhésion aux stéréotypes de sexe, en prenant en compte à travers son point de vue le rôle des facteurs liés à la maturation cognitive, à la signification de ses conduites, et à ses ancrages dans ses milieux de vie. L'approche psychosociale permet, quant à elle, de contextualiser les dynamiques de variations des contenus stéréotypés dans les enjeux qu'ils portent en termes de groupes et de rapports sociaux entre groupes de sexe.

Outils de socialisation, les supports ludiques permettent, dès la petite enfance, de développer diverses compétences, motrices, cognitives et sociales, mais aussi de faire l'apprentissage des normes et des valeurs véhiculées par la société. Ainsi, les jouets deviennent rapidement un support essentiel au développement des enfants et l'un des média privilégiés par lesquels les enfants apprennent et font l'expérience des rôles sociaux de sexe (ROUYER, 2007). Ainsi, au côté de la famille, l'école maternelle, de par les interactions sociales et les activités ludiques et pédagogiques qu'elle propose, constitue un lieu de socialisation central dans la construction des inégalités entre les filles et les garçons (MIEYAA, 2012; MIEYAA; ROUYER; LE BLANC, 2012; MIEYAA; ROUYER, 2015).

Les recherches dans le domaine des jouets, tendent à démontrer que les évolutions dans le domaine des stéréotypes de sexe sont faibles du point de vue des supports (ZEGAÏ, 2010), même si l'on note toutefois des évolutions dans le discours sociétal, marketing, comme dans celui des parents.

Cependant, peu de travaux examinent les représentations des enfants d'âge scolaire (CHERNEY; DEMPSEY, 2010; ROUYER; ROBERT, 2010). Dans l'objectif de penser des pratiques pédagogiques plus égalitaires, il nous semble nécessaire d'examiner le point de vue des enfants sur leurs catégorisations sexuées de jouets, et ce, en contexte scolaire. En effet, les " normes de genre " peuvent être variables. Ainsi, les stéréotypes qui se manifestent, par exemple, à travers les préférences/assignations au niveau des jouets peuvent varier selon l'âge des enfants en contexte scolaire. Cette étude contextualisée a aussi pour objectif d'apporter des éléments de réflexion auprès d'enseignant.e.s en formation.

Les jouets : objets de socialisation et de catégorisation de sexe

Du côté des adultes : transmissions, représentations et interactions

Nombre d'études ont montré l'importance du choix de jouets par les adultes. Au-delà de la transmission des normes et valeurs en vigueur dans la société et de l'acquisition spécifique de compétences motrices, affectives et cognitives essentielles, les jouets transmettent également de nombreux stéréotypes de sexe reproduisant ainsi un ordre social (VINCENT, 2001; ZEGAÏ, 2010). En 1985, Tap s'était intéressé à ces classifications sexuées des jouets par des adultes. La consigne de as recherche était de classer 38 photos de jouets selon trois critères : jouets masculins, jouets féminins ou jouets mixtes. Les jouets masculins étaient, entre autres, un tambour, un camion, un voilier; les jouets féminins, une poupée, une dinette, une coiffeuse; quant aux jouets mixtes, ils rassemblaient une peluche, un jeu de dame, un tricycle, un ballon, un téléphone. Vingt ans plus tard, Blakemore et Centers (2005) ont mené une étude auprès de 292 étudiant.e.s de Licence. Ces étudiant.e.s ont évalué 126 jouets en les catégorisant soit comme jouets de filles, de garçons ou pour les deux sexes (mixte). Cinq catégories de jouets ont été établies : fortement masculin, modérément masculin, neutre, modérément féminin et fortement féminin. Les poupées, les jouets en lien avec les activités domestiques ont systématiquement été considérés comme étant pour les filles; les jouets type armes, véhicules et figurines " guerrières " pour des garçons. Quelques jouets classiquement jugés comme étant " pour les garçons " (par exemple, des jouets scientifiques, des Lego, des cubes, des véhicules) ont été évalués dans cette recherche comme neutres. Les jouets évalués comme éducatifs et associés au développement de l'enfant du point de vue physique, cognitif, artistique étaient typiquement évalués comme neutres ou modérément masculins. Ces résultats indiquent que les jouets fortement sex-typés semblent moins désirables dans le domaine du développement que des jouets neutres ou modérément sex-typés. Lorsque l'on interroge des parents, cette fois-ci, sur les jouets préférés de leurs enfants âgés de 3 à 5 ans, ces derniers citent des jouets orientés vers la technologie et l'action pour les garçons, et vers les soins, le " care " pour les filles (FRANCIS, 2010). De nombreuses études, dont celle de Campenni (1999), montrent que le comportement des parents, une fois les jouets offerts aux enfants, conforte et renforce ces stéréotypes, par un système de transmission de connaissances et de croyances. Ils jouent plus fréquemment et plus longtemps avec leurs enfants, lorsqu'il s'agit de jouets jugés conformes au sexe de leur enfant. Ils mettent également en œuvre plus ou moins consciemment tout un registre de renforcements positifs ou négatifs en fonction de l'adéquation entre la nature du jouet et le sexe de l'enfant.

Cependant, une étude menée par Weisner et Wilson-Mitchell (1990) montre que des enfants ayant des parents avec des valeurs égalitaires - se traduisant par des attitudes moins stéréotypées envers les objets dont les jouets - ont eux-mêmes des représentations des objets et des occupations moins stéréotypées. Ce type d'étude précise le lien d'interaction entre attitudes pro-égalitaristes des parents et attitudes et comportements des enfants vis-à-vis d'éléments " genrés " dans l'environnement. Mais surtout elle souligne en quoi le contexte éducatif peut modifier des connaissances, croyances et/ou comportements stéréotypés.

Du côté des enfants

Les enfants, dès leur plus jeune âge, à travers différents processus psychologiques (sentiment d'appartenance à un groupe de sexe, élaboration des schémas de genre, ségrégation sexuée, etc.) accordent une importance croissante à la question de l'appartenance à un groupe de sexe (ROUYER; MIEYAA; LE BLANC, 2014). Motivés par des enjeux identitaires certains, ils vont ainsi progressivement dichotomiser leur environnement (matériel comme social) à travers le filtre du genre. Dans ce cadre, les jouets n'échappent pas à la règle; du point de vue des enfants cela apparaît de manière saillante, il existe des jouets pour les filles et des jouets pour les garçons. Les études montrent d'ailleurs que les jeunes enfants ont tendance à utiliser les couleurs comme indice de catégorisation de jouets (CHERNEY; DEMPSEY, 2010), mais ils utilisent également, dans le cadre de certaines situations expérimentales, la couleur des vêtements pour identifier le sexe biologique d'un autre enfant (PICARIELLO; GREENBERG; PILLEMER, 1990).

Toutefois, une certaine souplesse peut apparaître, des leviers d'action semblent exister et permettre aux enfants de se montrer plus flexibles vis-à-vis de ces normes de genre. Dans le contexte scolaire, Goble et al. (2012) ont pu observer chez des enfants entre 3 et 5 ans, que les filles jouent avec des jouets " sex-typés ", mais qu'elles vont jouer à des jouets associés aux garçons lorsqu'elles sont en groupe mixte. Ce comportement en situation de mixité peut être aussi analysé au regard de la valorisation du pôle masculin, notamment si ce comportement n'est pas observé chez les garçons. Ces auteur.es observent également que les garçons vont jouer avec des jouets associés au féminin lors d'interactions avec des enseignant.e.s. Ces observations illustrent bien que précisément, dans la sphère ludique, les préférences ne sont pas toujours binaires et dichotomiques. En contexte d'interactions sociales, et lorsque l'on propose un éventail plus large d'activités et donc de jouets, même si les dynamiques de domination entre les groupes de sexe ne sont pas forcément gommées, filles et garçons optent pour des comportements moins rigides, plus flexibles favorisant des expériences positives. Les conditions de mixité et les pratiques pédagogiques des enseignant.e.s sont des facteurs susceptibles de moduler ces comportements sex-typés. D'autres facteurs peuvent être des éléments de variation de cette dichotomie : en effet, la couleur est un des indices le plus fréquemment utilisé pour l'assignation de genre des jouets (CHERNEY; DEMPSEY, 2010). Et enfin, tous les jouets ne sont pas forcément affectés à un sexe mais peuvent être considérés comme mixtes. Toutefois, si dans ces contextes de mixité ou de réduction d'indices de stéréotypie les observations tendent à montrer une plus grande flexibilité des enfants lorsqu'ils sortent de cet " entre-soi ", la question de l'adhésion et celle de la catégorisation des normes de genre ne peuvent évacuer in extenso les processus à l'œuvre de manière plus globale dans la reproduction des rapports sociaux de sexe.

Connaissance et développement des stéréotypes associés aux deux catégories de sexe chez les enfants

Très tôt, les enfants vont développer des préférences liées aux stéréotypes de sexe dans le domaine ludique. Comme le précisent Cherney, Harper et Winter : " l'interaction avec des jouets peut être considérée comme un aspect important de la socialisation des enfants et du développement cognitif pendant la petite enfance " (2006, p. 267). La majeure partie des recherches s'accorde pour fixer les prémices de cette différenciation genrée par les enfants vers 2 ans, pour ensuite poursuivre un cheminement plus ou moins identique selon les champs théoriques (cf. ROUYER, 2007). Si l'on reprend la revue de la littérature de Martin, Ruble et Szkrybalo (2002), on distingue dans le champ cognitif deux perspectives: l'approche cognitivo-développementale et la théorie du schéma de genre. La méta-analyse proposée par Signorella, Bigler et Liben (1993) au sujet du développement du " schéma de genre ", retrace l'évolution de l'acquisition des stéréotypes genrés chez les enfants de 3 à 10 ans, et met en évidence une augmentation d'une rigidité vis-à-vis des normes de genre jusqu'à l'âge de 7 ans suivie par une période de relative flexibilité à l'égard des stéréotypes genrés. Le schéma de genre, permet l'organisation et la catégorisation des informations liées au genre (BEM, 1981; MARTIN; HALVERSON, 1981). Comme le résument Le Maner-Idrissi et Renault:

Cette structure cognitive interviendrait pour organiser et mémoriser les informations relatives aux comportements spécifiques de l'un et l'autre sexe à partir desquelles le sujet va pouvoir effectuer des généralisations. Par ailleurs, le schéma fournirait une base d'inférences et d'interprétations permettant de compléter une information ambiguë, de guider l'enfant dans la compréhension, la structuration du monde environnant, la sélection d'indices et le stockage des informations ultérieures. (2006, p. 252)

Dès 16/18 mois les garçons et les filles commencent à adhérer aux rôles de sexe, et se dirigent vers des jouets sex-typés (CHERNEY et al., 2006; LE MANER-IDRISSI; LEVEQUE; MASSA, 2002). A l'âge de 2 ans, on observe des différences fille/garçon, celles-ci développent à cet âge un schéma de genre plus détaillé que les garçons. Autrement dit, elles ont plus de connaissances concernant les catégories sexuées. Ensuite, vers 3 ans, on observe que les filles vont plus se diriger que les garçons vers des objets contre-stéréotypés (LE MANER-IDRISSI; RENAULT, 2006). Puis vers 4/5 ans, chez les filles comme chez les garçons, on observe un rejet par les enfants des jouets estimés " attrayants ", s'ils sont considérés comme appartenant à l'autre sexe : indépendamment de l'attrait de jouet, les enfants ont tendance à éviter les jouets qui ont été étiquetés comme étant pour l'autre sexe.

D'autres études indiquent que garçons comme filles âgés de 4 ans ont tendance à s'approprier les jouets " neutres " (ROUYER; ROBERT, 2010; TAP, 1985) et que les jouets " nouveaux " et non associés à un sexe (neutre) sont accaparés par les garçons (enfants de 2 à 5 ans) (CHERNEY et al., 2006). Cette dernière recherche portait particulièrement sur le raisonnement des enfants concernant des photos de jouets neutres et ambigus. Les enfants ont eu tendance à les classer en " jouets pour garçons " et non en " jouets pour filles ". En termes développementaux, l'attribution des jouets neutres à son propre sexe émane de l'égocentrisme intellectuel des enfants (CHERNEY et al., 2006; TAP, 1985), ou encore du coût cognitif engendré par des catégorisations complexes. Vers 6/7 ans, on observe que les filles vont jouer avec des jouets de garçons, mais pas l'inverse, ce qui peut être interprété comme l'intégration par les garçons et les filles d'une " asymétrie cognitive et sociale " des groupes de sexe, avec comme point de référence la catégorie masculine (HURTIG; PICHEVIN, 1986). Ces connaissances et catégories liées au genre sont particulièrement rigides entre 5 et 7 ans, puis on observe une certaine flexibilité, qui augmente durant l'enfance (TRAUTNER et al., 2005). Une piste explicative, au-delà de l'aspect cognitivo-développemental, est en lien avec " l'exposition " et la possibilité de se familiariser à des jouets différents (sous l'influence par exemple de la fratrie, des ami-e-s ou des personnels éducatifs). Une autre explication renvoie aux progrès cognitifs liés à l'acquisition de la constance de genre, c'est-à-dire la compréhension cognitive de la stabilité de leur appartenance à un groupe de sexe en fonction des temporalités et des contextes (DAFFLON-NOVELLE, 2010; RUBLE et al., 2007). D'autres changements apparaissent : l'acceptation rigide des stéréotypes entendue comme moralement juste commence à décliner (TRAUTNER et al., 2005) et l'enfant va progressivement comprendre que les normes liées au genre sont socialement définis (CARTER; PATTERSON, 1982) et reconnaître les variations de masculinité et de féminité chez les individus, ainsi que les similitudes entre les deux groupes de sexe.

Cadre de la recherche

Contexte de la recherche

Dans le cadre de cette recherche nous avons étudié les catégorisations de jouets auprès d'élèves à partir de la grande section de maternelle jusqu'en CM2. Au cours de cette période développementale propice à l'émergence de représentations des rôles de sexe pour les enfants, ces derniers vont progressivement passer par des phases de découverte, de compréhension, d'adhésion et d'appropriation plus ou moins marquées par les stéréotypes de sexe. Ces différentes phases font de celle-ci une période cruciale dans le développement des enfants mais également de fait une période privilégiée dans l'étude des connaissances et de l'adhésion des enfants aux normes de genre, que ce soit en psychologie ou en sociologie de l'enfance. Cette étude concerne plus particulièrement des mesures des connaissances liées aux stéréotypes de sexe. En effet, Zosuls et al. (2012) précisent que ces stéréotypes recouvrent, selon les études, des mesures différentes : dans certains cas des croyances stéréotypées personnelles, des connaissances des stéréotypes culturels, des jugements stéréotypés, ou encore l'adoption de comportements conformes aux stéréotypes. Ces auteur.e.s précisent que ces distinctions sont importantes car les croyances personnelles de l'enfant liées à des " stéréotypes de sexe " peuvent ne pas toujours être conformes à sa connaissance des stéréotypes culturels. L'application du terme général " stéréotypes de sexe " sans indication explicite du fait que l'on mesure soit des croyances ou des connaissances ou bien des comportements pose problème.

La recherche que nous proposons s'inscrit dans le prolongement de deux études (CHERNEY; HARPER; WINTER, 2006; ROUYER; ROBERT, 2010) qui ont examiné d'une part, les réponses que donnent les enfants lorsqu'ils doivent classifier des images de jouets (masculins, féminins, neutres) et d'autre part, les justifications que donnent les enfants. Nous avons choisi d'adopter cette même démarche, et ainsi questionner la classification de certains jouets en ouvrant sur une population plus large (jusqu'à 11 ans).

Notre étude a donc pour objet d'amener des élèves à catégoriser 12 jouets divisés en 4 catégories : jouets associés au masculin, jouets associés au féminin, jouets éducatifs et jouets " ambigus ". Nous voulons ainsi vérifier si les catégorisations des jouets des élèves varient en fonction de leur âge entre la dernière année de préscolarisation et la dernière année d'école primaire de 5 ans (grande section, dernière année de l'école maternelle) à 10 ans (CM2, dernière année de l'école primaire) et vérifier également si la catégorisation des jouets éducatifs et ambigus est associée à la flexibilité ou au contraire associée par les enfants à leur propre groupe de sexe. Au regard de la littérature, nous attendons des catégorisations stéréotypées pour les jouets fortement associés au masculin ou au féminin. En revanche, les jouets éducatifs et faiblement sex-typés seraient plus associés à la catégorisation mixte.

La population observée et matériel

149 élèves issus d'une école présentant une forte mixité sociale d'une grande ville française ont participé à l'étude. Une approche transversale a été choisie, les répartitions du niveau scolaire et du sexe des élèves sont présentées dans le tableau 1 ci-dessous.

Tableau 1 Répartition des participants selon le niveau scolaire et le sexe 

Afin que les choix opérés soient représentatifs de la société actuelle, douze jouets ont été sélectionnés à partir de catalogues d'enseignes de la grande distribution au moment des fêtes de Noël. Quatre catégories de jouets ont été constituées, selon la présentation qui en est faite majoritairement dans les catalogues de jouets de grande surface et de magasin spécialisé en France:

  • des jouets présentés comme étant plutôt à destination des filles (poupée, cuisinière et coiffeuse);

  • des jouets présentés comme étant plutôt à destination des garçons (château fort, camion de police et mallette à outil);

  • des jouets éducatifs (puzzles de lettres, puzzles de chiffres et ordinateur);

  • des jouets " ambigus " : ce type de jouets est en effet tantôt présenté avec une fille, tantôt avec un garçon dans les catalogues de jouets que nous avons consultés (mallette médicale, microscope et planchettes de construction en bois). Ces jouets sont aussi classifiés dans les catalogues parfois dans les pages " garçons " (pour les planchettes de construction en bois) et mixte ou non pour la mallette médicale. C'est la raison pour laquelle nous utilisons la terminologie " ambigu ".

Un tableau à double entrée a ensuite été créé avec les jouets présentés en ligne et l'attribution de genre ou mixte présenté en colonne. Ce tableau était donc constitué de 12 lignes (une par jouet) et 3 colonnes. Trois icônes ont été élaborées pour figurer les en-têtes des colonnes, une représentant une fille seule, une autre représentant un garçon seul et, pour représenter la mixité, la troisième icône élaborée représentait une fille avec un garçon. Les photos des jouets ont été imprimées en noir et blanc, afin de désamorcer l'éventuel effet chromatique, qui peut influencer les choix des enfants et également en vue d'homogénéiser les jouets présentés. L'ordre de présentation des jouets a été tiré au sort et maintenu fixe pour tous les élèves. En revanche, l'ordre des icônes a été contrebalancé, les en-têtes de colonne commençaient soit par une fille versus un garçon versus les deux personnages.

Les enseignants transmettaient les consignes simples, adaptées au niveau des enfants, pour cocher les colonnes correspondant aux jouets. Les passations ont été collectives et ont duré approximativement une dizaine de minutes. Pour vérifier si la consigne était claire, nous avons demandé à des élèves de reformuler celle-ci. Pour les six classes, la passation s'est faite, pour les élèves de l'élémentaire, à des moments de plus grande disponibilité, l'après-midi, les enseignant.e.s ayant rendu ces plages horaires disponibles. Pour les plus jeunes (GS), la passation a été faite en matinée et en petits groupes d'ateliers pour des raisons évidentes de difficulté de consignes sur des tableaux à double entrée. Concernant la justification auprès des enfants, cette recherche a été intégré, pour les plus jeunes (GS) dans l'activité journalière d'ateliers. Pour les plus grands (école élémentaire), cette recherche a été intégré dans les activités de discussion/débat/travail de l'oral. Il y a eu après une discussion sur l'objet de la recherche.

Présentation et analyse des résultats

Conformément à nos hypothèses, nous examinerons dans un premier temps l'évolution et les variations des réponses avec l'avancée en âge de manière globale. Dans un second temps, nous examinerons les classifications opérées par les filles et les garçons pour chacune des 4 catégories de jouets proposées.

Notre variable dépendante présente trois modalités (féminin, masculin et mixte). La variable étudiée étant de nature nominale, nous utiliserons le test du Khi² de Pearson pour observer les fréquences d'apparition des différents types de réponses fournies par les élèves. Le détail de l'ensemble des classifications opérées selon le niveau scolaire et le sexe des participants figure en Tableau 1.

Nous avons examiné le nombre de réponses sex-typées (affectation des jouets à un groupe de sexe) par rapport au nombre de réponses mixtes données par les enfants, quel que soit le type de jouet et ce, en fonction de l'âge. Les données figurent dans le Tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2 Nombre et proportion (en %) de réponses sex-typées et mixtes pour chaque niveau scolaire 

Ceux sont les enfants de 5-6 ans qui présentent significativement une différence entre les deux catégories de réponses. En effet, à ce niveau scolaire, on observe que le nombre de réponses catégorisantes " pour les filles " ou " pour les garçons " est plus important que le nombre de réponses mixtes (Khi² (ddl 1) = 11,73; p = .0006). Pour les autres niveaux de classe, les répartitions des attributions sex-typées et mixtes ne diffèrent pas significativement, comme indiqué dans le Tableau 2 ci-dessus.

Nous examinerons successivement les classifications opérées pour les jouets masculins, féminins, éducatifs et ambigus. Pour chacune des catégories de jouets, nous examinerons les effets de l'âge et du sexe des participants.

Classification des jouets masculins

Les jouets : voiture de police, mallette à outils et château fort sont massivement considérés comme affectés aux garçons. En effet, âge et sexe des participants confondus, nous obtenons 90,1% de classifications pour les garçons (soit 402 classifications sur les 444 obtenues7) et 9,9% de classifications mixtes (soit 42 classifications; khi² (ddl1) = 174,89; p = 0001).

Précisément, ces jouets stéréotypés masculins sont considérés comme étant des jouets de garçon pour 96,5% des réponses sex-typées (388 réponses pour le genre masculin et 14 pour le genre féminin : Khi² (ddl1) = 222,02; p = .0001). Ce résultat s'observe à tous les niveaux d'âge, pour les filles comme pour les garçons.

Classification des jouets féminins

Comme pour les jouets stéréotypés masculins, les jouets stéréotypés féminins (coiffeuse, cuisinière et poupée) sont massivement catégorisés comme non mixtes : sur les 445 classifications opérées par les élèves, 396 d'entre elles sont sex-typées (soit 88,99% des réponses) alors que l'on recense 49 classifications mixtes (soit 11,01% des réponses : Khi² (ddl1) = 159,43; p = .0001).

Le détail des classifications révèle que c'est massivement aux filles que sont attribuées les jouets stéréotypés féminins (381 des 396 réponses sex-typées sont associées aux filles contre 15 associées aux garçons : khi² (ddl 1) = 215,06; p = .0001).

Ce résultat se retrouve également à tous les niveaux scolaires, pour les filles comme pour les garçons.

Classification des jouets éducatifs

Les jouets éducatifs (ordinateur, puzzle de lettres et puzzle de chiffres) sont quant à eux globalement considérés comme étant mixtes. En effet, sur les 446 attributions des élèves, 379 sont mixtes et 67 sont sex-typées (35 associées aux garçons et 32 aux filles; Khi² (ddl1) = 124,34; p= .0001).

Le détail des attributions par niveau et par sexe figure dans le tableau 3 ci-dessous.

Tableau 3 Répartition des classifications pour les jouets éducatifs selo l'âge et le sexe des participants 

Ce résultat se retrouve autant chez les filles interrogées (Khi² (ddl1) = 78,07; p =.0001) que chez les garçons (Khi² (ddl1) = 47,56; p=.0001). En revanche ce n'est pas le cas à tous les niveaux scolaires. Si pour les élèves scolarisés en élémentaire, les jouets éducatifs sont largement considérés comme étant mixtes, les élèves de grande section de maternelle ont tendance à attribuer un sexe aux jouets éducatifs. Sur les 68 classifications opérées par les élèves de grande section, 26 sont sex-typées et 37 sont mixtes (Khi² (ddl1) = 0,98; NS). Ce résultat se retrouve chez les garçons comme chez les filles, mais on observe une tendance plus importante chez les garçons à catégoriser les jouets éducatifs comme étant des jouets de garçon (13 des 15 réponses sex-typées vont en ce sens). Cette tendance est moins nette chez les filles (11 réponses sex-typées, 4 associées aux garçons , 7 associées aux filles).

Classification des jouets ambigus

Les jouets ambigus sont globalement considérés comme mixtes : sur les 447 classifications des élèves, niveau scolaire et sexe confondus, 133 sont associés à un groupe de sexe et 314 sont mixtes (Khi² (ddl1) = 38,17; p = .0001). Toutefois, l'analyse en fonction du sexe des participants révèle une différence entre les garçons et les filles interrogés. Le tableau 4 ci-dessous présente les répartitions des attributions sex-typées et mixtes selon l'âge (niveau scolaire) et le sexe des participants, ainsi que les valeurs de Khi² associées (mixte comparé à sex-typé).

Tableau 4 Répartition des classifications pour les jouets ambigus selon l'âge et le sexe des participants 

Ainsi, les jouets ambigus (mallette médicale, microscope et planchettes de construction en bois) sont considérés comme mixtes par les filles à partir du CP, mais aucun groupe de garçons, quel que soit le niveau scolaire, ne considère les jouets ambigus comme des jouets mixtes.

Les garçons de grande section de maternelle ont tendance à considérer que les jouets ambigus sont plutôt des jouets de garçon (12 réponses sur 15 réponses sex-typées) alors que les filles de grande section de maternelle ont tendance à considérer que les jouets ambigus sont plutôt des jouets de fille (8 réponses sur 13).

Discussion

Des jeux mixtes, des jeux associés à une catégorie de sexe

Les résultats confirment une connaissance précoce des stéréotypes de sexe associés à certains jouets (considérés comme relevant d'une catégorie de sexe exclusivement). En effet, lorsque l'on demande aux enfants, et ce quel que soit leur âge de déterminer si une voiture de police, une mallette à outil et un château fort sont pour les garçons, pour les filles, ou pour les deux, il y a peu d'ambiguïté, aussi bien pour les filles que pour les garçons. Idem dans le cas d'une coiffeuse, d'une cuisinière et d'une poupée. On peut dire ici que nous observons peu de variations dans cette catégorisation sociale en fonction de l'âge. Mais notre recherche ne concerne pas une mesure de l'adhésion aux stéréotypes et ne mesure pas, par exemple, les intérêts personnels et ou les comportements des enfants. Ainsi, la classification demandée aux élèves ne signifie pas pour autant qu'ils et elles ne jouent pas avec ce type de jouet, mais bien que les jouets "pour les garçons" et les jouets "pour les filles" sont identifiés et catégorisés. Pour autant, ces résultats illustrent la connaissance des stéréotypes associés socialement à certains jouets et cette connaissance est constante au niveau de l'école primaire. Nous avons également proposé des jouets éducatifs (soit un ordinateur, un puzzle de lettres et un puzzle de chiffres) car ils sont présents dans les classes, mais aussi dans les catalogues de jouets. Nos résultats montrent que ces jouets sont considérés comme mixtes, même si là encore, quelques nuances apparaissent. En effet, s'il n'y pas vraiment de différences entre garçons et filles à l'école élémentaire, la catégorisation effectuée est différente pour les enfants de Grande Section: les garçons ont plutôt tendance à s'attribuer (endo-groupe) ces jouets "éducatifs". Cela peut en partie s'expliquer par la tendance des enfants avant 6 ans, en raison de l'égocentrisme intellectuel, à s'auto-attribuer les jouets considérés comme neutres (CHERNEY et al., 2006; ROUYER; ROBERT, 2010; TAP, 1985).

Même constat du côté des jouets considérés comme ambigus (soit catégorisés dans les catalogues comme mixtes soit faiblement associé à une catégorie de sexe) : ils sont classés par les élèves de notre étude comme jeux mixtes. On observe également dans ce cas une différence entre la maternelle et l'école élémentaire. Cependant, à la différence des jouets dits "éducatifs", ici les jouets ambigus, qui sont une mallette médicale, un microscope et des planchettes de construction en bois sont considérés en fin de maternelle par les garçons comme des jouets de garçons, et par les filles comme des jouets de filles.

Conclusion

Cette recherche montre tout d'abord qu'il y a persistance des catégorisations stéréotypées pour la plupart des enfants pour les jouets socialement associés au masculin et au féminin. Ce résultat est d'autant signifiant que nous n'avions pas amorcé de couleurs spécifiques (rose, bleu), ces couleurs étant des indices les plus fréquemment utilisés pour l'assignation catégorielle des jouets. Cette persistance questionne car, rappelons-le, les stéréotypes constituent des outils de légitimation des inégalités sociales. Cette catégorisation de sexe de certains jouets est très forte ce qui confirme le poids des transmissions sociales effectives chez les plus jeunes, malgré une flexibilité observée chez l'enfant en fin d'école élémentaire. En revanche, on distingue des profils de différenciation chez les plus jeunes sur les deux catégories de jouets moins stéréotypées : les garçons associent les jouets éducatifs et ambigus au masculin, alors que les filles associent les jouets éducatifs aux deux sexes et les jouets ambigus au féminin. Cette différence dans l'attribution entre les filles et les garçons concernant les jeux éducatifs et les jeux faiblement sex-typés questionne et mérite d'être approfondie. Cet effet avait déjà été observé dans la recherche de Cherney et al. (2006), menée auprès d'enfants âgés de 2 à 5 ans; comparativement aux filles, les garçons avaient plus tendance à identifier des jouets neutres et ambigus comme des jouets masculins. Ces résultats méritent d'être développés au regard des rapports sociaux de sexe et des stratégies des filles et des garçons observées ici en contexte scolaire. Plus précisément, il se joue dans ces variations d'affectations à l'endogroupe ou à la mixité des jouets des éléments en lien avec des appartenances groupales hiérarchisées. Les stratégies ne sont pas les mêmes et peuvent être interrogées du point de vue à la fois des appartenances sociales et des contextes dans lesquels sont mises en œuvre ces stratégies. Par ailleurs, les jouets éducatifs et ambigus étant moins stéréotypés sont peut-être plus susceptibles d'illustrer ces stratégies de groupes. Ce résultat souligne aussi la nécessité d'observer ultérieurement et dans une approche plus qualitative les classes, pour mieux comprendre le changement d'attributions entre la Grande section et le CP. Par exemple, concernant les jouets stéréotypés qui bien souvent sont présents dans les classes de maternelle, il serait intéressant d'observer les interactions des enfants avec les adultes (parents en début de journée, professeurs, ATSEM), et d'interroger l'influence des pairs et des enseignant.e.s sur les activités et les intérêts des élèves des deux sexes. Selon Blakemore et Centers (2005), les enfants des deux sexes auraient avantage (du point de vue du développement des habiletés motrices, langagières, cognitives, sociales, affectives) à jouer avec des jouets qui développent l'éducation scientifique, artistique et les compétences musicales. A leur avis, afin de stimuler le développement d'une variété de compétences chez les enfants, il semble important que les parents et les enseignant.e.s proposent des jouets modérément stéréotypés et neutres pour les garçons et les filles, et ce dès le plus jeune âge. Enfin, ces résultats confirment que les élèves ne catégorisent pas tous les jouets d'une manière binaire filles/garçons, y compris pour des jouets qui sont parfois faiblement sex-typé masculin comme les planchettes de construction en bois. Dans la plupart des catalogues de jouets de grandes surfaces et de magasins spécialisés, les planchettes de construction en bois sont soit catégorisées dans les jeux pour garçons (catégorie clairement identifiée dans le sommaire), soit dans les jeux mixtes. A l'école maternelle, ces jeux sont très présents et très prisés par les élèves des deux sexes. Nos résultats indiquent clairement que ces jeux classés " ambigus " pour les raisons précitées sont associés dans notre étude à une catégorisation mixte. Le fait de proposer ce jeu à l'école et de le rendre mixte par les pratiques des élèves peut avoir un effet sur la mixité perçue de ce support ludique. L'école, en proposant des expériences ludiques avec des supports riches et variés permet ainsi de développer des compétences artistiques, de création, de logique, et ce quel que soit le sexe de l'élève et in fine participe sciemment à favoriser l'égalité entre les filles et les garçons, femmes et hommes de demain.

Pour conclure, nous soulignerons que la formation d'une identité sociale " genrée " est le résultat d'une exposition aux représentations sociales de l'environnement social, notamment des parents, des pairs, mais dans une dynamique interactive et active chez l'enfant. L'enfant arrive dans un environnement déjà existant, et l'enjeu en est l'intégration. Les expériences de socialisation en contexte scolaire peuvent fournir, de par l'action des enseignants à travers les interactions pédagogiques et les supports ludiques, des expériences plus hétérogènes. Les coins jeux à l'école maternelle, en proposant des jeux divers et variés, en rendant mixtes des jeux qui pourraient être associés à un sexe ou à un autre permettraient de faire varier ces associations stéréotypées. Les catégories sociales masculin/féminin sont, selon Duveen et Lloyd (1990) un "code sémiotique", qui permet aux jeunes enfants de participer à et d'intégrer la vie sociale, en considérant le sexe biologique comme le signifiant et les représentations sociales comme le signifié. Les évolutions sociétales et le contexte scolaire, de par sa mission éducative, peuvent amener des modifications dans les représentations sociales ontogénétiques des enfants, en proposant des supports ludiques diversifiés et permettre aux enfants d'effectuer un travail réflexif sur les catégorisations sociales liées au sexe.

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1Convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif (BULLETIN OFFICIEL DE L'EDUCATION NATIONALE, 2013).

2A escola primária na França é composta pela escola maternal e pela escola elementar, que são estruturadas por níveis de idade. A escola maternal recebe as crianças antes da educação obrigatória, que é a partir dos 6 anos (começo da escola elementar). Ela é organizada em três turmas: "Petite Section de maternelle" ou PS (3 anos, ou mesmo 2 anos na "Toute Petite Section" ou TPS), a "Moyenne Section de maternelle" ou MS (4 anos) e a "Grande Section de Maternelle", GS (5 anos). A escola elementar é composta pelo "Cours Préparatoire" ou CP (6 anos), pelo "Cours Elémentaire 1ère année" ou CE1 (7 anos), pelo "Cours Elémentaire 2ème année" ou CE2 (8 anos), pelo "Cours Moyen 1ère année" ou CM1 (9 anos) e pelo "Cours Moyen 2ème année" (10 anos).

3N. de T.: A "école élémentaire" atende os alunos de 6 a 11 anos.

4Alguns dados faltaram, e por isso nem sempre obtivemos estritamente as 447 classificações esperadas para cada tipo de brinquedo. Das 1.788 respostas esperadas, 6 faltaram e foram repertoriadas da seguinte maneira: uma ausência de resposta de um aluno de CE1 sobre um brinquedo educativo, 5 ausências de resposta no CM1 (3 para brinquedos estereotipados masculinos e 2 para brinquedos estereotipados femininos).

5Agent territorial spécialisé des écoles maternelles.

6Convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif (BULLETIN OFFICIEL DE L'EDUCATION NATIONALE, 2013).

7Quelques données sont manquantes, nous n'obtenons donc pas toujours strictement les 447 classifications attendues pour chaque type de jouet. Sur les 1788 réponses strictement attendues, 6 sont manquantes, répertoriées de la façon suivante : une absence de réponse de la part d'un élève de CE1 concernant un jouet éducatif, 5 absences de réponses au niveau CM1 (3 pour des jouets stéréotypés masculins et 2 pour des jouets stéréotypés féminins).

Received: November 2015; Accepted: February 2016

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