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Educar em Revista

versão impressa ISSN 0104-4060versão On-line ISSN 1984-0411

Educ. Rev. vol.37  Curitiba  2021  Epub 09-Abr-2021

https://doi.org/10.1590/0104-4060.79272 

DOSSIER - La dimension biographique en tant que processus de formation et de compréhension de soi et du monde

Dialectique temporelle dans le récit de soi vivant avec une maladie rare

Martine Janner Raimondi* 
http://orcid.org/0000-0001-7781-8685

*Université de Sorbonne. Paris Nord, UR, França. E-mail: martine.janner@univ-paris13fr


RÉSUMÉ

Cet article vise à identifier les dynamiques et les tensions dialectiques temporelles en jeu dans le récit de soi, la narration et les processus de compréhension de soi et du monde qui se révèlent dans l’autobiographie (DELORY-MOMBERGER, 2014) des récits sollicités et rédigés par des patients volontaires, atteints d’une maladie rare auto-immune : le lupus érythémateux systémique et sclérodermie. Cette recherche appelée E-Fom Innov (2016-2018), portée par le Pr. Farge-Bancel, donne ainsi voix aux personnes concernées, pour donner à entendre leurs expériences du vivre avec une maladie rare, dans le sillage de Tourette-Turgis (2013) et Flora (2013). C’est dans le cadre de la phénoménologie qui s’inspire de Husserl (1964; 1980), notamment sur sa conception dynamique du temps (PICARD, 2009), des travaux de Ricoeur (1985; 2005) et de Romano (1999) sur les enjeux du temps raconté et d’événement que sera examinée la dialectique temporelle à l’œuvre dans le récit de première personne. Ainsi, dans le processus de pathologisation allant de l’anomalie à la maladie, nous examinerons le(s) rôle(s) du temps dans l’inquiétude du soi, avant de conclure sur une redéfinition du prendre soin (WORMS, 2014).

Mots clés: Autobiographie; Autopathographie; Maladie chronique; Expériences; Approches narratives; Soin; Médecine

RESUMO

O presente artigo visa identificar as dinâmicas dialéticas temporais e as tensões presentes na narrativa pessoal, na narração de histórias e nos processos de compreensão de si mesmo e do mundo que são revelados na autobiografia (DELORY-MOMBERGER, 2014) de narrativas solicitadas a pacientes voluntários, portadores de uma doença autoimune rara: lúpus eritematoso sistêmico e esclerodermia, escritas por eles mesmos. Na esteira dos trabalhos de Tourette-Turgis (2013) e de Flora (2013), esta pesquisa, denominada E-Fom Innov (2016-2018) e liderada pelo Prof. Farge-Bancel, deu voz às pessoas envolvidas para poder compreender as experiências de uma vida com uma doença rara. É no âmbito da fenomenologia inspirada em Husserl (1964; 1980), particularmente na sua concepção de dinâmica do tempo (PICARD, 2009), do trabalho de Ricoeur (1985; 2005) e de Romano (1999) sobre as questões de tempo narrado e eventos, que a dialética temporal em ação na narrativa em primeira pessoa será examinada. Assim, no processo de patologização indo da anormalidade à doença, vamos examinar o(s) papel(is) do tempo diante da inquietude do eu, antes de concluir com uma redefinição do cuidado (WORMS, 2014).

Palavras-chave: Autobiografia; Autopatografia; Doença crônica; Experiências; Abordagens narrativas; Cuidado; Medicina

ABSTRACT

This article aims to identify the dynamics and temporal dialectical tensions at play in self-narration, narration and the processes of understanding the self and the world that are revealed in the autobiography (DELORY-MOMBERGER, 2014) of the solicited and written by volunteer patients with a rare autoimmune disease: systemic lupus erythematosus and scleroderma. This research called E-Fom Innov (2016-2018), led by Prof. Farge-Bancel, thus gives voice to those concerned, to give voice to their experiences of living with a rare disease, in the wake of Tourette-Turgis (2013) and Flora (2013). It is within the framework of the phenomenology which is inspired by Husserl (1964; 1980), in particular on his dynamic conception of time (PICARD, 2009), the work of Ricoeur (1985; 2005) and of Romano (1999) on the stakes of the time told and of the event that will be examined by the temporal dialectic at work in the first-person narrative. Thus, in the pathologization process from abnormality to disease, we will examine the role (s) of time in self-anxiety, before concluding on a redefinition of taking care (WORMS, 2014).

Keywords: Autobiography; Autopathography; Chronic disease; Experiences; Narrative approaches; Care; Medicine

Introduction

L’enjeu de ce numéro vise à repérer les dynamiques et tensions entre les temporalités du récit, les effets de la narration et les processus de compréhension de soi et du monde qui en résultent via la dimension biographique. Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette problématique, nous ferons référence : d’une part, aux récits rédigés par des patients atteints de maladie rare auto-immune : la sclérodermie systémique et le lupus érythémateux systémique dans le cadre d’une recherche visant à recueillir leurs points de vue sur l’annonce, les prises en charge, le vécu de la maladie et son traitement. Nous tenons tout particulièrement à remercier chacun.e des 28 patients qui se sont engagés dans cette recherche portée par Dr. Farge-Bancel1 à laquelle ont été associés des chercheurs en sciences de l’éducation, sous la responsabilité des Pr. C. Delory-Momberger2 et C. Tourette-Turgis. Considérés comme co-chercheurs (18 sont atteints de sclérodermie ; 10 de lupus), leurs autopathographies (ROSSI, 2019) constituent le cœur même du volet sciences humaines de cette recherche3 visant à donner voix aux patients dans le sillage des travaux de Tourette-Turgis (2013), Flora (2013), Jouet, Flora & Las Vergnas (2010) ainsi que ceux l’université de Montréal concernant les formations des patients-ressources et des professionnels de santé. Pour Tourette-Turgis (2013), en effet, il s’agit de considérer les sujets atteints d’une maladie chronique en tant que producteurs d’un ensemble d’« activités au service de leur maintien de soi en vie ».

Le volet de recherche sur lequel nous prenons appui s’inscrit en recherche biographique (DELORY-MOMBERGER, 2009; 2014) dont la visée consiste non seulement à apprendre de l’autre, en le sollicitant avec retenue afin de limiter le risque de trop peser dans l’échange, le chercheur ne se positionnant pas en cueilleur de données ; mais également à accorder au récit de soi une attention et une valeur particulière dans la mesure où il constitue un processus central dans la construction individuelle et de production de la sphère sociale (NIEWIADOMSKI, 2019). Pour autant, solliciter une autopathographie reste encore assez rare, en France, sans doute en raison du rapport positif à l’écriture qu’elle présuppose, sans compter les difficultés inhérentes au recours à l’écriture spéculaire, réalisée à l’aide d’outils numériques (BILLOUET, 2010). Il resterait par ailleurs à préciser la pertinence du choix de cet outil, en particulier lors des moments de crises aigües de la maladie rendant impossible l’écriture ou bien encore en raison de ce qu’il est convenu d’appeler la rupture numérique. Une fois déposés sur une plateforme, chaque participant était invité à prendre connaissance des récits des autres, en laissant un commentaire qui viendrait compléter les récits dans un objectif de mutualisation des expériences narrées. Les chercheurs, à leur tour, étaient, ensuite, invités à rédiger une première analyse adressée aux personnes dont ils étaient référents. Par la suite, les échanges ont été réalisés par téléphone ou bien sous forme d’entretiens en présentiel, afin de les rendre plus fluides et accessibles.

Pour apporter des réponses à la problématique posée, nous affinerons les dimensions spécifiquement temporelles en lien avec les expériences vécues puis racontées, en inscrivant notre réflexion dans le champ de la philosophie pratique, et, plus précisément dans la phénoménologie de Husserl (1980), en particulier à travers la lecture expérientelle qu’en fait Depraz (2009), ainsi qu’en référence aux travaux de des travaux de Ricoeur (1985; 2005) et de Romano (1999) sur les enjeux du temps raconté et de l'événement, sans omettre de faire mention de travaux doctoraux portant sur les expériences des patients atteints de maladie chronique (BARRIER, 2007; LECORDIER, 2019). In fine nos réflexions porteront sur la notion de soin sur la base des réflexions de Worms (2014). Dans le cadre de cet article, nous allons examiner où et comment se situent les dimensions temporelles dans les deux textes de Louise, atteinte de la maladie du Lupus, rédigés à quelques semaines d’intervalle. Comme le précise Bourré-Tessier (2011) dans sa thèse de sciences médicales, le Lupus est une maladie, qui fait partie des maladies chroniques, durant lesquelles le système immunitaire de la personne qui en est atteinte attaque les cellules de son propre organisme, en développant des inflammations pouvant endommager plusieurs de ses organes. Les personnes éprouvent ce qu’il est convenu d’appeler des poussées lupiques qui sont le signe de crises inflammatoires. Les plus touchées sont des femmes, avec une prévalence de la maladie estimée, dans les années 2010, à 1 pour 1000 à 10 000. La maladie se déclare entre l’âge de 15 et 50 ans.

Nous allons à présent, préciser la dialectique temporelle à l’œuvre dans la sollicitation d’un récit de première personne. Puis, nous repèrerons le temps de l’inquiétude du soi à travers l’examen de l’anomalie endurée aux prémices de la maladie, avant que le processus de pathologisation ne commence, transformant ainsi l’anomalie initiale en anormalité (LECORDIER, 2019) et faisant éprouver à la personne la radicalité de sa propre temporalité. Enfin, nous évoquerons l’importance du temps et du récit dans cette appréhension de soi avant d’apporter quelques perspectives en termes de prendre soin.

Sollicitation du récit de première personne et Soin de soi : dialectique temporelle

La sollicitation des récits de personnes directement concernées par une thématique de recherche a fait son apparition dès les années 1920 dans le département de sociologie appelé par la suite « École de Chicago », alors même qu’il s’agissait d’une « entreprise multiforme, très pragmatique, en dehors des standards académiques » (PENEFF, 1990, p. 36). Or, pour Delory-Momberger (2019, p. 343): « dans et par le récit, le sujet accomplit un acte de configuration et d’interprétation - de mise en forme et en sens - de l’expérience vécue » .

Il s’agit précisément de porter son attention aux récits des expériences vécues de la première personne. Breton (2020) dans le sillage des approches de Vermersch (1994) et Depraz (2011), précise les attendus d’une approche « en première personne », et non « à » [la] première personne. Or, comme le souligne Depraz (2011): « Parler « en première personne », c’est adopter, selon l’expression de Vermersch, une « prise de parole incarnée, c’est-à-dire entrer dans un régime d’expression qui manifeste à plein la réalité concrète d’un contact avec ce que l’on vit au moment où je le formule. Le discours en fournit des indications » (DEPRAZ, 2011, p. 62). Sans nier l’importance d’une telle visée, notre recherche ne comportait pas une telle exigence. L’invitation à raconter « comment tout cela (la maladie) a commencé ? » ne demande pas une description d’un quasi re-vécu, comme s’il était possible de se plonger dans son passé pour le revivre, car cela aurait requis une démarche et une conduite d’entretien rigoureuse et précise, à l’instar de l’entretien d’explicitation ou d’auto-explicitation développé par Vermersch (1994) et Petitmengin (2010), notamment. Notre propos se situe donc au niveau de l’écrit de la personne, elle-même, avec son langage, ses mots, sa phraséologie propre, l’objectivation d’une pensée qui s’exprime et se partage, sans chercher à exiger d’elle qu’elle re-vive ses expériences vécues, ni pouvoir dire quoi que ce soit à ce propos. Notre postulat consiste davantage à accueillir le récit du co-chercheur pour ce qu’il est : c’est-à-dire son récit ; celui qu’il donne à entendre à ses pairs et qu’il nous adresse, sans chercher à savoir s’il correspond ou non à ce qui a été vécu.

Notre recherche s’inscrit par conséquent dans le sillage d’une épistémologie qui revisite les canons de la vérité fondés sur la preuve expérimentale et les lois statistiques de l’Evidence Based Medicine, en développant des approches de la subjectivité par-delà la pensée hypothético-déductive et les raisonnements statistiques. Ces recherches, particulièrement développées dans le cadre de la prise en compte des personnes dont les normes du vivre diffèrent de celles du plus grand nombre, donnent ainsi à entendre des voix différentes (GILLIGAN, 2008) notamment en lien avec les souffrances vécues dans leur corps de chair (HUSSERL, 1980), la sensibilité de leur âme et les soins. Les éprouvés du handicap, de la maladie, en particulier celle(s) chronique(s) et a fortiori rare(s), accentuent d’autant les difficultés du « vivre avec » ; ils taraudent le corps et avec lui la conscience, comme à vif, provoquant alors le souci de soi et par là-même la préoccupation du soin de soi. En effet, ces derniers se vivent sur la temporalité longue d’une vie et ne laissent, au mieux, qu’espérer une rémission ou bien un « vivre-avec » n’aggravant pas (trop) l’état de santé du patient qui en est porteur. Or, de fait, « nous ne voyons le soin (…) que lors des épreuves qui affectent la continuation de nos vies, et peuvent aussi menacer les interrompre » (WORMS, 2014, p. 141). La thèse défendue en sciences de l’éducation par Barrier (2007), qui ne vise pas seulement à faire exister le point de vue des patients, part de sa propre expérience de malade pour reconsidérer la relation de soin. Lecordier (2019) propose dans son travail doctoral, de facture sociologique, de modéliser les étapes de construction de la trajectoire de la maladie chronique au regard du rôle de la norme et du facteur temps. « Des situations inhabituelles aux gênes qui dérangent, voire qui deviennent insupportables, il existe des degrés d’intensité de l’anomalie qui entraînent des questions à ceux qui les vivent » (LECORDIER, 2019, p.16).

Nous nous proposons de revisiter les étapes de sa modélisation allant de l’anomalie à la maladie en passant par l’anormalité, puis la pathologie, pour repérer à travers les dimensions temporelles du récit des patients, le déroulé de leurs prises de conscience des expériences vécues avec une maladie auto-immune, rare. En premier lieu, considérons que, pour Lecordier, ce sont bien les récits oraux des patients qui lui ont permis à d’élaborer un modèle de trajectoire de la maladie dite chronique. En second lieu, ces récits ont également rendu possible le repérage d’une non continuité de la maladie « chronique », au sens où alternent des moments de répit durant lesquels le malade se sent bien et des moments de crise nécessitant des interventions et des traitements plus spécifiques. C’est pourquoi l’auteur parle des patients comme d’« intermittents de la maladie (chronique) » allant jusqu’à réinterroger le statut et l’usage de la notion même de chronicité et de « maladie chronique » (LECORDIER, 2019, p. 15).

Pour notre part, nous allons reprendre la lecture des récits écrits des patients porteurs de maladie rare pour repérer les aspects temporels au cœur des expériences vécues restituées dans les textes, aussi bien au niveau des contenus thématiques (BARDIN, 2013) en lien avec la place accordée au soi, à l’autre et au monde, marquée par le temps, qu’au niveau du processus de conscience mis en place de façon sous-jacente pour mettre au jour et transcrire les événements, les éprouvés et les ressentis configurés dans le récit. À travers ces repérages, qui redonnent vie aux textes écrits par les patients, nous tâcherons également d’appréhender les différentes acceptions du soin.

Le temps de l’inquiétude du soi commence par l’anomalie vécue, endurée, à laquelle le récit écrit donne une forme réactualisée

Les signaux d’alerte d’une maladie chronique se situent tout d’abord au niveau de la temporalité vécue de l’anomalie constatée dans sa chair, à laquelle la personne prête plus ou moins attention au début, puis finit par y accorder de l’importance, tant elle persiste. À l’instar de Marguerite, âgée de 89 ans (LECORDIER, 2019, p. 161), voici le début du récit de Louise, qui se souvient des premières sensations douloureuses et étranges, qu’elle éprouve alors âgée de vingt ans. Elle les supporte, temporise et tente de les contrer en se montrant plus fortes qu’elles, jusqu’à l’intervention et l’inquiétude des proches qui déclencheront le souci et le soin de soi.

Lors de ma 1ere année de fac à S. (1999-2000) ma première habitation sans mes parents, il m'arrivait souvent de me sentir très fatiguée et d'être de très mauvaise humeur. Je me réveillais souvent avec les articulations des chevilles des poignets et des doigts très gonflées et très douloureuses. Mais je n'en avais parlé à personne pensant que c'était normal ! Par ailleurs, depuis l'été, durant lequel j'ai été monitrice d'équitation, palefrenière et entraîneur de chevaux de courses, mon énorme coup de soleil au visage ne disparaissait pas.

Plus le temps passait et plus je me sentais mal physiquement et moralement. Mais pour ne rien montrer, je me faisais violence et vivais avec un rythme d'étudiant : beaucoup de sorties nocturnes, mal bouffe... et à faire beaucoup de sport. Au mois de mars, mon père fêtant ses 50 ans un grand nombre de personnes étaient présentes dont un médecin. Ce dernier m'a vue à mon retour d'une séance de sport (2h de tennis et 10km en course à pied), et m'a lâché un "toi tu as un lupus".

Ma mère étant juste à côté n'a pas pris ça à la légère sachant que son propre père en était mort (Louise).

Ce premier temps de l’anomalie se retrouve dans tous les autres récits des patients, que nous avons recueillis. Il équivaut à un temps d’épreuves et d’endurance, qui précède et annonce déjà le potentiel souci de soi. En nous efforçant de repérer les traces de prise de conscience, au(x) moment(s) où l’anomalie bascule dans l’inquiétude pour soi et le souci de soi, il apparaît que tous les récits des patients sollicités dans la recherche E-Form-Innov ont montré qu’ils étaient capables de signifier à quel moment et sous quelles formes concrètes, vécues, cela a commencé.

Or, lorsqu’un événement surgit, quand bien même celui-ci serait dramatique, il est rare que nous soyons d’emblée capables de répondre à de telles questions « comment tout cela a commencé ? » et « qu’est-ce qui a aidé ou non ? ».

Pour Husserl (1964), la conscience ne s’apparaît à elle-même qu’à travers les phénomènes qu’elle ordonne dans le flux continuel de l’écoulement des choses de la vie, qui nous arrivent ou que nous initions, faisant co-exister dans un mouvement sans fin des rétentions de moments passés, d’instants juste passés dans le présent avec les pro-tensions d’un à-venir proche, ou plus lointain. Husserl (1964, p. 97) examine « le flux de la conscience absolue, constitutive du temps ». Le temps est alors appréhendé comme « temps des vécus », « temps apparaissant » à la conscience, « temps immanent du corps et de la conscience » (HUSSERL, 1964, p. 7). Picard (2009, p. 15) précise: « ce qui fait que la conscience se temporalise, c’est qu’à chaque instant un nouveau maintenant apparaît. Celui-ci transforme par là-même le maintenant présent en maintenant retenu, impliqué par le nouveau maintenant qui lui donne son sens et qui lui-même apparaît comme sens du maintenant, première date ». Comme le souligne encore Bernet (1987, p. 503): « Ce qui est remarquable […] c’est que ce qui lie et noue ces différents fils du temps dans une trame continue, c’est le présent ».

Ainsi, l’expérience perceptive du présent serait en lien avec le souvenir et l’attente, le passé et le futur alors même que l’expérience perceptive du passé, comme du futur lui-même n’ont aucun sens. Le phénomène de prise de conscience révélé dans les récits des patients se rapporte dans le cadre du processus continue de l’écoulement temporel révèle ainsi un travail de présentification qui permet de comprendre l’irréductibilité et l’unicité absolue du récit produit, ici et maintenant. Dès lors, l’être individuel est temporel et le temps auquel il renvoie ne saurait être appréhendé comme un contenant statique ; bien plus, il apparaît dynamique, dans sa dialectique entre les retentions du passé et les attentes du futur comportant d’incessants engendrements et modifications, que le récit écrit fige dans une forme établie à un moment donné. C’est à ce titre qu’il actualise des rétentions de moments passés, non sans tenir compte du présent, voire de l’à-venir.

Cet à-venir peut tenir compte des objectifs mêmes du projet de recherche, qui souligne l’intérêt de raconter pour d’autres, pairs vivants avec la même maladie, mais également soignants qui les accompagnent. La « rareté » d’une maladie ne fait, d’ailleurs, qu’accentuer cette préoccupation de diffuser les récits des expériences vécues de la maladie afin de mieux la faire connaitre de l’intérieur.

La pathologisation de l’anomalie comme processus d’a-normalisation précipite les sensations d’éprouver la temporalité propre

À l’anomalie succède l’anormalité qui se repère suite à l’intervention d’autres personnes, proches ou professionnels de santé qui préconisent alors différentes démarches et examens afin de poser un diagnostic médical. En effet, comme le précise Lecordier (2019, p. 164): « la particularité de l’anomalie est d’être gérée dans l’intimité de la conscience, avant d’être extériorisée ou du moins perçue par autrui. Elle va se révéler « anormale » lorsqu’elle est partagée avec d’autres ». Louise évoque la « brutalité de l’annonce du Lupus» à travers les expressions qu’elle utilise : « Ce dernier m'a vue à mon retour d'une séance de sport (2h de tennis et 10km en course à pied), et m'a lâché un "toi tu as un lupus" ».

La suite du récit précise pourtant un peu plus loin dans le texte que ce médecin avait préalablement posé de nombreuses questions, regardé de plus près ses articulations et son visage, avant de lui conseiller d’aller consulter «rapidement [son]mon généraliste afin qu'il [me] prescrive des examens sanguins ». Le texte révèle ainsi que l’ordre d’énonciation résonne avec les éprouvés émotionnels au moment de l’annonce, et non l’ordre chronologique des faits vécus.

Nous apprenons que la rareté de la maladie et par conséquent sa méconnaissance y compris parmi les médecins ont failli retarder la démarche de soin : «Ce dernier ne voulait pas me disant que je suis jeune et fais du sport donc que c'était n'importe quoi. Nous avons insisté (surtout ma mère), et naturellement les résultats sont revenus positifs avec un début d'atteinte rénale ». Le spécialiste qui avait soigné son grand-père, mort de cette maladie, est rentré en contact avec elle pour présenter les tenants et aboutissants de la pathologie et amorcer un premier traitement :

Le professeur qui suivait mon grand-père à Paris a voulu me rencontrer pour ses recherches généalogiques... et là on m'a expliqué plein de choses sur comment vivre avec ça... mais je n'ai rien voulu entendre et me suis dit que j'allais faire comme si de rien était et que je serai plus forte que le lupus.... malheureusement ça n'a pas fonctionné et le traitement que je prenais me faisait avoir une encore plus mauvaise image de moi même ! J'avais littéralement gonflé avec la cortisone, dès que je pouvais j'arrêtais donc de prendre mon traitement ce qui [a] réenclenché d'autant plus cette maladie ! (Louise).

Les effets du premier traitement accentueront le sentiment de malaise et de haine de soi éprouvé par Louise. L’anomalie initiale qu’elle a vécue dans un passé plus ou moins proche devient pour le thérapeute un « écart aux normes » de santé pour lequel il convient d’intervenir afin de réguler le devenir de la maladie elle-même et limiter son évolution potentiellement grave. Les expériences concernant les traitements des maladies rendent possibles des normes d’évolution de la maladie elle-même, qui servent de repères pour accentuer ou infléchir les soins prodigués et leurs modalités. Mais dans le cas des maladies rares, cette évolution de la maladie n’est pas encore suffisamment connue pour être clairement anticipée. Elle reste lacunaire et cet état de fait accentue d’autant la période d’incertitude pour le patient. Pour Louise, les effets du traitement accentuent cet écart à ce qu’elle pense être « normal » pour autres, dont elle a intériorisé le regard et le jugement supposé. Ses initiatives la conduisent à suspendre son traitement dès qu’elle pense pouvoir le faire. Nous pourrions considérer le paradoxe de son geste comme relevant : d’un côté, d’un désir de maintenir vivant son pouvoir d’agir, par-delà les risques encourus ; et, de l’autre, d’une soumission d’autant plus grande à l’image d’un corps, qu’elle souhaite « normale » en raison du regard supposé des autres. En effet, comme le met en évidence Worms (2014, p. 96) citant Barthes (2002): « Mon corps est pour moi-même l’image que je crois que l’autre a de ce corps, et ainsi s’institue toute une tactique entre les êtres à travers leurs corps […] la peur du ridicule, la possibilité d’exercer une sorte de méchanceté sur le corps de l’autre ». Le récit de Louise indique ensuite qu’elle a pris conscience, au moment où elle rédige le récit, des effets nocifs de ces arrêts, non seulement sur le devenir de la maladie mais également sur « le vivre avec » la maladie.

Louise a écrit son texte en deux temps, à quelques semaines d’intervalle. Dans son second texte, elle revient à nouveau sur le moment de l’annonce de la maladie, en précisant ses ressentis notamment dans le décalage entre son état de fatigue, les souffrances qu’elle éprouve au plus profond d’elle-même et l’image d’elle-même, qu’elle souhaite pouvoir donner aux autres dont elle imagine les attentes. Sa colère apparaît profonde, quasi viscérale et comporte une haine de son corps et de soi. Usant de métaphores, elle évoque alors «une boule de rage» contre elle-même, se sentant «envahie par un monstre cherchant à [la] me détruire », qui l’amènent à songer plusieurs fois au suicide. Tel un cri, elle donne à entendre son désarroi et son mal-être.

Comment envisager le soin thérapeutique si un tel cri n’est pas entendu ? L’introspection et l’engagement dans l’écriture dont fait preuve le récit de Louise iront jusqu’à évoquer le viol dont elle fut victime quelques mois avant l’annonce de la maladie. L’évocation quasi pudique du viol surgit dans le second écrit, comme au détour d’une phrase, et pourtant, cela est signifié donnant à entendre avec d’autant plus de force sa colère, qu’elle repère encore lorsqu’elle rédige, quand vont survenir les crises de poussées lupiques.

Lors de l'annonce de cette maladie, je me sentais très fatiguée physiquement (réveil de plus en plus compliqué, douleurs physiques, manque de motivation...) mais venant d'une famille où la fainéantise et l’écoute de son corps est tabou, j'avais pris la décision de faire comme si je n'avais pas de lupus. Moralement j’étais aussi en difficulté : je me trouvais nulle de ne pas être maître de mon corps. J'aurais voulu pouvoir en changer ... je me détestais. Mais ce sentiment existait depuis quelques mois avant l'annonce car j'ai été victime d'un viol (5 mois avant l'annonce). Je me souviens d'un sentiment de haine vis à vis de moi-même, d'une boule de rage grandissant par moment à l'intérieur de mon ventre. J'ai pu et je peux encore constater que cette sensation de colère profonde précède les poussées lupiques. Je réagissais alors de manière destructrice : j'avais une poussée articulaire alors je faisais un footing ou du tennis, je me sentais totalement épuisée alors je faisais la fête avec mes amis... Alors que d'un point de vue extérieur je m'attelais-là ne pas montrer mon mal être, j’étais là l'intérieur complètement dépassée et me sentais envahie par un monstre cherchant à me détruire. À plusieurs reprises j'ai pensé au suicide mais au final je trouvais toujours un petit peu d'optimisme. Par la suite je m'étais dit qu'avec le traitement ça irait mieux... mais les premiers mois de traitement, avec la cortisone et les immunosuppresseurs j'avais gonflé, le masque n'avait pas disparu et je tombais tout le temps malade. Dans ma vie quotidienne j'entendais régulièrement ‘ha je regrette mes 18ans t'as de la chance profite c'est l'âge de l'insouciance et de la santé...’ J'étais encore plus en colère contre moi même qu'avant et culpabilisais de ne pas maîtriser. Je ne voulais pas en parler avec ma famille, je m'imaginais que mon père ne comprendrait pas et me pousserai á faire comme si tout allait bien, quant à ma mère elle avait pris possession de ma maladie et je ne voulais pas l'angoisser davantage. Lorsque je ne me sentais pas bien, que je sentais la poussée arriver je n'allais pas consulter. J'attendais d'être vraiment mal pour aller à l'hôpital où j’étais régulièrement gardée (Louise).

Les séjours à l’hôpital apparaissent comme recours ultimes «j’attendais d’être vraiment mal» ; pourtant, ils résonnent comme des périodes de répit durant lesquelles Louise accepte d’être soignée, de se laisser soigner, peut-être même, est-ce là sa façon d’accepter de se soigner. Louise poursuit l’écriture de son récit et revient sur l’angoisse éprouvée durant l’attente des résultats d’analyse. Entre peur et désir de savoir, ce temps de l’attente, nous pouvons l’entendre lui-même comme un événement au sens de Romano (2012, p. 162-163) :

L’événement s’annonce toujours sous son propre horizon d’intelligibilité, comme une énigme dont il forme à la fois la clef et le chiffre : se manifestant à la fois par le sens et le non-sens de ce qui apparaît, de prime abord, incompréhensible, et par l’excès d’un sens dont il est l’origine, ouvert, à ce titre, à une tâche herméneutique en droit inépuisable.

En effet, ce temps de l’attente des résultats est un temps ouvert aux constructions plurielles, à la fois incompréhensible et dans le même temps offrant une multitude de sens, laissant la personne qui l’éprouve en proie aux mouvements dialectiques de conscience allant et venant des rétentions du passé aux prévisions en passant par l’instant présent, dont la présentification prend des accents de dramatisation, car ce qui se trouve inauguré c’est la maladie tout au long d’une vie.

Entre le moment de ce moment et jusqu'aux résultats des examens, j’étais très angoissée intérieurement je voulais savoir mais j'avais très peur... je n'en ai pas vraiment parlé à mon entourage... je voulais paraître forte (Louise).

Si comme le précise Housset (1997, p. 16) : « Toute vie consciente est une vie temporelle et toute vie consciente ne peut être que celle d’un ‘je’ », alors le récit de Louise renvoie bien à ces mouvements de prises de conscience de la temporalité de sa propre vie, eu égard à un « je » qui se pose, s’affirme ou subit les événements qui surgissent.

Eprouver la temporalité du soi dans la maladie rare, « chronique » : rôle de la narration

Pour Picard (2009, p. 13), l’être individuel n’est pensable que comme « durant » (l’être en tant qu’être est temporel, le temps est l’être même) ». Or, l’événement de la maladie a fortiori quand elle est « chronique » et rare, qui provoque comme un précipité du temps, comme si la vie des patients s’accélérait brutalement. Les récits donnent à entendre ces mouvements de conscience et de pensée en quête de sens pour permettre aux sujets de comprendre ce qui leur arrive, et vivre ainsi avec la maladie au long cours, malgré les moments de rémission ou de répit durant lesquels les patients ne se sentent plus malades. L’événement de l’attente du diagnostic médical et du devenir de la maladie accentue ainsi les mouvements de prise de conscience de la dramatique temporalité du sujet. En effet, cet événement ouvre des horizons, sombres, qui précipitent le sujet dans sa condition temporelle de vivre avec l’horizon de la mort. Une telle provocation conduit à revisiter ses postures de sujet : comment réagir ? Nombreux sont les récits qui recourent aux métaphores guerrières (guerre, lutte, combat) en écho à Sontag (2009), ou bien ils évoquent la violence, la rage, la haine de soi pour signifier l’état émotionnel dans lequel les patients se trouvent quand ils apprennent leur maladie. Puis, s’amorce le désir de connaître, notamment pour mieux lutter ou bien pour vivre mieux avec. Or, pour Picard (2009, p. 20):

Les choses n’existent que pour autant qu’elles prennent un sens, c’est-à-dire que des intentions ou des pro-jets portant sur l’avenir sont peu à peu remplis par le mouvement progressif de temporalisation objectivante. L’avenir est ce par quoi le passé prend figure et forme - cesse d’être vécu pour être connu. [Ainsi,] toute connaissance est définie comme connaissance d’horizons ou encore comme perspective.

Dès lors, nous comprenons mieux ce qui fait dire à Louise, que malgré le «coup de massue» qu’elle avait reçu, elle se sentait paradoxalement «soulagée». Son horizon de sens et les perspectives finissent par devenir au moins pensables, à défaut de devenir la personne qu’elle aurait aimée devenir. Au fond, cette idée que, ce sont les expériences et non le sujet lui-même, qui ouvrent de nouveaux horizons et fournissent ainsi au sujet qui les vit la possibilité d’advenir à lui-même, rejoint celle de Romano (2012, p. 192) parlant de l’ex-pér-ience. « […] l’ex-pér-ience est la condition de toute compréhension de soi-même et du monde en tant qu’elle s’enracine dans des événements ».

À travers la narration rédigée de l’expérience vécue de l’attente des résultats d’analyses médicales, Louise éprouve sa temporalité propre, et, nous pourrions dire qu’elle éprouve non seulement sa temporalité propre, mais également la réduction de celle-ci. En effet, à l’attente succède le verdict du diagnostic, qui réduit la marge des rêves et projets possibles lorsque l’on est âgé d’à peine 20 ans.

À l'annonce des résultats je n'ai rien eu à faire, je me suis sentie dépossédée mais en même temps soulagée car j'étais sous le choc. Je venais d'apprendre que j'étais malade à 18 ans et à vie, ma vie était gâchée, mes études de STAPS... J'avais pris un coup de massue sur la tête. Ma mère a pris tous les rdvs médicaux, a commencé à essayer de gérer ma vie, ma réaction a été stupide je me suis entêtée à ne pas écouter, à faire comme si de rien était, à ne pas prendre mes médicaments régulièrement, à me coucher tard le soir. Cette période a réellement été un calvaire pour moi (Louise).

Ces propos font écho à l’un des derniers textes de Ricoeur (2005, p. 446): « l’identité personnelle est marquée par une temporalité qu’on peut dire constitutive. La personne est son histoire ». Ainsi aux capacités de pouvoir dire et pouvoir agir s’ajoute fondamentalement celui de pouvoir raconter, qui occupe une place « […] éminente dans la mesure où les événements de toute origine ne deviennent lisibles et intelligibles que racontés dans des histoires […] La mise en récit opère une bifurcation dans l’identité elle-même - qui n’est plus seulement celle du même et intègre le changement comme péripétie» (RICOEUR, 2005, p. 447).

In fine, l’histoire d’un moment de sa vie, voire l’histoire d’une vie, ne cesse de se modifier à travers la refiguration « de toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet raconte sur lui-même » (RICOEUR, 1985, p. 356). Or, pour Ricoeur, c’est précisément la vie elle-même appréhendée comme « un tissu d’histoires racontées », qui rend possible une connaissance de soi comprise comme vie examinée, grâce aux récits.

Eléments de perspective : Passer du vécu temporel éprouvé douloureusement au soin de soi

Pour autant, avec la maladie se pose d’emblée la question du soin. En médecine, le remède va de pair avec le mal, à moins de se révéler totalement impuissante. Là aussi, les dimensions temporelles se révèlent fondamentales. Worms (2014) fait ressortir cet aspect fondamental du temps inhérent aux épreuves mêmes de la vie : « C’est que toute épreuve dans nos vies se traduira aussi par une prise de conscience du temps, son plus comme contact mais comme séparation, le temps comme distance, qui est alors lui aussi une souffrance » (WORMS, 2014, p. 151). Les textes de Louise donnent lire ces prises de conscience, ces séparations avec le cours habituel que peut prendre une vie sans embûche, ces souffrances. Vivre avec une maladie au long cours, même si l’aspect « chronique » se révèle diversifié et non continue comme l’a précisé LECORDIER (2019), implique une radicalisation du rapport au temps chez la personne malade.

La réflexion conduite nous amène à considérer la profondeur du propos de Picard (2009, p. 24): « Le retour sur soi n’est en effet possible que si l’on fait du temps une dialectique ».

En outre, ce temps dialectique invite à appréhender ses enjeux en termes de soin. Aussi, nous rejoignons Worms (2014, p. 152) pour qui : « Le soin ne saurait donc consister dans un rapport extérieur au temps, une attente ou une promesse, même de guérison ». Dit autrement, faire le récit d’une épreuve renvoie au temps intérieur, subjectif, vécu et éprouvé en soi-même. Là encore, le récit de Louise nous fait toucher du doigt cet éprouvé du temps dans sa vie. Les analyses élaborées pour comprendre ce qu’elle a pu vivre à travers le récit qu’elle en fait, nous invitent à y voir combien en référence à Deleuze (1993, p. 11-12) : « Écrire n’est certainement pas imposer une forme à une matière vécue. […] C’est un processus, c’est-à-dire un passage de Vie qui traverse le vivable et le vécu ». Ce processus de l’écriture renvoie à une transformation de soi qui donne à entendre une vie ou une part de vie, dont la singularité résonne avec celle des autres. L’histoire écrite par la personne apparaîtra toujours contre celle écrite par d’autres à sa place. Cette forme de résistance s’entend alors comme « souci de soi » contre le biopouvoir (FOUCAULT, 1994).

Mais, comme le précise Worms (2014, p. 257), par-delà le fait de donner à entendre le récit d’une voix singulière, il s’agit aussi d’entendre ce que la personne pense. « Ce n’est pas seulement entendre « sa voix », mais lui donner une place dans le concert des voix humaines, dans la discussion surtout dans la décision, lorsqu’elle est disputée, parfois tragique (comme ici), et que, en outre, elle le concerne ».

Lire le récit de Louise et le donner à lire n’a de sens que si nous laissons son récit, nous atteindre, nous affecter, en nous donnant à réfléchir la pensée de l’auteure, pour qu’adviennent, dans le dialogue et la discussion, de nouveaux horizons de soin placés sous le signe de la relation humaine inscrite au cœur des épreuves du temps. À travers son texte, nous avons non seulement pu toucher de près la dialectique du temps dans un « prendre soin de soi » qui engage nécessairement une relation à l’autre, aux autres, mais également appris de lui comme une « leçons de vie » en écho à Stiker (2017, p. 182) pour qui la condition handicapée est « emblématique de la condition de tous les humains ».

1Cette recherche portée par le Dr. Farge Bancel, de l’hôpital Saint-Louis, AP-HP, labellisé en 2017 Centre de Références pour les Maladies Auto-Immunes Systémiques Rares de l’Ile de France, intitulée « EFORM-INNOV » (2016-2018) été financée et soutenue par la Fondation des Maladies Rares dans le cadre du Programme « Sciences humaines et sociales & maladies rares » (2014).

2Pr. C. Delory-Momberger, Université Sorbonne Paris Nord, UR / Expérice, C. Tourette-Turgis, Université des Patients, Pierre & Marie Curie.

3Nous remercions également les professionnels de santé, les membres de l’Association Française du Lupus et autres maladies auto-immunes et rares.

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Received: October 21, 2020; Accepted: December 05, 2020

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