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Educar em Revista

versión impresa ISSN 0104-4060versión On-line ISSN 1984-0411

Educ. Rev. vol.37  Curitiba  2021  Epub 09-Abr-2021

https://doi.org/10.1590/0104-4060.77919 

ENTRETIEN

Conquérir son temps par la formation des rythmes de sa vie

*Université de Tours. Tours, France. Université Du Québec à Montréal. Montréal, Québec, Canada. E-mail: gaston.pineau@univ-tours.fr

**Université de Tours. Tours, France. E-mail: herve.breton@univ-tours.fr


RÉSUMÉ

Si les recherches de Gaston Pineau sur les histoires de vie en formation sont reconnues en Europe et largement diffusées au Brésil, comme ailleurs dans le monde, ceux sur les relations entre les temporalités et les processus de formation sont tout aussi décisifs. L’enjeu de cet entretien est de présenter, en empruntant une démarche généalogique, les étapes par lesquelles ces travaux sur le temps se sont constitués au fil des recherches de Gaston Pineau, pour ensuite examiner les dimensions contributives de ces travaux sur modes de constitution des courants de l’autoformation, de la formation par alternance, de la formation expérientielle, et des approches narratives et anthropoformatives.

Mots clés: Alternance; Autoformation; Histoires de vie en formation; Temporalités; Récit

RESUMO

Se as pesquisas de Gaston Pineau sobre histórias de vida em formação são reconhecidas na Europa e amplamente divulgadas no Brasil, como em outros lugares do mundo, aquelas sobre a relação entre temporalidades e processos de formação são igualmente importantes. O objetivo desta entrevista é apresentar, utilizando uma abordagem genealógica, as etapas pelas quais este trabalho sobre o tempo foi sendo constituído ao longo da pesquisa de Gaston Pineau e, em seguida, examinar as dimensões contributivas destes trabalhos sobre os modos de formação das correntes de auto-formação, formação por alternância, formação experiencial e abordagens narrativas e antropoformativas.

Palavras-chave: Alternância; Autoformação; Histórias de vida em formação; Temporalidades; Narrativa

ABSTRACT

While Gaston Pineau's research on the history of life in adult education is recognised in Europe and widely disseminated in Brazil, as elsewhere in the world, his research on the links between temporalities and training processes is equally crucial. The aim of this interview is to present, using a genealogical approach, the stages through which this research on While Gaston Pineau's research on the history of life in adult education is recognised in Europe and widely disseminated in Brazil, as elsewhere in the world, his research on the links between temporalities and training processes is equally crucial. The aim of this interview is to present, using a genealogical approach, the stages through which this research on temporalities has developed in the course of Gaston Pineau's research, and then to examine the contributory dimensions of this work on the construction of "self-training" paradigms, pedagogical device between professional practices in work situations and formal education courses, the experiential process of vocational education and narrative and anthropoformative approaches.

Keywords: Experiential learning; Life stories in training; Temporalities; Narrative

Hervé Breton: Bonjour, professeur Pineau. Cet entretien se déroule dans le cadre de la constitution du dossier Educar em Revista que je coordonne avec Mme Maria Malia Cunha de l’Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG), à Belo Horizonte, Brésil. La revue comporte une section « interview ». L’objet de la section dans ce dossier, c’est de penser les relations entre temporalité et formation. Comme tu le dis dans l’article que tu m’as fait parvenir, « Conjuguer les temporalités pour en faire des rythmes formateurs » dans Éducation permanente, no217/2018-4 Rythmes et temporalités en formation, p. 9-21, travailler sur le temps, c’est s’engager dans un champ de recherche monumental. Avant de commencer, je te propose de narrer en quelques mots ton parcours d’enseignant-chercheur à l’université.

Gaston Pineau: Tu fais bien de préciser « à l’université » parce que, à une période de ma vie, je ne savais même pas qu’elle existait. On va donc rester à l’université. J’avais trente ans quand cela a commencé, en 1968, au Centre Universitaire de Coopération Économique et Sociale (Cuces) de Nancy, en France, qui lançait des opérations de formation d’adultes. Au départ, j’ai été embauché comme conseiller d’orientation d’adultes dans ce centre universitaire de Nancy en 1968.

En 1969, comme il y avait de grandes opérations innovantes au Québec, j’ai soumis ma candidature à un service d’éducation permanente de l’université de Montréal qui était en train de se transformer en faculté. Ils m’ont embauché comme responsable de recherche. On n’avait pas de statut d’enseignant ou de chercheur. C’était un statut spécial. Il y avait des responsables de programme et des responsables de recherche. J’ai donc été responsable de recherche de 1969 à 1985 environ.

En 1985, il y a eu un poste à l’université de Tours qui s’est ouvert, profilé alternance et éducation. J’ai postulé parce que je venais juste de passer un doctorat d’État avec Georges Lerbet, précisément sur «Temps et contretemps en formation». J’ai été embauché en 1985 ou 1986. J’y suis resté jusqu’à ma retraite en 2007.

Je suis maintenant à la jubilación, comme on dit en espagnol. Avec mon épouse, nous avons regroupé nos forces restantes à Montréal auprès de nos enfants et petits-enfants.

Hervé Breton:On pourrait dire que l’on est déjà entré dans une réflexion sur le temps à deux niveaux. Tu as temporalisé ou périodisé le parcours et, en même temps, situé déjà une série de productions ou d’œuvres qui jalonnent le parcours, notamment le doctorat d’État. Avant d’aborder les œuvres, comment as-tu procédé pour périodiser ? On pourrait penser que cela va de soi, mais ces découpages temporels ont été produits par toi. Sais-tu comment tu as procédé pour identifier ces grandes périodes ?

Gaston Pineau: C’est réduit à l’essentiel. C’est quand même un peu standard dans n’importe quel CV. En revanche, j’ai eu la chance à ma retraite d’avoir une opération de co-biographisation extrêmement intéressante. Une collègue, Christine Abels-Eber, a coordonné toute une opération de co-biographisation. Elle a demandé à plus d’une vingtaine de collaborateurs avec qui j’ai travaillé d’écrire l’histoire du temps de travail avec moi. Elle a aussi fait un entretien autobiographique avec moi sur mon trajet. Elle m’a également demandé de réagir sur ce que disaient de moi les 28 collègues. Cela a donné lieu à l’ouvrage Gaston Pineau : trajet d’un forgeron de la formation, regards croisés de compagnes et compagnons de route (ABELS-EBER, 2010). Je souhaite que tout le monde puisse bénéficier d’une telle opération. Cela permet vraiment de faire un retour réflexif non seulement avec sa réflexion à soi, mais avec des réflexions de compagnes et compagnons de route extrêmement éclairants et intégrateurs.

Par exemple, pour mon autobiographie, il y a trois grandes périodes. J’ai commencé par l’entrée franco-québécoise dans la vie professionnelle (1965-1985). J’ai continué par les années de jeunesse, entre forge, vigne et engagement, de ma naissance en 1939 à 1965. Il y a ensuite la période tourangelle (1985-2007), suivie du passage à la jubilación en 2007.

Dans la première partie, sur les regards croisés, je signale - puisqu’il y a une dimension brésilienne importante - qu’il y a tout un chapitre sur « Genèses brésilienne et portugaise », fait par trois personnes. Je suis particulièrement sensible à «Temps de genèse, temps de devenir, temps d’avenir» de Maria de Conceição Passeggi, parce qu’elle est originaire de Natal qui m’a beaucoup inspiré. Sur les Maisons familiales rurales, Thierry de Burghgrave a écrit «Gaston Pineau, ce nouveau nomade moderne aux itinéraires formatifs». Nous avons eu en effet un important master « formation et développement durable » avec le Brésil (PINEAU et alli, 2009). Il y a aussi un texte de Maria do Loreto Paiva Couceira, du Portugal, avec qui j’ai beaucoup travaillé.

Il y a donc ce regard rétrospectif et collectif que je souhaite vraiment à tous pour un passage à la retraite.

Hervé Breton: Je reviens sur le doctorat d’État intitulé « Temporalité et formation ». C’est ta première production importante sur cette question du temps dans le domaine de l’éducation des adultes ?

Gaston Pineau: Oui et non. C’est un peu comme l’Habilitation à Diriger des Recherches que tu es en train de passer. C’est une opération rétrospective sur les productions antérieures. Elle a une fonction de synthèse. Cela fait apparaître des liens que l’on ne voit pas sur le moment.

La responsabilité de recherche en éducation permanente ouvrait un champ immense. C’était la chute du mur scolaire de l’éducation et une ouverture à l’infini du temps, alors que l’on pensait que l’éducation s’arrêtait à l’enfance et à l’adolescence et se réduisait à la pédagogie, la conduite des enfants. On s’est donc retrouvé devant un Far West. Je suis tombé sur un doyen d’envergure qui me disait : «Si je veux que vous trouviez quelque chose, c’est à vous de décider quoi chercher.» Liberté entière.

C’était dans les années 70, c’est-à-dire l’époque de Paulo Freire et d’Ivan Illich. On cherchait à ne pas reproduire l’école, à ne pas faire de la formation permanente l’école à perpétuité, selon un simple mode de reproduction. Facile à dire, mais moins à faire.

À ce moment-là, j’ai lancé deux chantiers : un chantier théorique et global sur les textes qui esquissaient ce que pourraient être une éducation permanente. Ils s’inspiraient plus ou moins d’Ivan Illich (1970) et de Paulo Freire (1967). Mais ces textes étaient éparpillés et marginaux. Beaucoup faisaient encore partie de la littérature grise, peu socialisée. Un important regroupement réflexif s’imposait. J’ai fait une recherche bibliographique systématique, complétée par des interventions de personnes pionnières quand elles étaient encore vivantes.

Ce premier chantier a produit mon premier livre intitulé Éducation ou aliénation permanente ? Repères mythiques et politiques (1977) Il m’a beaucoup éclairé. J’ai découvert que Platon, avec le mythe de la Caverne, proposait cinq siècles avant notre ère, un des modèles les plus construits d’éducation permanente, alternant expériences pratiques immergées dans le terre-à-terre clair-obscur de la caverne et visions théoriques illuminées par le soleil. Il l’appelait le long circuit en opposition au circuit court de l’Académie qu’il avait fondée et qui révélait déjà les limites d’une éducation liée seulement aux premiers âges de la vie. Henri Desroche a fait un excellent chapitre sur l’origine utopique prémoderne de cette perspective d’un apprentissage tout au long et dans tous les secteurs de la vie. Ensuite viennent à partir de la seconde moitié du vingtième siècle, les discours des promoteurs des courants internationaux, américains et européens. Puis les discours d’institutionnalisation et les discours critiques. Et enfin les discours de spécification actuelle se débattant avec cet horizon temporel infini. Il recule quand on avance. Mais permet d’avancer et de rester en marche.

Le deuxième chantier était plus opératoire. Étant donné que nous étions dans un service d’éducation permanente, il fallait s’autofinancer et, donc, monter des programmes pour faire la jonction entre ce que l’on appelait les besoins en éducation des adultes (professionnalisation, conscientisation) et les ressources universitaires. Il fallait faire de nouveaux couplages entre nouveaux besoins et nouvelles ressources. C’était les débuts de l’ingénierie de la formation et des différents types d’accompagnement pour concevoir, construire et conduire de nouvelles stratégies et de nouveaux trajets de formation.

J’ai fait ma première thèse sur cet aspect : Rôle et système nouveaux en éducation. Essai d’application d’une approche systémique à l’analyse d’un service universitaire d’éducation permanente (1973). Elle a été publiée sept ans après sous le titre Les Combats aux frontières des organisations. Un cas universitaire d’éducation permanente (PINEAU, 1980). On était vraiment à la frontière de l’université et des mouvements sociaux. Il fallait donc trouver des points d’articulation.

À cette période de fin des années 70, une personne qui travaillait sur l’alternance m’a interrogé sur mon expérience de vie. Je ne me suis en effet pas formé linéairement, mais par alternance de travail, de non-travail, de voyages. C’est cet entretien qui m’a fait remonter l’intérêt des histoires de vie pour commencer à comprendre son parcours.

Mais ces chantiers représentaient trois secteurs séparés. Je ne voyais pas de lien entre eux. Quand j’ai eu l’occasion de faire ma thèse d’État sur travaux, il a fallu d’abord trouver un fil conducteur, ne serait-ce que par le titre. Le premier que j’avais trouvé était un fil épistémologique : comment passer d’une approche positiviste à une approche dialectique ? L’approche dialectique permet traditionnellement de traiter les contradictions du temps. Mais il aurait fallu que je m’enferme cinq ans dans une bibliothèque pour éplucher tout cela. C’est là que, dos au mur, je me suis dit que le lien, c’était le temps. Le lien entre mes chantiers «éducation ou aliénation permanente» (1977), «les combats aux frontières des organisations» (1980), «Produire sa vie : autoformation et autobiographie» (1983), c’était la temporalité. C’est parce que je ne pouvais plus reculer que j’ai été obligé de me lancer dans cet océan parce qu’il n’y a rien de plus invisible et mobile que le temps. L’intitulé de la thèse du doctorat d’état fut Éducation permanente et temps (1984). Elle a unifié mes chantiers et m’a permis de tisser une histoire avec eux, en me donnant un fil chronologique horizontale et diachronique de trame et un fil vertical et synchronique de chaîne, selon le paradigme du tissage, lié épistémologiquement à la construction de l’histoire. (PAUL, 2003). Les chantiers ont continué.

Le passage à l’an 2000 n’était pas n’importe quel passage. Non seulement il y avait un passage d’année, de centenaire mais aussi de millénaire. J’ai voulu marquer ce passage de millénaire en refaisant une synthèse de tous mes travaux sur le temps depuis 1986. Cela faisait quand même 15 ans. J’ai pris six mois sabbatiques. Cela a donné Temporalités en formation. Vers de nouveaux synchroniseurs (PINEAU, 2000, Paris, Anthropos), traduit en brésilien en 2004 : Temporalidades na formação : rumo a novos sincronizadores (Sao Paulo, Triom)

Hervé Breton: Il y a la thèse Temps et Contretemps en 1986 ? Puis la thèse d’État est en quelle année ? C’est la même ?

Gaston Pineau: À ce moment-là, il y avait deux thèses. La thèse de 3ecycle (1973), Les Combats aux frontières des organisations, était davantage opérationnelle. J’ai mis sept ans avant de la publier. C’était alors avec l’approche systémique. À ce moment-là, ce n’était pas très développé. Je ne l’ai compris que cinq ou six ans après. J’ai soutenu cette thèse à La Sorbonne avec Joffre Dumazedier.

Pour faire ma thèse d’État, je ne trouvais personne qui s’y intéressait et avec qui j’étais intéressé à travailler jusqu’à ce que je rencontre Georges Lerbet qui m’a dit : « Avec toutes tes productions, tu peux faire une thèse d’État avec tes travaux. » C’était en 1984. Ce fut Éducation permanente et temps. Elle fut d’abord publiée en 1987 sous le titre Temps et contretemps. Puis remaniée et complétée en 2000, sous le titre Temporalités en formation. Vers de nouveaux synchroniseurs.

Hervé Breton: En quoi le temps est apparu comme un synchroniseur ou un élément reliant des trois thématiques précédemment nommées ?

Gaston Pineau: D’une certaine façon, le temps est un désynchroniseur. Il vaut mieux parler de temporalités. Le temps, au singulier, voile en fait de multiples temporalités qui font éclater cette belle unité apparemment simple. On veut trouver un temps universel alors qu’en fait, on est travaillé par des temporalités plurielles et des contretemps. La définition du temps qui m’aide, c’est encore celle d’Aristote : «C’est la mesure du mouvement. » (Physique, IV, 11,219 b 1-2). Le temps, c’est des mouvements invisibles et multiples. On peut prendre le terme de « mesure » dans le sens chronométrique, c’est alors la définition du temps universel, consistant à tout découper en unité homogène ; ou, au niveau musical, dans le sens de « mesure rythmique ». En fait, pour résumer, en formation des adultes, on veut passer d’un temps qui obéit à la religion de l’horloge, à la construction de son rythme à partir des différentes temporalités. C’est pour cette raison que l’article « Conjuguer les temporalités pour en faire des rythmes formateurs» (PINEAU, 2018) avec des temps et contretemps, représente une synthèse importante. Il y a, entre autres, l’idée d’acquérir une compétence temporelle clé, qui serait la compétence consistant à rythmer en temps formateurs. C’est la compétence rythmo-formatrice. Il s’agit de rythmer les temps et contretemps en mouvements formateurs pour soi.

Hervé Breton: Ce que tu désignes, est-ce un geste d’appropriation de ces rythmes ?

Gaston Pineau: Je rendrai ici hommage à un Portugais et Brésilien pionnier, Alberto Pinheiro dos Santos. En 1931, il a écrit un livre tout à fait inconnu, La ritmanalise. Il a beaucoup inspiré Bachelard (1963) et Bachelard m’a beaucoup inspiré. Il dit que le rythme est le seul moyen d’unifier des temporalités contraires, des temps et des contretemps, des temps longs et des courts. Le rythme crée une unité avec des contraires. Mais quels rythmes ? Par exemple, le rythme cosmique rythme malgré tout notre temps humain. Ce n’est pas seulement le temps des horloges. Une heure de minuit n’est pas une heure de midi. Une heure du matin n’est pas une heure du soir, même si c’est apparemment homogène. Il y a donc des mouvements plus importants qui rythment les autres. D’où la notion de synchroniseur. Les musiciens savent bien qu’à un moment, il y en a un qui donne la mesure et synchronise les différents musiciens. Le tout est de trouver le synchroniseur pour remplacer la mise au pas de l’horloge, la religion de l’horloge qui rythme de façon uniforme, entre autres, le temps scolaire. On doit tout faire pendant une heure de cours, une heure homogène.

Il s’agit donc de remplacer ce synchroniseur mécanique du temps horaire par d’autres. En fait, des pratiques font que l’on réussit à vivre en appliquant d’autres rythmes que celui de l’horloge. Il y a donc des pratiques rythmiques réflexes naturelles. À un moment donné, on naît parce que le rythme biologique du fœtus est suffisamment assuré pour rendre autonome l’embryon. Il demande à sortir et, en sortant, il réussit, par le rythme respiratoire, à survivre, détaché de sa mère.

Il y a donc des pratiques qui, heureusement, assurent entre l’organisme et l’environnement des liaisons rythmiques vitales. Il s’agit de trouver les pratiques majeures et d’y réfléchir pour les transformer en stratégies. Ce matin, tu as dû faire ton temps de méditation. Tu as trouvé un moyen de t’approprier ce rythme jour-nuit de façon personnelle sans partir à fond de train, de façon réflexe, parce que c’est l’heure du jour.

Après un certain nombre de recherches, se sont imposées trois pratiques naturelles qui sont à transformer en praxis personnelle. La première est le temps quotidien jour-nuit, repos-activité. Comment vit-on cela ? Le quotidien peut être un temps majeur de formation ou de déformation. Il peut abrutir complètement du fait qu’il est répétitif. Comment le transformer en rythme formateur ?

Il y a un temps un peu plus long avec les histoires de vie. Quand on rencontre un ami, il dit : «Alors ? Qu’est-ce que tu deviens ?» On se met à raconter un bout de vie pour le mettre au courant. Le récit de vie développe une pratique naturelle consistant à faire le bilan de temps en temps. Le récit de vie ou le langage de sa vie est un synchroniseur possible de ce temps et contretemps vital pour en faire notre temps à nous, pour conquérir son temps.

Il y a aussi l’alternance, qui est plus développée institutionnellement. Le temps scolaire n’est intéressant que s’il est éprouvé par du temps non scolaire, par l’expérience non scolaire. La plupart du temps, il s’agit d’un rythme travail-étude. Maintenant, on distingue le formel et l’éducation informelle ou non formelle. Il y a vingt ans, il n’y avait que le formel. L’alternance peut être un synchroniseur et un moyen de s’approprier les temps et contretemps de la vie Pineau, 2019)

Hervé Breton: Si on revient au quotidien, quel type de pratiques pour trouver un rythme à l’échelle de l’unité jour-nuit ? Quand tu parles des histoires de vie, on voit bien que la pratique d’appropriation passe par le langage, par le récit. Quant à l’alternance, on imagine presque les questions d’ingénierie ou de dispositif. Concernant l’expérience presque immédiate qui est celle du temps vécu à l’échelle de la journée, quelles sont les pratiques ?

Gaston Pineau: Tu as raison. C’est la pratique la plus difficile à construire et qui n’est jamais acquise complètement. Le quotidien, c’est infra-linguistique. Ce sont les activités alimentaires et physiologiques qui priment (dormir, se reposer, faire, manger, respirer). Ce sont vraiment les activités physiologiques de base qui imposent leur loi, parfois de façon tellement dominante qu’elles abrutissent. On se réduit à un végétatif. On se lève parce qu’il faut se lever, on mange parce qu’on a faim. Et c’est la répétition infinie, réifiante. Pendant longtemps, je la mettais en dehors de l’histoire de vie. C’était trop répétitif. Il n’y avait pas d’événements qui se passaient là-dedans. Il n’y avait rien à réfléchir. C’est pour cette raison que cela demande une analyse herméneutique très différente et très particulière pour explorer ces phénomènes infra-conscients.

À ce moment-là, si on veut se situer en termes d’éducation, cela ne s’enseigne pas, cela s’apprend par une démarche initiatique avec les trois grands moments de toute démarche initiatique : rupture, transition et intégration.

Prenons l’exemple de l’apprentissage de la nuit. On dit que le quotidien, cela dure 24 heures. Un point, c’est tout. Il y a les mêmes 60 minutes. En fait, les heures nocturnes ne sont pas vécues de la même façon que les heures diurnes. Découvrir comment on vit les heures nocturnes, cela demande presque à désapprendre, à quitter les lunettes du jour. Le nocturne, c’est le non-visuel, c’est la disparition du sens de la vue. Par contre, les sens de proximité (l’odorat, l’écoute, le goût) prennent davantage de force. Pour goûter quelque chose, parfois, on ferme les yeux pour bien se centrer sur les sensations gustatives à peine perceptibles.

Mon premier apprentissage des 24 heures, c’était la rupture avec les heures du jour pour se sensibiliser aux heures nocturnes. On entre dans la phase de transition où on se demande ce qui se passe. Au crépuscule, il y a des pertes. Que se passe-t-il à 22 heures et 23 heures ? Plus on avance dans la nuit, plus les contacts sociaux se réduisent et plus on se retrouve seul - soit complètement seul, soit avec une autre personne très proche. À minuit, les centres de concentration sont flous. On ne sait plus trop où on est. Souvent, on dit que les heures les plus difficiles sont à 2 ou 3 heures du matin. C’est un entre-deux. C’est le jour qui commence à arriver.

Cela m’a donc demandé d’abord une phénoménologie de la nuit. Là aussi, Bachelard m’a beaucoup aidé. C’est un grand explorateur. Il voit cela comme une marée montante et descendante. Je me souviens que j’ai arrêté la première analyse phénoménologique de la nuit à 5 heures du matin parce que j’étais épuisé. C’est là qu’est apparue l’autoformation. Le pôle des autres s’estompe et il y a quelque chose qui remonte de quasi physiologique, de sensible. C’est le foyer organisationnel invisible. Il est invisible et il organise sans que l’on ne sache trop ni comment ni quoi, avec, quand ce n’est pas en ordre, les fantasmes, les rêves. Tout remonte. C’est une nouvelle unité microcosmique qui s’établit.

J’ai mené la première analyse phénoménologique à la fin des années 80 grâce à l’UNESCO et à Paul Lengrand qui explorait les grandes aires de l’éducation permanente : le temps, l’espace, le travail, le loisir, la culture : “Lifelong education and time”, in Paul Lengrand (éd.)1986, Areas of Learning Basic to Lifelong Education. Il m’avait demandé de m’occuper du temps. Je m’étais replongé dans toutes les grandes philosophies du temps, mais je ne suis pas philosophe, je me perdais. Je me suis donc demandé ce que la formation permanente représentait au niveau d’une unité courte, 24 heures. On la prend souvent au niveau de la vie. Mais cela veut-il dire quelque chose au niveau d’une unité courte ? C’est là que la nuit est apparue.

J’avais donc fait ma première analyse. Je m’étais arrêté, épuisé, à 5 heures du matin. Quand j’ai refait l’ouvrage « Temporalités en formation » en 2000, j’ai repris cette analyse. C’est là que je suis arrivé au réveil. Le réveil concentre des mouvements extraordinaires d’émergence, de préconscience. Souvent, on réduit les approches psychanalytiques au conscient et à l’inconscient, alors qu’il y a la zone du préconscient que vous explorez beaucoup et notamment avec Pierre Vermersch, qui vient de nous quitter. Il était le grand explorateur de ce niveau préconscient. Qu’est-ce qui remonte à ce moment-là ? Comment y prêter attention ?

Je trouve que le réveil est majeur. Dans un premier temps, il y a un préconscient qui arrive. On est là mais on ne sait pas trop ce que l’on va faire. Des choses émergent, elles donnent plus ou moins envie de se lever. Et, à un moment, une décision se fait, on se dit : « Ça, ça m’intéresse. Ça vaut le coup de se lever. » Mais cet apprentissage - ou cette initiation - au mouvement des 24 heures est infini. En effet, on apprend un peu les heures nocturnes mais, ensuite, il faut les articuler avec le diurne. Qu’est-ce qui importe ? Est-ce les rêves de la nuit que l’on veut réaliser le jour ? Ou est-ce l’ordre du jour qui dit qu’il faut garder les rêves pour soi ? Qu’est-ce qui l’emporte des ordres du jour et des intuitions de la nuit ?

Hervé Breton: Voici des éléments pour penser à l’échelle de 24 heures. Dans les histoires de vie, il y a différentes unités de temps ? Ce n’est pas seulement l’existence ? Comment pourrait-on caractériser cela ? Est-ce une autre appréhension du temps ? Moins dans l’immédiateté?

Gaston Pineau: Pendant longtemps, j’ai vu le quotidien comme différent des histoires de vie. « Le quotidien : un haut lieu de formation/déformation humaine » (PINEAU, 2014). Maintenant, je commence à travailler les histoires de vie à trois vitesses en reprenant la notion de trois vitesses de Braudel (PINEAU ; LE GRAND, 2019, Les histoires de vie, Paris, PUF, p. 89-90, en brésilien, 2012, As histórias de vida, Natal, Edufern). Il y a des mouvements individuels qui sont des temporalités courtes. Les historiens disent que c’est vraiment trop court pour que ce soit intéressant. Ce qui les mobilise ce sont les temporalités sociales à vitesse moyenne. Et il y a les temporalités longues, planétaires. Les historiens disaient que seul le temps social est intéressant. Les temporalités personnelles sont trop courtes et les temporalités longues sont trop longues.

Les historiens connaissent aussi une crise paradigmatique. Le temps court personnel est arrivé avec les histoires de vie. Il y a un débat entre psychologues et sociologues : ce sont des temps psychologiques mais le social est ignoré. En fait, on voit que les temps psychologiques s’articulent avec le social. L’histoire de vie, c’est en grande partie ne pas se faire réduire au temps social, mais de conquérir aussi son temps. Les deux temps commencent à être explicites.

En vieillissant, on a moins de temps socio-professionnel. On est plus pris avec des temps de vie personnelle, intergénérationnelle mais aussi cosmiques : le jour/la nuit ; les saisons… Maintenant, je pense que l’histoire de vie à trois vitesses doit impliquer le temps long qui est paradoxal. C’est du macrocosmique non seulement à l’échelle des saisons, d’une année mais aussi de périodes et, à la fois, du microcosmique. En effet, avec les biorythmes, on s’aperçoit que le macro-temps cosmique a une influence microcosmique dans nos rythmes biologiques.

Par exemple, ce matin, en pensant à l’entretien, je pensais au matin. Au Québec, en Amérique du Nord, on est le matin. C’est un micro-temps quotidien qui revient. On a fait allusion au temps de méditation. C’est souvent le matin. Il s’agit de prendre conscience que cette heure matinale nous relie aux grands mouvements cosmiques. Les grandes prières amérindiennes me revenaient. Il y a le salut au Soleil levant, au grand Esprit : « Nous te rendons hommage pour le Soleil levant. » C’est le temps de la création, de la naissance et de la renaissance. Inscrire cela dans son histoire, c’est pour moi le plus difficile. Comment inscrire mon temps quotidien dans un rythme historique ? C’est majeur pour le troisième âge parce que les temps socio-professionnels n’existent plus. Si on ne réussit pas à symboliser, à relier notre temps quotidien au temps cosmique, on réduit le champ de conscience. Le champ de conscience se rétrécit. Avec le soi autobiographique, António Damásio est majeur à ce sujet. Il dit que le champ de conscience se rétrécit aux gestes immédiats alors que, si on veut qu’il s’élargisse, il faut l’ouvrir aux rythmes cosmiques (DAMASIO, 1999).

Hervé Breton: Je reviens à la définition proposée d’Aristote « la mesure du mouvement », qui réfère peut-être à la question de la durée. Pour l’espace, il y a une notion qui est de Gibson (1979), me semble-t-il, sur l’affordance. Il parle du couplage entre la perception de l’espace et le mode d’action du sujet. Dans la théorie des trois vitesses, il y a la question de l’estimation de la durée pour l’accomplissement d’un type d’action ou de phénomène. Cela fait-il partie d’un travail de formation que de savoir appréhender, en fait, des durées relatives à l’accomplissement de mouvements qui traversent le quotidien ou l’existence ?

Gaston Pineau: Merci, Hervé. Tu introduis le spatio-temporel. On ne peut pas couper les mouvements de l’espace, de l’espace physique et de l’espace social C’est un relent du clivage positiviste entre temps/espace, quantité/qualité. C’est un découpage contre lequel il faut s’élever parce que le temps, c’est du spatio-temporel. C’est toujours lié, pour nous, à un lieu spatial et à une place sociale. Le spatio-temporel est majeur.

Quant à la durée, si on parle autant de « durable » actuellement, c’est parce que l’on s’aperçoit des limites de l’instantané. Comment construire de la durée avec des instants ? Bachelard disait qu’il est plus difficile d’expliquer la durée à partir de la discontinuité des naissances qu’à partir la continuité des moments ou des mouvements. C’est l’enjeu. L’histoire de vie consiste à essayer de construire une vie durable mais aussi viable dans des espaces-temps mouvants, avec des instants et des âges qui sont à articuler, à conjuguer, à mettre ensemble, en sens, entre soi, les autres et les choses. C’est le défi de la formation permanente au cours des âges. Le relever jusqu’à inclure la mort dans les histoires de vie, pose un des problèmes bio-éthiques majeurs actuellement. Nous y avons consacré tout un ouvrage : Histoires de morts au cours de la vie (SCHMUTZ-BRUN; LANI-BAYLE; PINEAU, 2011). Travailler ces frontières entre mort et vie, est au cœur des recherches sur les soins palliatifs (ALVES, 2020; GALLE, 2014).

Ce cours n’est donc pas uniforme et les âges encore moins. Et le principal problème actuel est bien de le comprendre et d’entreprendre une formation permanente de ces âges et de ce cours. On a hérité d’une division éducative en trois âges : le premier regroupait l’enfance et l’adolescence sous la responsabilité première des parents et des enseignants. L’éducation était censée s’arrêter là, suffire pour l’âge adulte et encore plus pour le troisième âge qui n’avait qu’à appliquer ce qui avait été enseigné et ensuite à se reposer. Cet héritage est encore très prégnant et conditionne fortement nos visions et nos pratiques de la vie adulte et postadulte. Ces vies vécues actuellement sont en plein éclatement révolutionnaire effervescent, tant en ce qui concerne les vies de travail que les vies affectives, spirituelles, culturelles et intellectuelles (PINEAU, 2000, 2004, chap. 7).

Selon les approches transdisciplinaires d’une éducation pour notre ère planétaire (MORIN, 1999; MORAES et ALMEIDA, 2012), le premier savoir est de reconnaître et de dépasser cette cécité paradigmatique d’une pédagogie scolaire héritée. Les recherches sur les histoires de vie en formation au cours des âges, l’alternance et le quotidien nous ont fait développer dans la dynamique de la caverne de Platon et des trois maîtres éducatifs de Jean-Jacques Rousseau (1762) - soi, les autres et les choses - une théorie de la formation permanente en deux temps- expérientiel et formel- et trois mouvements : auto-, socio et écoformation (PINEAU, 2000, 2004, chap.10).

Au premier âge jusqu’à 16, 18 ou 21 ans selon les pays, la formation des enfants est sous la responsabilité légale des parents et des enseignants, donc d’autres personnes avec un statut socio-hiérarchiques supérieur. On parle alors d’hétéroformation, une forme de la socioformation avec les autres ; la seconde étant la coformation, en réciprocité avec les autres d’un même statut, les amis et les camarades.

Accéder à l’âge adulte, c’est devenir responsable, entre autres de sa formation, s’approprier cette fonction, l’exercer soi-même en toute responsabilité, passer en régime d’autoformation. Ce passage n’est pas aussi automatique que le changement d’âge. Cette autonomisation formative prend du temps, beaucoup de temps. Et beaucoup de temps qui évolue en permanence. La durée de l’âge adulte jusqu’à la retraite s’étale au moins sur 40 ou 50 ans, la moitié de la vie.

Ensuite, l’arrivée de la retraite est un moment très fort parce que toute l’autonomie socioprofessionnelle qui a servi à nous construire de façon autonome part. Les forces physiques diminuent et, donc, l’autonomie. C’est l’environnement physique, les choses qui s’imposent davantage. S’il y a deux ou trois marches à gravir, on regarde ce qu’il en est alors qu’auparavant, on les sautait à pieds joints. Le pôle physique, écoformateur ou écodéformateur, de l’environnement matériel prend plus de pouvoir. Il faut articuler et ajuster l’autonomie acquise à cette nouvelle polarité. Et avec l’allongement de la durée de la vie, le troisième âge se prolonge en quatrième et même cinquième âge. Si la perte d’autonomie de mouvement physique et social, ne se compense pas par un gain de formation symbolique, le monde personnel se réduit de plus en plus. Cette formation symbolique n’est pas purement imaginaire. Elle crée de nouvelles reliances, de nouvelles communications et même communions entre les choses et les personnes, entre notre microcosme et le macrocosme. La sagesse des anciens n’est pas forcément anachronique. Bachelard (1971) parle d’autocosmogénie L’enjeu de la formation permanente est de construire son monde, par la conquête de son temps. On n’a pas trop de toute une vie pour construire son monde, pour se mettre au monde (HENNEZEL; VERGELY, 2010).

Hervé Breton: Quelques mots pour finir sur les recherches contemporaines ou actuelles autour du trait d’union temps ou temporalité et formation. On a des collègues qui travaillent sur ces domaines. Quels sont les auteurs ou les ouvrages que tu trouves importants de souligner, parus récemment ?

Gaston Pineau: Tu m’avais offert le livre de Rosa sur l’accélération (2013). Une excellente critique du temps social. C’est vrai que c’est le mouvement dominant. Mais la Covid nous oblige à décélérer. Cela montre comment la mesure du mouvement social n’est pas forcément la seule. Son autre livre sur la résonance (Rosa, 2018) m’inspire davantage. Il reprend les différentes sphères de relations au monde.

Je pense plus spécifiquement au Brésil avec Boaventura de Sousa Santos (2010,2016). Il parle des épistémologies du sud. C’est majeur pour contrebalancer des temporalités homogènes qui viennent surtout du nord. On dit que la mesure du temps, c’est la mesure du pouvoir. Celui qui réussit à imposer sa mesure du temps réussit à dominer l’autre. Une grande partie de la colonisation du monde s’est faite par l’imposition d’une temporalité du nord qui voulait se présenter comme hégémonique, alors que cela a entraîné, pour reprendre les termes de Sousa Santos, un refoulement et une négation des expériences temporelles autres. Elles étaient vues comme non valables. Pour construire une altermondialisation viable et durable, il faut lutter contre un gaspillage mortel d’expériences temporelles personnelles et communuataires, parce que c’est la lutte pour la vie. Toute vie doit développer sa temporalité spécifique pour vivre, dans le détail et dans la durée, comme tu le développes si clairement dans ton article (BRETON, 2020) et le numéro d’Éducation Permanente de 2020 sur narration du vécu et savoirs expérientiels que tu viens de coordonner. C’est souvent insu. Or si la personne pouvait montrer et expliciter les stratégies plus ou moins conscientes qu’elle fait pour survivre, cela enrichirait vraiment notre culture. Sousa Santos est donc important.

Il y a aussi toutes les approches épistémologiques et phénoménologiques. Il y a Natalie Depraz avec Le Corps glorieux (2008). Il y a vraiment là des approches très intéressantes pour conscientiser tous ces mouvements microcosmiques et macrocosmiques. On risque sinon de passer complètement à côté et de ne pas être durables très longtemps.

Autre ouvrage de référence, celui de Michel Alhadeff-Jones (2016) sur la question des rythmes Pour moi, il est celui qui fait l’une des meilleures synthèses actuellement sur ces problématiques très complexes. Il prend en compte les temporalités des éducateurs français, brésiliens et nord-américains. Ceux-ci pensent des temporalités singulières et non pas homogènes. Il m’a fait prendre conscience de quelque chose. Je n’arrivais pas à comprendre la liaison entre moments instantanés et les mouvements. Pourtant, on parle de momentum. En fait, les mouvements sont constitués de moments. Entre autres, les moments expérientiels deviennent des mouvements d’émancipation et d’autonomisation que s’ils peuvent s’éclairer par un moment de théorisation. Je lui rends grâce à ce sujet. Je pense également à Pascal Roquet (2013). Sa grille d’analyse pour articuler micro-, méso- et macro-mouvements, à partir des mouvements de simultanéisation que l’on peut opérer, constitue une piste vraiment intéressante.

Hervé Breton: C’est le moment de conclure notre entretien. Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

Gaston Pineau: Le mouvement brésilien sur l’(auto)biographique, est majeur. Les brésiliens fêtent également cette année les cinquante ans de l’alternance. Ces mouvements, qui étaient très marginaux et émergents, sont vraiment d’importants porteurs d’avenir. Et il faudrait fêter les 70 ans de la mort de Lucio Alberto Pinheiro dos Santos. Il est né à Braga en 1889 et mort à Rio de Janeiro en 1950 après avoir entre autres enseigné à Carangola, dans le Minas Gerais en 1927. Fêter en 2020, les 70 ans de sa mort, serait le re-susciter et nous avec. Et mettre l’alternance à la culture du rythme…des épistémologies du sud.

Hervé Breton. Un très grand merci, Professeur Gaston Pineau.

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Received: September 30, 2020; Accepted: November 07, 2020

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