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Educar em Revista

Print version ISSN 0104-4060On-line version ISSN 1984-0411

Educ. Rev. vol.37  Curitiba  2021  Epub Apr 09, 2021

https://doi.org/10.1590/0104-4060.79271 

DOSSIER - La dimension biographique en tant que processus de formation et de compréhension de soi et du monde

La démarche « Histoires de vie en formation » comme dépassement du double écueil du concept sans vie et de la vie sans concept

*Docteur et Chercheur en sciences de l'éducation. Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie Associative. Paris, France. E-mail: alex.laine@orange.fr


RÉSUMÉ

En prenant appui sur une pratique concrète de récits de vie en groupe dans un contexte de formation, ce texte vise à montrer comment s’opère là un processus éminemment formateur. En entendant par ces termes un processus à travers lequel chaque narrateur engage quelque chose d’une représentation de soi qui s’y transforme dans le sens de l’augmentation de son pouvoir d’apprendre. Parallèlement, le regard porté par chaque participant sur son environnement, s’en trouve modifié. Cet écrit précise les conditions éthiques, déontologiques et méthodologiques requises par ce type de travail. L’auteur y souligne en même temps l’importance de la dialectique qui s’y déploie entre l’implication individuelle de chaque participant et le collectif.

Mots clés: Histoires de vie; Formation; Éthique; Pratique et théorie; Subjectivation

RESUMO

Este artigo pretende mostrar como realizar um processo eminentemente formativo, fundamentado em uma prática concreta de histórias de vida em grupo num contexto de formação. Por esses termos entendemos um processo por meio do qual cada narrador engaja-se em algo que lhe auto represente e que se transforma com vistas a aumentar o seu poder de aprender. Em paralelo, a visão de cada participante sobre o seu ambiente é modificada. As condições éticas, deontológicas e metodológicas necessárias para este tipo de trabalho são especificadas ao mesmo tempo em que o autor sublinha a importância da dialética que se desdobra entre a implicação individual de cada participante e o coletivo.

Palavras-chave: Histórias de vida; Formação; Ética; Prática e teoria; Subjetivação

ABSTRACT

Based on a concrete practice of group life stories in a training context, this text aims to show how a highly formative process operates there. By understanding by these terms a process through which each narrator engages something of a self-representation which transforms itself in the sense of increasing his power to learn. At the same time, the way each participant looks at their environment is changed. This document specifies the ethical, deontological and methodological conditions required for this type of work. At the same time, the author underlines the importance of the dialectic that unfolds between the individual involvement of each participant and the collective.

Keywords: Life stories; Training; Ethics; Practice and theory; Subjectivation

Le propos qui suit tient que la démarche « histoires de vie » en groupe est toujours un processus formateur, ne serait-ce que par la mise en forme verbale et transmissible d’un parcours de vie dont la structure et l’intelligibilité ne sont pas données d’avance. Par surcroît et à la suite de l’énonciation du récit de vie, le travail d’analyse qui en est fait collectivement, - de préférence dans la perspective des questions que se pose le narrateur sur son parcours - est toujours très formateur. En particulier lorsqu’il parvient à réaliser le « dépassement » du double écueil mentionné dans le titre de cet écrit car si le concept sans vie est vide, dépourvu de sens ; de son côté, la vie sans concept est aveugle. On retrouve ici le projet qui oriente Henri Lefebvre dans sa Critique de la vie quotidienne: « comprendre le vécu, le situer et le resituer dans la constellation mouvante des concepts, l’expliquer en disant ce qu’il implique, ainsi se formule le sens de l’ouvrage et du projet » (LEFEBVRE, 1981, p. 22).

L’orientation méthodologique et les choix théoriques dans lesquels s’inscrit mon propos sont ceux de l’approche clinique1 si l’on veut bien admettre que l’orientation clinicienne ne se réduit pas à ce qui relève strictement du soin thérapeutique. Mais en y voyant plutôt une approche qui s’élabore « au cas par cas » et se définit par une éthique de l’interaction et de la co-élaboration entre un accompagnant et un accompagné. Ce dernier, loin d’être réduit à une fonction de récepteur passif, prend une part active à l’élaboration du processus engagé. Une autre des caractéristiques significatives de la démarche clinique consiste à reconsidérer les relations pratique-théorie en donnant à la première une place majeure en sorte qu’elle ne se limite pas à servir d’illustration de modèles théoriques préalablement conçus mais soit bien à l’origine d’élaborations théoriques inédites. C’est la raison pour laquelle, je partirai d’une pratique de l’histoire de vie en formation que j’ai animée et qui fut la source des analyses méthodologiques et théoriques relatives à la question de l’histoire de vie comme processus formateur que je propose.

Ce que nous avançons dans cet essai n’est pas le fruit de rêves intellectuels et ne provient non plus de simples lectures, même si celles-ci nous ont beaucoup servi. Nos affirmations sont toujours ancrées […] sur des situations concrètes. Elles expriment des réactions de prolétaires, ruraux ou urbains, et de gens de classes moyennes que nous avons observés ; directement ou indirectement, au cours de notre travail pédagogique (Freire, 1974).

De fait, la démarche de récits de vie est aujourd’hui bien installée dans le champ de la formation. Les dispositifs de formation - y compris académiques - qui font une place à la narration de leur parcours par les apprenants ne sont plus exceptionnels. C’est précisément dans un dispositif de formation académique et diplômante que s’est déroulée la pratique dont il va être question.

Une pratique de récits de vie en formation

Cette démarche s’est déroulée dans le cadre d’une formation de travailleurs sociaux préparant le Diplôme d’État aux fonctions d’animation (DEFA2) Le programme fixé par les textes nationaux de cette formation prévoyait une unité dite « Pédagogie et relations humaines » (PRH) où le travail d’implication personnelle avait une place. Le dispositif local de formation commençait par cette unité et c’est moi qui en avais la charge.

La proposition de travail et l’engagement des participants : le pacte

Il se définit à la fois par les intentions poursuivies, les modalités déontologiques de la démarche, les modalités techniques et les consignes du travail proposé.

Les intentions poursuivies sont les suivantes:

  • Se faire connaître les uns des autres et approfondir la connaissance de soi.

  • On est au tout début du cursus de formation proposé et les stagiaires ne se connaissent pas encore. On évite ainsi le rite formel de la présentation en tour de table.

  • Travailler la question de son rapport au métier d’animateur socioculturel, comment est-on devenu animateur ? Comment se représente-t-on et vit-on ce métier aujourd’hui ?

  • Travailler la question de son rapport au processus d’apprendre et au savoir.

  • S’initier à des techniques appartenant à la méthodologie des sciences de l’homme et de la société.

  • Faire émerger les contours d'une culture et d'une identité de métier spécifiques des professionnels de l'animation socioculturelle. Et peut-être rendre explicite ce qui appartient au genre professionnel de l’animation socioculturelle.

Les visées éthiques et les clauses déontologiques sous lesquelles nous souhaitions que ce travail se déploie se ramènent à celles-ci :

L’autonomie versant volontariat des participants: puisqu’il s’agit d’une démarche d’implication personnelle et afin d’éviter le biais d’un « public captif » qui suivrait ce module non par choix mais sous l’effet de la contrainte externe d’un programme préétabli, mes collègues (en charge des unités suivantes de formation) et moi-même avons mis en place une disposition particulière. Nous avons pris le parti de donner le choix à chaque participant potentiel de participer ou non à cette démarche. Il s’agissait donc de faire en sorte que les participants fussent réellement volontaires. J’ai donc rencontré chacun individuellement en amont de la démarche pour présenter la proposition de travail (intentions et modalités de la démarche.) Si l’un d’entre eux ne souhaitait pas s’y engager, il lui serait proposé un autre module de travail animé par un de mes collègues. Nous avons mis en œuvre cette démarche à plusieurs reprises et il n’y eut aucun refus de participer au travail proposé sur les parcours professionnels et personnels.

D’une façon plus générale, la question du volontariat des participants est cruciale. Elle conditionne la possibilité même de la démarche. Elle s’inscrit pleinement dans la perspective de l’orientation clinique dont il a déjà été question et dont l’une des spécificités majeures tient dans le souci de respecter la liberté de chaque participant. Ce souci trouve une autre de ses traductions dans la visée suivante.

L’autonomie dans son versant « gestion par soi-même de son propre degré d’implication ». Très concrètement, cela se traduit par le fait que chaque participant est entièrement libre de dire et de ne pas dire. Personne n’est obligé de répondre à une question qui l’embarrasserait et le droit de ne pas présenter un fragment de son récit de vie en réponse à telle ou telle consigne de préparation d’un support est effectif.

Propriété et confidentialité des productions. Tout ce qui se dit dans la cadre de ce module est strictement confidentiel. Personne n’est autorisé à divulguer des informations relatives à l’histoire d’un tiers entendue pendant la session. Toutes les productions écrites, notamment les textes autobiographiques sont et restent la propriété exclusive de leurs auteurs.

Écoute bienveillante et proscription de toute intervention ou posture en forme de jugement de valeur de nature dépréciative à l’égard d’un récit de vie énoncé par un participant. On n’interrompt pas le cours d’un récit - sauf évidemment s’il s’avérait parfaitement inaudible ou inintelligible, ce qui n’arrive quasiment jamais -. Si questions il y a, ce sera toujours par après-coup.

Dans cette perspective, le rôle du formateur qui accompagne ce travail est primordial. Si, pendant où la suite d’une narration d’un récit de vie une intervention, voire une attitude non verbale exprimait un jugement de valeur dépréciatif à l’égard du contenu du récit, le formateur interviendrait pour rappeler qu’il incombe à chacun de mettre en œuvre l’écoute bienveillante requise. Plus largement, n’importe lequel des participants peut en appeler au respect de cette exigence. Dans les faits, il est très rare qu’il faille en arriver là. La plupart du temps, par eux-mêmes, les participants font vivre ce droit essentiel.

Du point de vue général de l’écoute - qui fait l’objet pour les participants d’un vrai apprentissage au cours de la session - , au-delà du seul décodage du contenu verbal, l’écoute des corps (le non-verbal) est un incontournable. Par « écoute des corps », on entendra ce que les voix ont d’éminemment matériel et corporel : le timbre, le rythme, la respiration, la posture du narrateur qui renseignent immédiatement sur l’état émotionnel du sujet de l’énonciation. Lorsque cela s’impose, j’interviens pour donner au narrateur une possibilité de prise de recul, par exemple en l’invitant à prendre son temps.

Co-élaboration des hypothèses relatives à tout ou partie des récits de vie énoncés. Le dernier mot est toujours celui du narrateur. Certes, après chaque récit énoncé, celles et ceux qui ont écouté sans en interrompre le cours, sont invités à faire des retours sous au moins trois formes. Les échos pour commencer. Il s’agit là pour l ‘auditer de dire ce que le récit du narrateur vient toucher dans sa propre histoire - y compris si le même type d’événement a été vécu différemment par l’un et par l’autre. Ici, il s’agit moins de poursuivre l’implication du narrateur que de susciter l’implication des autres. Ce qui constitue une bonne respiration pour le premier. Ensuite les retours peuvent se situer sur le mode du questionnement et de la prise d’information supplémentaire. Par exemple, si tel participant auditeur n’a pas compris un élément du récit, il peut solliciter le narrateur afin qu’il l’éclaire sur ce point. Cela étant, le narrateur peut refuser de répondre si la question lui semble intrusive. Enfin, et c’est ici que le travail plus théorique et les concepts sont mobilisés, on s’efforce de proposer au narrateur des pistes de compréhension de son histoire qui, la plupart du temps, relient entre eux des éléments que l’énonciateur n’avait préalablement pas reliés. Ce qui va suivre autour du récit de Fred et du concept d’habitus est un exemple de cette mise en lien et en sens (cf. au-dessous, § Les contradictions qui habitent les rapports à l’école et au savoir (elles ont partie liée à la professionnalisation.)

Il reste, ce que ne sont là que des propositions faites au narrateur - propositions que, comme telles, il est en droit de rejeter -. Et dans tous les cas, c’est son point de vue qui l’emporte. L’analyse de son échec scolaire en termes d’habitus de la paysannerie qui est proposée à Fred - comme on le verra plus loin - ne sera retenue que parce qu’elle lui convient et qu’il donne son accord à la proposition. En outre, on recommande toujours au narrateur de préciser en amont ou au cours de son récit, s’il est porteur d’un questionnement particulier à propos de son parcours. Et les auditeurs sont alors invités à émettre en retour des propositions d’explication qui s’inscrivent dans la perspective dessinée par le questionnement porté par le narrateur. L’exemple du récit de Fred qui sera précisé plus loin, est celui d’un narrateur dont le questionnement visait à comprendre pourquoi il n’avait pas réussi ses études universitaires passées et cela malgré un intérêt très prononcé pour la réflexion et l’analyse théorique. Les propositions d’explication en retour ont ceci de particulier qu’elles sont construites collectivement et avec le concours actif du narrateur.

On notera que si les modalités du travail prenaient le contrepied de tout ou partie des visées qui définissent le pacte tel qu’il vient d’être énoncé, alors on pourrait être sûr que l’on s’acheminerait vers une situation de violence et de guerre symboliques. C’est immanquablement le cas si l’on permet à celles et ceux qui écoutent de mettre en doute la sincérité de tel ou tel narration. C’est aussi le cas lorsque des participants n’ont pas explicitement et librement choisi de participer à ce type de travail fondé sur l’implication personnelle. On comprend que le choix du terme de pacte comme ce qui pacifie des relations qui pourraient être tout autres, prend ici tout son sens.

Les modalités techniques du travail : une démarche d'élaboration structurée et progressive des histoires de vie

Un premier travail de préparation écrite individuelle obéissant à la consigne suivante : «se faire autobiographe». Il s’agit de rédiger un écrit synthétique de présentation de soi et qui fasse au moins deux pages manuscrites, sans fixer de limite maximale au nombre de pages. L’intérêt de produire un écrit synthétique et bref est d’inciter à aller à l’essentiel. Vraisemblablement aussi la brièveté de cet écrit réduit-elle les inquiétudes que nourrissent à l’égard de l’écriture celles et ceux dont elle n’est pas le mode privilégié d’expression. Ce qui est souvent le cas des publics d’animateurs socioculturels.

Les consignes invitent à ce que ce premier écrit synthétique soit, dans la mesure du possible, structuré autour de trois axes ou perspectives d’exploration qui sont autant de catégories thématiques dont on se servira dans l’analyse du contenu. Il ne s'agit donc pas d'un questionnaire, mais d'un guide de travail dont les participants s'emparent librement, chacun à sa façon et, parfois, jusqu'à ne pas prendre en compte certaines des pistes d'exploration qu'il propose. Ces quatre axes de recherche autobiographique sont les suivants :

La perspective du savoir des origines professionnelles. L’autobiographe s’attache ici à se remémorer la manière dont il est « entré en animation » socioculturelle. Et la formulation est chargée, à dessein, d’une connotation religieuse. Il existe, bien sûr, des mouvements religieux d'Éducation Populaire. Mais d'une manière générale, et malgré certaines oppositions, il y existe une analogie entre le champ de l'animation socioculturelle et celui de la religion. La « vocation », à laquelle il est fait référence dans un champ comme dans l'autre, est un indicateur de cette proximité. L’étymologie du terme « animer », du latin « anima » = l’âme, milite également en ce sens.

Autrement dit, chacun est invité à préciser comment s’est opérée son entrée en animation : dans quel contexte, à quel moment, depuis quelles expériences et activités, sur la base de quelles valeurs militantes, idéologiques, qu'est-ce qui a été moteur ou déclencheur en cette affaire ?

La perspective des expériences « marquantes ». D’une façon générale et débordant le cadre strict de l’animation socioculturelle - bien que pouvant tout à fait l’englober - quelles sont les expériences de formation, de profession et, plus largement, les expériences de vie que chacun retient comme marquantes dans son parcours personnel ? En quoi ont consisté ces expériences ? Et en quoi ont-elles joué un rôle marquant (positivement ou négativement) ?

La place du diplôme et de la formation dans ce parcours : comme y est-on venu et quel(s) éventuel(s) projet(s) y poursuit-on ? Une fois que chaque participant a rédigé sa brève autobiographie, les participants sont invités à se rassembler par sous-groupes de trois personnes. Chacun à tour de rôle expose aux deux autres son parcours en prenant appui sur le texte qu’il a préalablement rédigé. A la fin de chaque récit, les deux autres adressent au narrateur des retours selon les modalités définies plus haut. A l’issue de cette phase de travail par groupes de trois, chaque narrateur reprend son texte initial en tenant compte des retours qui lui ont été adressés.

La phase de travail par petits groupes de trois a plusieurs fonctions dont celle de faciliter la prise de parole, sachant qu’on est au tout début de la formation et que la prise de parole devant le grand groupe de 15 personnes est assez intimidante. Néanmoins, la narration de chaque récit en grand groupe fera l’objet de la phase suivante.

À ce moment chacun expose ce qu’il a retenu comme représentatif de son parcours personnel et de ses projets. Cette phase obéit aux exigences d’écoute définies par le pacte. Elle amorce en même temps le travail d’analyse du contenu qui permet de repérer d'abord ce que chaque récit et chaque parcours ont de spécifique. Pour en venir ensuite à ce qui, dans les catégories thématiques correspondant aux trois perspectives d’exploration autobiographique, est transversal ou commun à différents récits énoncés. Ce travail d’analyse de contenu est élaboré collectivement. Je rédige enfin, à partir des notes que j'ai prises au fur et à mesure de la réalisation de l’analyse transversale, un compte-rendu qui sera remis à chaque participant. Ce compte-rendu porte exclusivement sur des transversalités, c'est-à-dire sur les caractéristiques communes aux histoires de vie de plusieurs membres du groupe. Elles sont d'ailleurs également communes aux trajectoires de bien d’autres animateurs, en sorte qu’elles sont parfaitement impersonnelles, anonymes.

L’analyse transversale des histoires de vie personnelles et professionnelles des animateurs

Le texte qui suit jusqu’au paragraphe III, a été remis aux participants à la formation de 1995 à laquelle je me réfère. Ce texte est la trace du travail de formation que les participants ont réalisé avec moi à la suite des narrations de leurs parcours.

L'analyse dont il est question ici reprend et réunit les résultats des dix pratiques de cette démarche que j'ai réalisées avec des animateurs socioculturels. Quels sont donc les points de concours entre ces récits de parcours ?

L'homme est dans la société, mais la société est aussi en l'homme

Première transversalité qui mérite l’attention : aucune des existences relatées ne s’est déroulée dans un vide social et historique. Toutes, au contraire, manifestent l’ancrage des parcours relatés dans un contexte qui les a largement infléchis et dont ils portent la marque.

Parmi ces faits sociaux et historiques déterminants figurent, dans certains récits, la crise du monde paysan et l'exode rural qui ont frappé plus d'une famille, parfois même avant la naissance du narrateur. On découvre parfois que, tandis que les parents ont quitté la terre contre leur gré, le fils ou la fille embrassera la « carrière » d’animateur socioculturel au sein d’une association de défense et de promotion de la culture rurale. Comme si l’enfant reprenait alors à son compte la blessure et le désir de réparation qu'il a entendus chez ses parents.

D'autres ancrages des trajectoires individuelles et des choix professionnels et/ou militants dans le contexte social et historique, relèvent d'événements qui ont été directement et personnellement vécus par les sujets narrateurs. C'est le cas de la lutte des classes et du travail en usine.

Certains animateurs en ont fait l'expérience. Anciens ouvriers, militants syndicaux, ils s'engagent dans une démarche de conversion professionnelle qui leur permet d'abord de prendre des distances par rapport à l'usine - « la taule » comme la nommait l'un d'entre eux -. Et en même temps le nouveau métier permet de préserver quelque chose du militantisme de leurs origines. On a là un exemple de souffrance au travail et de mise à mal de l’identité par une profession exercée dans le passé.

L'intérêt de souligner ce type d'ancrage repose sur plusieurs raisons. D'abord parce qu'il s'agit justement d'un ancrage qui illustre ce qui était annoncé plus haut. Il est certainement utile, au moment où se développe une représentation individualiste des faits humains, de rappeler que les individus et leur histoire ne flottent pas dans un vide social et historique. Mais que, au contraire, ils sont bien inscrits dans ces processus qui les englobent et infléchissent le cours de leur trajectoire. Si l'on file la métaphore du flottement on peut dire que le rappel de cette inscription dans les faits sociaux et historiques confère aux sujets un peu plus de consistance, de densité et de pesanteur sociales. Il y a certainement des effets de développement personnel (au sens de médiation entre ce qui est thérapeutique et ce qui est formateur) de l'analyse qui rappelle l'influence des faits sociaux sur les histoires individuelles. Car elle révèle les traces méconnues dans lesquelles nous sommes inscrits et les appartenances multiples qui nous rattachent au monde et aux autres.

En contrepartie, il y a parfois quelque déplaisir à découvrir ou à redécouvrir ces points d'ancrage. Cette caractéristique appelle, de la part des auditeurs du récit de vie, la même prudence et le même souci de respecter les limites de la capacité du narrateur à entendre ce qui lui est adressé à propos de son histoire, que s'il s'agissait d'aspects plus psychologiques. Car ces appartenances, filiations et héritages ne sont pas toujours vécus comme glorieux, sources de fierté. Ensuite leur rappel, voire leur mise au jour, met toujours à mal l'illusion individualiste tenace qui consiste à penser que nous nous sommes faits tous seuls et ne devons rien à personne. On est là sur la question du sens du choix professionnel articulé à des processus d’héritages qui viennent souligner que dans le choix d’une profession - choix en apparence très personnel, individuel - il y a en réalité des collectifs, des mondes sociaux qui sont présents.

Les contradictions qui habitent les rapports à l’école et au savoir (elles ont partie liée à la professionnalisation)

En premier lieu il apparaît que le parcours scolaire des animateurs socioculturels, leur formation initiale sont rarement placés sous le signe d’une absolue réussite. Du moins en ce qui concerne la perspective « bancaire » de l’obtention des diplômes préparés. On peut même parler en certains cas d’échecs qui ont eu pour conséquences des orientations vers une filière technique, orientations souvent ressenties par le narrateur lorsqu’il était élève de façon douloureuse et contrainte.

En relation avec ce premier élément, les récits de parcours font largement apparaître une forte hostilité à l’égard du monde de l’école, des enseignants et des méthodes auxquelles ils ont recours. On leur reproche en effet de mettre en œuvre des méthodes pédagogiques archaïques, d’être crispés sur des contenus disciplinaires et des programmes préétablis, d’être des « bureaucrates » soumis à une institution tatillonne et répétitive qui empêche d’innover et de susciter l’intérêt des élèves.

On leur fait grief d’être des « fonctionnaires » qui refusent d’aller au-delà des horaires de travail fixés statutairement lorsque la situation appellerait qu’on ne compte pas son temps. Ce type de représentation - on s’en doute - ne facilite pas les relations. Et c’est d’autant plus dommageable que les animateurs socioculturels, à travers à la fois l’aide aux devoir, les activités périscolaires et autres projets éducatifs locaux, sont amenés à travailler en partenariat avec le monde enseignant.

Tout cela définit le pôle « négatif » ou hostile de la contradiction - il ne serait pas exagéré, en certains cas, de parler de « haine » -. Mais il y a une face cachée, un pôle « positif » à la contradiction. Et là, il ne serait certainement pas scandaleux de parler « d’amour » des animateurs pour le monde de l’école et du savoir. D’abord parce que lorsque l’on va un peu plus avant dans le récit de vie, il est fréquent d’apprendre que le narrateur concerné, avant d’embrasser la profession d’animateur, avait comme projet, comme rêve, de devenir enseignant. Précisément, ce sont les difficultés scolaires rencontrées qui ont contrarié ce projet. Et d’une certaine manière, le métier d’animateur permet de renouer avec des pratiques pédagogiques (aide aux devoirs, animations périscolaires, actions de formation.) Ce qui conduit évidemment à des rapports de rivalité avec le monde de l’école. Ensuite - et ce n’est pas le moindre élément constitutif de l’attrait pour le monde enseignant - il n’est pas rare que les récits de vie mentionnent, à côté d’enseignants jugés exécrables, un « bon » enseignant, souvent militant de l’Éducation Populaire, promoteur de méthodes pédagogiques nouvelles et actives. C’est même cet enseignant « modèle » qui, dans certains cas, a joué, pour celui qui était d’abord son élève, un rôle de « passeur » vers le métier d’animateur.

Outre que cette mise au jour d’une ambivalence des sentiments à l’égard du monde de l’école est utile pour qui est amené à collaborer fréquemment avec les enseignants, elle n’est pas non plus dépourvue de signification au moment où le sujet s’engage dans un dispositif de formation où il sera question de savoirs et d’apprendre avec un formateur issu de l’Éducation Nationale.

Pour préciser ce dont il est question ici, un fragment de récit et le travail d’analyse collective auquel il a donné lieu permettra d’y voir plus clair. Il s’agit du récit de Fred3 dans la « perspective des expériences marquantes» - et plus particulièrement parmi ces dernières du point de vue de celles qui ont trait à la formation. Parlant de ses difficultés à l’université, Fred déclara :

j’étais convaincu de ne pas être à la bonne place, car je n’avais pas la perception alors de ce que peut apporter la théorie. Et du coup, j’ai séché les cours. Par contre, là où j’ai beaucoup appris, c’est dans la pratique. Comme je n’avais pas beaucoup de moyens financiers, je travaillais sur les marchés, comme vendeur. Là j’ai appris la débrouillardise, à trouver le bon emplacement pour mon étal, à m’adresser au client potentiel pour retenir son attention, etc…

À entendre ces propos, nombre d’autres participants, issus de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre, se reconnaissent dans cette expérience. Ils le font savoir. Le groupe et le formateur s’attachent alors à ce sentiment de « n’être pas à sa place » à l’université que Fred dit souhaiter travailler et éclairer. Et comme, ses propos précédents avaient fait apparaître dans l’histoire de vie de Fred, une longue tradition (arrières grands parents, grands-parents, parents) de paysans pauvres, aussi bien du côté paternel que du côté maternel, on émet l’hypothèse que les deux phénomènes ne sont probablement pas totalement indépendants. On propose donc comme piste de compréhension possible qu’il puisse y avoir ici la marque de l’habitus (BOURDIEU, 2000) du monde rural, attaché au travail de la terre, pour lequel la pratique concrète, utile, est la valeur centrale, tandis que la culture savante, académique, est vécue comme une culture étrangère, associée au luxe des « songe-creux », voire à l’exercice du pouvoir des dominants sur les dominés. L’hypothèse va être confirmée par Fred qui précise ce qui se disait chez lui à propos des enseignants universitaires, tenus pour être des gens de la ville, des fonctionnaires, appliqués à des activités de beaux parleurs, sans prise efficace sur le réel, et enclins à exercer le pouvoir sur les « petites gens » « à les enfumer » avec leurs « belles paroles » pour reprendre les termes exacts de Fred.

Nous sommes allés plus loin encore en se demandant s’il l’on avait affaire ici à une fatalité. Est-on condamné, lorsque l’on a intériorisé ces représentations et valeurs sociales qui jouent sans que l’on en ait conscience, à reproduire la position dont on a hérité et, pour le dire de manière directe, à ne pas pouvoir apprendre ? On mesure que l’enjeu de cette question était de taille pour les participants qui étaient au commencement d’un cursus de trois années.

La réponse qui fut faite tient en ceci: le probable n’épuise jamais entièrement le possibleet l’habitus dont un sujet est porteur ne le condamne pas définitivement à se conformer aux valeurs qu’il contient. D’autant moins que cet habitus et ses effets font l’objet d’une mise au jour, d’une prise de conscience et d’un travail. En tenant ces propos on introduisit un bémol dans la perspective déterministe et un peu fataliste de la sociologie de la reproduction sociale, pour signifier qu’il y a toujours place pour une liberté du sujet à l’intérieur du déterminisme social. Je reviendrai sur ce point en conclusion. Aujourd’hui, Fred, avec qui je continue d’échanger, a brillamment obtenu son DEFA, il a entrepris des études universitaires en aménagement du territoire, obtenu un master 2 dans cette discipline et s’est depuis peu engagé dans un travail de thèse. Ce qui ne manque pas d’intérêt en regard de ce qui précède.

Troisième transversalité: le caractère ténu de la frontière entre vie publique (professionnelle) et vie privée

La proximité, voire la confusion, entre ces deux sphères de l'existence, est inscrite dans le temps et dans l'espace. Les animateurs socioculturels, au moins en France, travaillent surtout le soir, les fins de semaines et durant les congés scolaires. C'est dire qu'ils travaillent dans des temps où les autres ne travaillent pas. Par surcroît il n'est pas rare, surtout lorsqu'ils exercent des fonctions de direction, qu'ils soient logés dans l'établissement où ils travaillent, de sorte que l'espace privé et l'espace professionnel se confondent. Cet état de fait est énoncé comme une source de lassitude et d'usure produites par le métier. Et l'entrée dans un dispositif de formation, afin d'y préparer un diplôme professionnel, est souvent référée au désir de sortir de la confusion entre la sphère du privé-personnel et la sphère du public-professionnel. La formation est, en effet, une manière d'accéder à un diplôme, c'est-à-dire à un statut précis et à des conditions de travail - conventions collectives, horaires, durée, respect des jours fériés etc. - permettant de mieux revendiquer la séparation des deux sphères du public et du privé.

En dernière instance le manque de frontière entre vie privée et vie publique s'inscrit dans la contradiction plus générale qui travaille les animateurs, tendus entre deux pôles et deux personnages : le professionnel et le militant (MEISTER, 1972).

La contradiction du rapport au métier : l’animation entre militantisme et professionnalisme

Le parcours classique de l'animateur, tel qu'il se donne à travers les récits qui en sont faits, est le suivant. De la vocation aux vacations. D'usager des services de loisir proposés par une association qu'il était lorsqu'il était enfant ou adolescent, il devient militant et animateur bénévole. Puis il se voit proposer des vacations et, finalement, un contrat de travail à mi-temps ou à temps plein. Souvent ce processus s'accomplit au sein de la même association. Dans tous les cas où il est présent et énoncé par le récit de vie, ce processus comporte une dimension d’engagement militant et psychique et une dimension ou une aspiration professionnelle. La coexistence de ces deux dimensions ne va pas de soi.

L’engagement dans ce métier est étayé sur des options idéologiques-militantes et sur des processus psychiques qui engagent profondément l'identité. Cet engagement repose sur des valeurs idéologiques diverses: le christianisme social et « progressiste », le marxisme, la morale de la solidarité à l'endroit des plus défavorisés, les idées de Jules Ferry en faveur de l'accès du plus grand nombre au savoir, à la culture et, par conséquent, au pouvoir etc. Il n'est d'ailleurs pas rare que ces valeurs aient été héritées des parents - un père militant syndical, par exemple - ou transmises par le « passeur » dont il a été question au-dessus. Ce « passeur » a souvent joué un rôle crucial dans la naissance de la « vocation ». Figure d'identification déterminante, c'est souvent lui qui proposera au futur animateur de devenir bénévole, puis professionnel, en le recrutant dans l'équipe qu'il encadre et en lui transmettant sa « passion » de l'animation. Ici comme ailleurs ce qui se transmet du formateur au formé, c'est d'abord l'amour de la matière ou de la pratique sociale enseignée.

Souligné par de nombreux récits, ce phénomène est complexe et mérite qu'on le précise. Car à l'origine de la vocation professionnelle on découvre des valeurs militantes, de l'amour et de l'identification.

À un premier pôle de l'entrée dans l'animation socioculturelle on trouve justement la vocation. Cette dernière repose à la fois sur des facteurs sociaux et idéologiques - les valeurs militantes que l'on a déjà mentionnées -, et sur des processus psychiques de l'ordre de l'identification à un personnage charismatique. Ce personnage du « passeur » charismatique est une sorte de « médiateur » assurant le passage entre statut d'usager et statut de bénévole ou de professionnel.

À travers ce processus d'identification se réalise une double reconnaissance. Il s'agit d'abord de la reconnaissance, par le futur animateur, de ce « passeur » qui fait l'objet de l'identification. Il s'agit, ensuite et surtout, de la reconnaissance du futur animateur par le « passeur » qui lui propose de devenir militant puis professionnel. Ce second processus de reconnaissance doit être d'autant plus souligné qu'il s'adresse souvent à des sujets dont la confiance qu'ils s'accordent à eux-mêmes est relativement faible.

Cela renvoie à ce que j'évoquais plus haut à propos de leur rapport complexe à l'école. Dans bien des cas, pour ces futurs animateurs, l'histoire scolaire est marquée par des difficultés, voire des échecs, accompagnés d'une image de soi pas très positive, d'un sentiment de ne pas être très capable intellectuellement et professionnellement parlant. Le monde de l'animation va être celui où l'on va se sentir reconnu comme capable, digne d'exercer des responsabilités. Cette confiance accordée par un tiers sera la source d'un rapport à la structure qui emploie - et plus généralement au métier - marqué par un fort investissement affectif et une certaine dépendance.

En tout cas, ce mode d'investissement contribue certainement à la production d'une représentation vocationnelle du métier. On va parler de la découverte de l'animation comme d'une « révélation », on va dire « Je ne considère pas l'animation comme un métier, mais comme ma vie ». Et comme chacun sait : lorsque l'on aime on ne compte pas, il n'est donc guère surprenant de voir les animateurs sacrifier - au sens fort et religieux du terme - leur vie (privée) à cette mission qu'ils tiennent pour beaucoup plus qu'un métier.

À l'autre pôle du rapport à ce secteur de la vie sociale, se trouve l'aspiration professionnelle. Et elle est fortement présente dans les récits de vie des animateurs comme une tentative de traiter le revers de la médaille du militantisme. La professionnalisation apparaît comme une tentative de traitement de la nature contradictoire de l'investissement militant. Car l'investissement militant, s'il procure le plaisir de faire ce que l'on aime, a comme contrepartie d'être sans limite. Cela produit de l'essoufflement. On ne peut durer très longtemps lorsque l'on ne compte ni son temps ni ses efforts. On rencontre ici la dialectique de la passion : de réalisation du désir dont le sujet est porteur, et qui lui donne un sentiment de liberté dans son travail puisqu'il fait ce qu'il aime (« je fais un métier qui me plaît, me passionne », « Ce n'est pas un métier, c'est ma vie »); elle se mue en une contrainte dont il pâtit 4 (la passion, c'est aussi la souffrance du Christ).

Cette contrainte pesante est perceptible dans des affirmations comme celle-ci qui est fréquente : « j'ai besoin de souffler, de poser les valises et de prendre du recul par rapport à l'activisme du terrain ». C'est justement l'aspiration professionnelle qui vient tenter de sortir de cette contrainte. Car la qualification professionnelle - le DEFA (Diplôme d’État relatif aux fonctions d’animation) - permet d'accéder à un statut assorti de conventions collectives qui introduisent les limitations dont on a besoin. À cela il faut ajouter que l'aspiration à la professionnalité répond aussi aux exigences du terrain et des partenaires de l'action socioéducative et socioculturelle qui se contentent de moins en moins de la seule bonne volonté, mais demandent des compétences techniques dûment validées.

Cela dit, il faut ajouter qu'il y a de la tension entre les deux pôles du militantisme et du professionnalisme. Le passage du premier au second ne se fait pas sans mal. Ou plutôt on ne passe pas de l'un à l'autre, on reste dans les deux à la fois. Et c'est cela qui pose problème. On aspire à davantage de professionnalité, mais on ne veut pas perdre pour autant la dimension militante. La tension dialectique entre ces deux pôles prend, par exemple, la forme, souvent entendue au cours de ce travail « histoire de vie », du sentiment de culpabilité éprouvé à venir en formation DEFA. La formation s'inscrit évidemment dans le processus de professionnalisation, c'est-à-dire d'acquisition d'une compétence validée (et validante). Et en même temps elle est vécue comme un abandon de l'équipe dans laquelle on travaille, dont on est solidaire. On déclare, par exemple, que pendant que l'on est en formation (à raison d'une semaine par mois) la part de son travail « retombe » sur les autres. Il y a même quelque chose comme le sentiment d'une trahison, qui renvoie à la conviction que l'on se sent - avec l'équipe à laquelle on appartient - comme investi d'une mission sociale dont la nécessité impérieuse ne supporte ni la défection d'un de ses membres, ni le report à plus tard. Lorsque, de surcroît, c'est cette équipe qui est à l'origine de l'entrée dans le métier, lorsque c'est elle qui a fait confiance pour la première fois au futur animateur, alors le sentiment d'être « en dette » et de trahir en entrant en formation est encore plus fort. Car la logique de la professionnalisation via le diplôme du DEFA est celle de la mobilité professionnelle, du changement de type de responsabilité et, par conséquent souvent, du changement d'employeur. Une fois qualifié, s'il veut travailler à la mesure de sa qualification, l'animateur va être amené à aller voir ailleurs, dans une structure d'emploi plus importante ou correspondant davantage à ses nouvelles qualifications. Tout cela entre en contradiction avec le lien de forte dépendance qui le rattache à la « structure-mère », celle qui est vécue comme lui ayant « donné sa chance. »

Au moment où ce système de contradictions émerge je rappelle toujours les analyses de «L'Emprise de l'organisation sur le salarié » (PAGÈS et al., 1984). Ce lien est - pour ce qui concerne les « entreprises hypermodernes » - décrit et analysé comme lien de dépendance affective qui reproduit la dépendance à la « mère archaïque ». Un tel lien de dépendance et d'amour - même s'il n'est pas directement identifiable à celui qui unit l'animateur à son association - mérite d'être évoqué ici parce qu'il permet de comprendre comment le pouvoir, l'exploitation, peuvent « tenir » sans que ceux-là mêmes qui en pâtissent ne les rejettent. C'est précisément ce lien de dépendance affective qui remplit une fonction d'adhésion, de « colonisation intérieure », telle que le pouvoir ne s'impose pas de l'extérieur. Il joue, au contraire, à l'intérieur même des sujets sur lesquels il s'exerce, provoquant en eux un sentiment de culpabilité, voire de honte et d'invalidation personnelle, lorsqu'ils tentent de s'en affranchir.

Dans le second cas (celui de l'entreprise hypermoderne), l'attitude dominante est l'adhésion, l'évitement de la déviance, dont les ressorts sont la gratification et la défaveur (qui renvoient symboliquement à l'offre d'amour et au retrait d'amour de la mère)(PAGÈS et al., 1984, p. 72).

On touche là aux conditions psychologiques du fonctionnement d'une structure professionnelle. Sur ce point il est tout à fait remarquable d'observer que les entreprises, par l'intermédiaire des « projets et autres cultures d'entreprise » s'efforcent de créer cette adhésion, ce lien fort qui est l'apanage du champ associatif militant. Toujours dans une perspective de mise en relation entre des constats empiriques et des concepts susceptibles de se nourrir mutuel « don ». Mauss définit, en effet, l'institution du don comme réalité qui satisfait le bénéficiaire et, en même temps, « l'oblige », le fait entrer dans une relation de subordination vis à vis du donateur. Avec le don, il s’agit d’abord de recevoir. Mais ensuite, il faut « rendre. » Reste la question de la forme sous laquelle on peut rendre.

Une partie considérable de notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même atmosphère du don, de l'obligation et de la liberté mêlés... (…). Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l'a accepté...(…). Mêmes des usages récents et ingénieux, par exemple les caisses d'assistance familiale que nos industriels français ont librement et vigoureusement développés en faveur des ouvriers chargés de famille, répondent spontanément à ce besoin de s'attacher les individus eux-mêmes... (MAUSS, 1993, p. 258-261).

On peut enfin ajouter que la tension entre bénévolat-militantisme, d'une part, et professionnalisme, d'autre part, ne se limite pas au conflit intra-personnel que vivent et expriment les animateurs en formation. Elle constitue l'une des sources vives des conflits aigus qui traversent les institutions socioéducatives ou socioculturelles et qui opposent justement les bénévoles-militants, d'une part, et les professionnels, de l'autre. Les premiers reprochent aux seconds de n'être plus animés par la fibre militante, de se conduire en « fonctionnaires » et de compter leur temps (ce sont les mêmes reproches que les animateurs adressent aux enseignants !). En retour, les seconds reprochent aux premiers d'être incompétents. Ce qui n'arrange rien, et se traduit parfois par des licenciements (PEYRE, 2005)5. Car les bénévoles-militants sont, dans les structures associatives, les employeurs des professionnels.

Conclusion. L’Histoire vie en formation : un processus de subjectivation comme construction ou re-conctruction des subjectivités.

La subjectivité est la manière dont le sujet fait l’expérience de lui-même dans un jeu de vérité où il a rapport à soi (FOUCAULT, 1994)6.

Connaissance de soi et transformation du rapport au savoir.

Dans tous les cas, la démarche « histoires de vie » modifie la connaissance que chacun a de son histoire et de lui-même, ne serait-ce que par le travail de mémoire qui met au jour toute une série d’expériences, sinon totalement oubliées, du moins enfouies loin dans la mémoire. Souvent la narration des uns entraine et déclenche le souvenir chez les autres. Ce sont là les processus d’écho sur lesquels je reviendrai.

Mais surtout et sous un angle plus qualitatif, on a clairement affaire à un processus d’autoformation (PINEAU; MARIE-MICHELE, 1983) ce qui n’est pas exactement une autodidaxie, c’est à dire un acte solitaire de formation. Dans le cas des récits de vie en groupe, le processus de formation peut être dit « solidaire » dans la mesure où l’autre, les autres - accompagnateurs compris - y prennent largement part. Mais surtout, on doit insister sur la relation étroite entre expérience et concept. Les éléments et modèles théoriques - y compris académiques - ne sont proposés que dans la mesure où ils éclairent partie ou tout de l’histoire rapportée par le narrateur. Parmi les conséquences directes de cette relation, une expérience du savoir qui n’a plus grand chose à voir avec l’apprentissage scolaire. Dans le cas du récit de Fred, le concept d’habitus et son rôle déterminant prennent pleinement sens7 parce qu’ils éclairent l’expérience du narrateur en l’amenant à la regarder autrement. Ici se joue très fréquemment une véritable réconciliation avec le savoir d’apprenants que je nomme les « fâchés de l’École » parce qu’ils sont initialement porteurs d’une expérience d’échec du processus d’apprendre dans un cadre formel où ils n’ont pas perçu le sens des savoirs proposés. Cette réconciliation ne joue d’ailleurs pas que pour le seul sujet narrateur dont l’expérience vécue fait l’objet de l’analyse proposée, elle joue aussi pour les autres qui écoutent et dont le parcours personnel de formation contient souvent des expériences analogues. Dit autrement, il y a des phénomènes « d’écho » très forts qui se traduisent par ceci que l’histoire des uns résonne dans celle des autres, en sorte que ce qui vient éclairer l’expérience des uns, jette une lumière sur celles des autres.

Reconnaissance de soi.

La transformation relative de la connaissance de soi se double d’une modification de la reconnaissance de soi. Plus précisément, chaque narrateur au cours et à l’issue de son récit de vie, se sent et se sait davantage reconnu. L’écoute bienveillante et l’accueil attentif dont chaque récit fait l’objet, constituent par eux-mêmes un acte de langage (AUSTIN, 1970) qui signifie au narrateur : « ce que tu dis de ton histoire, c’est-à-dire de toi-même retient notre attention et notre intérêt. » Ce processus de reconnaissance par autrui est d’autant plus fort que le narrateur commence souvent son récit par ces mots : « je n’ai pas grand-chose à dire et ce que ne va sans doute intéresser personne ! » En réponse il va recevoir d’abord l’écoute silencieuse et quasi religieuse de son récit. Ensuite, il entendra les « retours » qui lui seront faits par les pairs en termes d’échos avec leur propre histoire. Il recevra également, en réponse aux questionnements qui sont les siens et qu’il aura bien voulu transmettre au groupe, les propositions d’explications ou de mise en lien de tel ou tel événement de son histoire avec tel ou tel autre. La qualité de ces retours le renseigne sur le degré de compréhension et d’attention dont sa narration a fait l’objet. Et si l’on se centre sur la question du rapport au savoir, ce point est majeur. Le récit de Fred en témoigne. Les retours qui lui sont faits pour expliquer ou plutôt comprendre pourquoi il avait eu le sentiment de ne pas être à sa place à l’université et pourquoi il avait abandonné ses études, ont contribué à ce qu’il reprenne confiance en sa capacité à apprendre. Ce n’est pas la même chose de se dire qu’on a échoué à apprendre parce que l’on serait idiot et/ou paresseux, et de comprendre que c’est le fait d’une détermination sociale et culturelle qui attache une valeur négative au savoir théorique et joue à l’insu de l’agent concerné lui-même. Ici quelque chose de la confiance en soi nécessaire au processus d’apprendre se répare.

Enfin, un autre élément va participer à la reconnaissance de soi. C’est que malgré la mise au jour des influences diverses sur le cours de sa vie que la démarche suscite - et parfois à travers elles -, le narrateur se révèle comme ayant été au moins agent actif de son histoire. C’est dire que même lorsqu’il a été déterminé à agir dans telle ou telle direction par des forces d’abord extérieures à lui, c’est tout de même lui qui a agi pour que ce déterminisme s’accomplisse. Le récit de Fred et du moment où il décide de sécher les cours, réalisant ainsi quelque chose de l’habitus du monde social auquel il appartient, en témoigne. Et comme tout n’est pas entièrement déterminé dans une vie, il y a aussi les moments où le narrateur se révèle davantage comme sujet-acteur que comme simple agent de son histoire. Ce sont les moments où de son propre chef il pose des actes décisifs allant parfois à contre-courant des déterminismes qui s’exercent.

L’estime de soi est le moment réflexif de la praxis : c’est en appréciant nos actions que nous nous apprécions nous-mêmes comme en étant l’auteur, et donc comme étant autre chose que de simples forces de la nature ou de simples instruments (RICOEUR, 1990, p. 208.).

L’exemple qui me vient à l’esprit pour illustrer cette idée est celui de la personne que j’appelle « la petite-fille symbolique de l’Abbé Pierre. » Durant l’hiver 1954 - un hiver particulièrement rigoureux en France - au cours duquel l’Abbé Pierre se fera connaître du grand public en poussant son fameux « coup de gueule » contre l’incapacité des gouvernants à trouver des solutions de logement pour les « sans-abris », nombreux et particulièrement vulnérables en ces temps de froid intense. C’est cette année-là qu’avec les compagnons d’Emmaüs dont il est le fondateur, parmi d’autres personnes auxquelles il viendra en aide, il recueille et trouve un abri pour une femme vivant dans la rue. Cette femme une fois relativement insérée socialement grâce à cette aide, va s’engager dans les compagnons d’Emmaüs. Elle aura à son tour une fille qui aura un peu le même parcours que sa mère et qui aura elle-même un enfant, une fille. La grand-mère et la mère auront pour cette petite-fille un projet fort et déterminant. On sait que lorsque les parents ont un projet qu’ils n’ont pas pu réaliser eux-mêmes, ce projet devient le destin de leur enfant. C’est un peu ce qui se passera. La mère et la grand-mère veulent absolument que la fille et petite-fille fasse des études, soit la première de cette lignée de trois femmes à passer le baccalauréat et devienne avocate pour défendre…les pauvres et les sans-abris. Le projet est une modalité de déterminisme. La jeune fille s’y plie, elle passe et obtient le baccalauréat, fait des études de droit, devient avocate et…au moment d’exercer, elle décide de devenir avocate d’affaires pour défendre des gens fortunés, sans doute aussi pour gagner de l’argent. Ce que je retiens de cette affaire, c’est que même à l’intérieur d’un déterminisme fort, il y a de la place et de la marge pour l’exercice de la liberté du sujet-acteur. Dit autrement, l’histoire d’une vie n’est jamais entièrement déterminée de l’extérieur et l’on n’est jamais ni entièrement déterminé ni entièrement libre. On est les deux à la fois. Cette prise de conscience de soi comme capable d’infléchir le cours de sa vie est la condition première du processus d’historicité dont il va être question plus loin (§ 4.)

Pour nous, l’homme se caractérise avant tout par le dépassement d’une situation, par ce qu’il parvient à faire de ce qu’on a fait de lui (SARTRE, 1960, p. 85).

Structuration.

Lorsqu’il prépare et lorsqu’il énonce son récit de vie, le narrateur ne dit jamais tout. Et heureusement, sinon ce serait parfaitement inexploitable. Il y a tout un écart entre la vie telle qu’elle fut vécue à travers une multitude d’événements dont la seule structure est de se succéder chronologiquement, et le récit de cette même vie. Déjà, dans cette diversité de prime abord quelque peu confuse et bigarrée des événements vécus, le narrateur va sélectionner ce qui lui paraît significatif, digne d’être énoncé et écarter ce qui ne l’est pas. Ce faisant, il crée une première modalité de structuration ou de configuration (RICOEUR, 1983) en établissant des liens de causalité ou simplement de commune signification entre certains événements qui prennent alors une place centrale dans son récit parce qu’il leur suppose une place majeure dans le cours de vie. Les « retours » des participants - accompagnateur compris - vont souvent revisiter et faire bouger cette première structuration. C’est la fonction des propositions de « pistes de compréhension de son histoire » faites au narrateur et qui relient entre eux des éléments de son récit qui n’apparaissaient pas comme tels dans son énoncé initial. Ce sont là des connexions de vie (DILTHEY, 1947) qui structurent à la fois le récit, le regard que le narrateur porte sur son parcours et finalement sur lui-même.

Historicité

L’historicité est la capacité qu’à l’être humain, à partir de l’analyse réflexive de son histoire passée et de la prise de conscience des influences qui se sont exercées sur elle, à se donner suffisamment prise sur son avenir pour l’infléchir. C’est très précisément ce qui se passera pour Fred. À partir de l’analyse de son échec universitaire passé qui le rapporte, non pas à une disposition personnelle de type paresse ou inaptitude intellectuelle, mais à une valeur intériorisée de son milieu d’origine, il s’autorisera ce que jusque-là il s’interdisait : les études universitaires et la théorie pour lesquelles il avait en réalité un véritable désir.

Vers l’individuation collective

Jusqu’ici a surtout été souligné ce que la démarche « histoires de vie » est susceptible d’apporter à chaque participant, individuellement, en termes de construction personnelle, affirmation et reconnaissance de soi, autorisation. Mais l’intérêt de ce type de pratique en formation ne se limite pas à ces bénéfices individuels. Il touche aussi au collectif. Pour avoir accompagné une quinzaine de promotions de professionnels de l’animation candidats au DEFA, dont certaines sont passées par le module « histoires de vie » et d’autres, non ; mes collègues formateurs et moi-même avons pu comparer. Nous avons fait le constat que dans les promotions qui avaient travaillé les histoires de vie le groupe n’était pas du tout le même durant les trois années pendant lesquelles la formation s’étendait que dans les promotions pour lesquelles la démarche n’avait pas eu lieu. La différence tenait à ceci : dans le premier cas, on avait affaire à un véritable collectif d’apprenants solidaires et enclins à la coopération ; dans le second, la promotion tendait davantage à n’être qu’une juxtaposition d’individualités solitaires. Pour le dire autrement, dans le premier cas, un «nous» s’affirmait qui était nettement moins manifeste dans le second.

L’hypothèse que nous avons faite pour comprendre cette différence, tient à ceci : la démarche « histoire de vie » ne met pas seulement en jeu des processus de type psycho-individuel, mais toujours aussi des processus sociaux. D’où la nécessité du recours à des cadres de référence sociologiques pour la travailler. Tout ce qui tient au repérage des points de rencontre entre les différents récits qui permettent de repérer les éléments caractéristiques des métiers de l’animation socioculturelle et de l’éducation populaire, s’inscrit dans ce registre. Au bout du compte, les participants ont découvert que par-delà les différences entre les parcours professionnels et de vie des uns et des autres, ils s’inscrivaient dans une histoire sociale commune et des valeurs partagées. Toutes choses qui définissent une individuation collective.

L’individuation est le «processus par lequel le divers en général, le divers que je suis, aussi bien que le divers que nous sommes, tend à s’unifier et, par-là, tend vers l’in-divisibilité de l’individu, c’est-à-dire vers sa pure adéquation à lui-même » (STIEGLER, 2003.)

1Du grec Klinikos désignant la posture de celui qui s’incline ou se penche au chevet d’un tiers.

2Le DEFA n’existe plus aujourd’hui en 2020. Il a été remplacé par le Diplôme d’État Jeunesse-éducation populaire-sports (DEJEPS) de niveau III. La pratique présentée eut lieu en 1995.

3Fred m’a explicitement autorisé à rendre ses propos publics. Le pacte passé avec les participants à ce travail continue de m’engager.

4Le verbe « pâtir » (qui signifie souffrir) a la même étymologie que le mot "passion ». Tous deux viennent du grec "pathos »

5On commence à savoir que le monde associatif n’est pas exempt de conflits du travail et de harcèlement professionnel. Avec une préface de Christophe Dejours (2005) et en réponse à une commande de la CGT, en témoigne.

6Article Foucault du «Dictionnaire des Philosophes » (1984) de Denis Huisman rédigé par Foucault lui-même sous le pseudonyme de Maurice Fleurance (M.F., comme Michel Foucault) et publié dans Foucault, «Dits et écrits », 1994.

7Entendu comme ce qui confère intelligibilité et valeur à un objet de savoir.

REFERENCES

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SARTRE, Jean-Paul. Questions de méthode. Paris: Gallimard, 1960. [ Links ]

STIEGLER, Bernard. Passer à l’acte. Paris: Éditions Galilée, 2003. [ Links ]

Received: October 20, 2020; Accepted: December 02, 2020

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