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Linhas Críticas

versión impresa ISSN 1516-4896versión On-line ISSN 1981-0431

Linhas Críticas vol.24  Brasília  2018  Epub 15-Nov-2018

https://doi.org/10.26512/lc.v24i0.18965 

Dossiê: Narrativas, educação e saúde: o sujeito na cidade

Inclure les enfants autistes en milieu ordinaire. Quelle relation entre agir, formation et identité professionnelle des enseignants de lettres?

Incluir crianças autistas em escolas regulares. Qual relação entre práticas, formação e identidade profissional dos professores de letras?

Incluir niños autistas en escuelas regulares. ¿Qué relación entre prácticas, formación e identidad profesional de los profesores de letras?

Include autistic children in regular schools. What is the relation between practices, formation and professional identity of teachers of letters?

1Attachée temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER), chercheur associé au laboratoire CIRNEF (Centre interdisciplinaire de Recherche Normand en Education et Formation) et chercheur associée au laboratoire EXPERICE (Centre de Recherche Interuniversitaire Expérience Ressources Culturelles Éducation) Paris 13 Sorbonne Paris Cité.


Résumé

La politique d’inclusion menée dans le cadre de la loi 2005 a ouvert en France un droit à la compensation et à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap dont il est important de comprendre les effets sur les pratiques enseignantes. Dans cette perspective, ma contribution présentera le début d’une recherche qualitative inscrite dans le champ de la recherche biographique en éducation. Elle questionnera l’inclusion des enfants autistes au collège et au lycée par des enseignants de lettres n’ayant reçu aucune formation spécifique. À partir d’entretiens biographiques il s’agira d’apporter un éclairage sur les différents facteurs qui influencent leur agir, notamment l’identité professionnelle construite par l’enseignant, envisagé dans sa dimension multiple, dynamique, individuelle et sociale, et à l’aune des conceptions éthiques qui la sous-tendent.

Mots clés Inclusion; situation de handicap; Identité professionnelle; Formation

Resumo

A política de inclusão desenvolvida no escopo da lei 2005 na França concedeu o direito à escolarização em escolas regulares às crianças deficientes. Torna-se, então, importante compreender os efeitos dessa mudança para as práticas dos professores. Este trabalho apresentará o início de uma pesquisa qualitativa inscrita no campo da pesquisa biográfica em educação, a fim de questionar a inclusão das crianças autistas no ensino fundamental II e ensino médio face a professores de letras que não receberam nenhuma formação específica. A partir de entrevistas biográficas, pretende-se discutir sobre os diferentes fatores que influenciam as práticas docentes, em especial a construção da identidade profissional dos professores a partir de uma perspectiva múltipla, dinâmica, individual e social, considerando as concepções éticas que estão na base desta política.

Palavras-chave Inclusão; Deficiência; Identidade profissional; Formação

Resumen

La política de inclusión desarrollada en el ámbito de la ley 2005 en Francia concedió el derecho a la escolarización en escuelas regulares a los niños discapacitados. Por lo tanto, es importante comprender los efectos de este cambio en las prácticas de los profesores. Este trabajo presentará el inicio de una investigación cualitativa inscrita en el campo de la investigación biográfica en educación, a fin de cuestionar la inclusión de los niños autistas en la enseñanza fundamental II y enseñanza media frente a profesores de letras que no recibieron ninguna formación específica. A partir de entrevistas biográficas, se pretende discutir sobre los diferentes factores que influencian las prácticas docentes, en especial la construcción de la identidad profesional de los profesores a partir de una perspectiva múltiple, dinámica, individual y social, considerando las concepciones éticas que están en la base de esta política.

Palabras clave Inclusión; Discapacidad; Identidad profesional; Entrenamiento

Abstract

The inclusion policy carried introduced led by the 2005 disability act in France gave rise to the right for compensation and for schooling children with a disability in ordinary school settings. It is relevant to understand their effects on the practices of the teachers. In this perspective, this paper presents the beginning stages of a qualitative research carried out within the framework of biographic research in education. We examine the inclusion of autistic children in secondary and high schools by literature teachers having no specific training background on the field of disabilities. Drawing from biographic interviews we try to cast light on various factors that their behaviour and practices, in particular the professional identity built by the teacher, envisaged in its plural, dynamic, individual and social dimensions, and from the perpective of the ethical conceptions which underlie it.

Keywords Inclusion; Disability; Professional identity; Training

Introduction

La politique d’inclusion menée dans le cadre de la loi 2005 sur l’égalité des chances ouvre désormais un droit à la compensation et à la scolarisation en milieu ordinaire de tous les enfants en situation de handicap, y compris des enfants présentant des TSA, troubles intellectuels et cognitifs qui entrent dans la catégorie des « Troubles Envahissants du Développement », en référence aux classifications internationales (CIM 10 et DSM IV). Pour autant, seulement un quart d’entre eux en bénéficient actuellement. Ce chiffre interroge alors que 80 % les enfants en situation de handicap sont désormais scolarisés en milieu ordinaire.

Sur 20 375 élèves présentant des TED, 7784 sont scolarisés dans le premier degré en maternelle dans des classes ordinaires et 8054 en élémentaire, majoritairement en unités spécialisées. Ils ne sont plus que 3537 élèves au collège, dont la majorité est aussi scolarisée en unités spécialisées. Seuls 312 élèves sont inscrits dans des lycées généraux et 969 en lycées professionnels (Prado, 2012). La scolarisation en classe ordinaire se raréfie au cours de la scolarisation jusqu’à ne s’adresser principalement qu’à des enfants atteints d’autisme dit Asperger ou à haut-niveau de fonctionnement, c’est-à-dire des enfants disposant d’un bon potentiel intellectuel, dont seules les dimensions pragmatiques de la communication sont concernées et qui peuvent entretenir des interactions sociales, en dépit de certaines difficultés.

Depuis 2005, tout enfant ou adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé peut être inscrit dans l’école de son quartier et bénéficier d’un projet personnalisé de scolarisation. Pourtant, d’après une étude d’opinion sur l’autisme et la scolarisation parue en 2011 (Opinion Way, 2011), 68% des enseignants estimaient encore que la place d’un enfant autiste se trouve dans un établissement ou un institut spécialisé.

Ce type de représentations fait-il obstacle aux adaptations pédagogiques nécessaires à l’inclusion de ces enfants ? L’opinion de l’enseignant influence-t-elle les agir en vue d’une adaptation pédagogique ? Il m’a semblé intéressant de comprendre comment les enseignants du secondaire en « classes ordinaires, vivent l’inclusion des enfants présentant des TSA et si l’inscription de la formation des enseignants dans le paradigme de l’inclusion modifie les représentations et les agir de ceux qui en ont bénéficié. Il s’agit, en connaissant mieux les stratégies développées par les enseignants, d’identifier les ressources sur lesquelles ils s’appuient et les difficultés auxquelles la formation initiale et continue pourrait remédier pour améliorer l’accueil des enfants présentant des TSA dans le secondaire.

Cette contribution concerne la première étape d’une recherche qualitative poursuivant cet objectif. Après avoir exposé dans une première partie le cadre épistémologique dans lequel elle s’inscrit, puis dans une seconde le terrain, le dispositif et la méthode, je sonnaille avec celles défendues par l’institution. La Bildung résulte d’une activité qui implique la transformation de l’environnement en même temps que de soi.

Mais cette théorie met l’accent sur le fait que toute expérience n’est pas formatrice en soi. Rappelons que la langue allemande distingue deux types d’expériences: l’Erlebnis, expérience vécue et l’Erfahrung, connaissance que l’on en retire et qui enrichit la biographicité. La biographicité, définie par Alheit comme une « capacité du sujet à perlaborer l’expérience vécue […] mais qui y ajoute la possibilité d’élaboration de nouvelles structures d’expérience culturelles et sociales » (Alheit & Dausien, 2009) permet de faire apprentissage des expériences et de multiplier les schémas d'interprétation possibles du vécu à venir.

Dewey (2011) va aussi dans ce sens, lorsqu’il considère l’importance d’une continuité entre les expériences pour ouvrir de nouveaux horizons. Chaque expérience réalisée modifie le sujet et la qualité des expériences ultérieures. Ce qui est acquis de savoir et d’habileté dans la situation précédente devenant un instrument de compréhension et d’action pour toute nouvelle situation.

L’expérience éducative « accroît la signification de l’expérience et la capacité de diriger l’expérience future » (Dewey, 2011, p.105) et repose sur sa mise en sens: « […] c'est seulement en dégageant, à chaque instant donné, le sens plein de chaque expérience que nous nous préparons à accomplir la même chose dans l'avenir. » (Ibid, p. 484).

Face à une expérience inédite qui entre en discontinuité expérientielle avec ses pratiques habituelles, ne disposant pas de schèmes d’interprétation, le sujet ne peut ajuster ses interactions à son environnement. Un enseignant, se trouvant face à une prescription dont il ne dégage pas le sens, peut s’inscrire dans un processus d’évitement des situations qu’elle concerne.

L'enjeu de la recherche était d’observer les ajustements réalisés ou évités par les enseignants face à une prescription d’adaptation aux besoins des enfants présentant des TSA. Pour cela, il s’agissait de construire un dispositif permettant d’accéder à l’activité biographique des enseignants, à cette « forme de compréhension et de structuration de l’expérience et de l’action, s’exerçant de façon constante dans la relation de l’homme avec son vécu et son environnement social et historique » (Delory- Momberger, 2004).

L’expérience d’un enseignant, qui occupe une position institutionnelle et sociale, s’inscrit dans de multiples interactions, en fonction de ses ancrages identitaires. Tap envisage l’identité comme « l’ensemble des représentations et des sentiments qu’une personne développe à propos d’elle-même, comme ce qui permet de rester le même, de se réaliser soi-même et de devenir soi-même, dans une société et une culture donnée, et en relation avec les autres » (Tap, 1980, p. 57). Pour mettre en œuvre les changements prescrits par la politique de l’inclusion scolaire, qui touchent au sens qu’il donne à son activité, l’enseignant doit effectuer des transformations identitaires, mais pouvoir encore se reconnaître et être reconnu comme le même dans le récit qu’il construit de son existence. La médiation narrative est ce qui permet à chacun de construire un sentiment d’identité (Ricœur, 1990). En effet, Ricœur considère que la vie n’a de forme que narrative, idée que reprend Larrosa quand il déclare:

«L’autocompréhension narrative se produit dans ce gigantesque bouillonnement d’histoires qu’est la culture et avec laquelle nous organisons notre propre expérience (le sens de ce qui nous arrive) et notre propre identité (le sens de ce que nous sommes) » (Larrosa, 1998, p.95).

Les modèles narratifs perçus ou transmis sont la condition d’une autonomie. Ils représentent pour Bruner « une dialectique entre ce qui est établi et ce qui est possible[1]» pour aller vers ce qui aurait pu être, ce qui pourrait être et permet d’aller de l’avant.

Ils véhiculent des valeurs, des modèles, qui structurent socialement et même déterminent partiellement les individus, y compris dans la construction de leur identité professionnelle d’enseignant constituée des « “caractéristiques” qui l’identifient en tant qu' “enseignant” et […]qu’il a en commun avec d'autres enseignants, du fait d'appartenir au même groupe professionnel. […]. L’identité professionnelle enseignante, comme plus largement l’identité́ sociale, est à la fois similitude et altérité, identification et différenciation » (Cattonar, 2001, p. 5).

Par conséquent, la production et l’interprétation de récits d’expériences professionnelles d’enseignants sur l’accueil des enfants présentant des TSA me semblaient pouvoir contribuer à la production de connaissances:

- sur les enjeux identitaires liés à l’inclusion

- sur les facteurs qui la favorisent ou la freinent

- sur les stratégies adoptées par des enseignants en fonction de leur identité professionnelle pour accueillir des enfants présentant des TSA alors qu’ils n’y avaient pas été spécifiquement formés

C’est ce qui m’a incitée à proposer des entretiens biographiques à des enseignants accueillant des enfants atteints de troubles autistiques.

Dispositif de recherche, méthode et terrain

Ce début de recherche visait à explorer les modalités d’accueil des enfants autistes dans le secondaire. M’inscrivant dans la perspective méthodologique de la recherche biographique en éducation, j’ai construit un dispositif visant à « engager » plutôt qu’à

« impliquer » les enseignants rencontrés (Ardoino, s.d.) en les invitant à s’interroger sur leur vécu de l’accueil de l’enfant présentant des TSA. Les transcriptions des entretiens étaient restituées aux enseignants afin qu’ils puissent éventuellement compléter ou modifier leur récit. Puis, je leur proposais mes interprétations afin de prendre en compte leurs remarques.

Je partage le cercle herméneutique de mes participants. Intervenant en formation à l’ESPE de Rouen, j’ai choisi de mener des entretiens avec des enseignants s’inscrivant dans la même académie, ce qui me permettait de mettre en lien leurs pratiques et la formation dispensée. J’ai choisi de rencontrer des collègues de lettres du secondaire, ayant moi-même enseigné cette discipline pendant 20 ans et en connaissant les spécificités. Par ailleurs, il me semblait pertinent, puisque j’abordai ma recherche dans une perspective qualitative et que je n’envisageais pas de rencontrer un grand nombre d’enseignants, d’éviter les biais interprétatifs pouvant relever de spécificités liées à l’inscription d’une pratique enseignante dans une discipline plutôt qu’une autre. Cela a impliqué une mise au travail de mes propres représentations et une conscientisation de mes représentations de l’expérience d’inclusion. Il s’agissait de pouvoir tendre vers une suspension de mon jugement dans une forme d’épochè me permettant de rencontrer l’altérité de mes interlocuteurs et d’entendre dans le respect leur expérience singulière.

J’ai été orientée par des collègues ou des chefs d’établissement vers trois professeurs de lettres qui enseignaient au lycée et trois autres au collège que j’ai contactés par mail ou au téléphone pour leur expliquer ma démarche et leur proposer des entretiens d’une heure. Je les ai menés pour deux d’entre eux dans des cafés et pour les autres dans leur établissement scolaire entre deux heures de cours. Ils ont été enregistrés puis intégralement retranscrits.

En ce qui concerne les collèges, il s’agissait d’établissements de centre-ville et d’une petite commune proche ne présentant pas de difficultés particulières, mis à part pour l’un deux, situé en REP (Réseau d’Éducation Prioritaire). Les deux lycées concernés sont situés en centre-ville.

Le cadre suivant présente brièvement les enseignants rencontrés:

J’ai analysé les récits recueillis en utilisant la grille de Heinz, adaptés par Delory- Momberger (2014, p. 89-92) en y intégrant le « triptyque multiréférentiellement différencié « agent-acteur-auteur » proposé par Ardoino (1992). Pour lui, si l’agent peut être considéré comme le « rouage dans la mécanique », l’acteur, lui, porteur de sens, choisit la manière d’interpréter son rôle. Mais l’auteur, lui, va créer son rôle, découper son histoire « de façon temporelle », devenant « source et producteur de sens » (Ardoino, 1992). La grille de Heinz situe les interprétations au croisement des théories de l’expérience et de celles de l’action. Elle m’a conduit à observer dans le récit:

- les formes du discours, révélatrices entre autres du degré de mise en réflexivité

du narrateur.

- Les schémas d’actions et les systèmes d’actants mettant en évidence la manière dont le narrateur se positionne et positionne les autres actants (actif, passif, agent, acteur, auteur, ressources, obstacles…).

- les topoïs, thèmes récurrents qui organisent l’action et le ressenti du narrateur et représentent les clés d’interprétation de son vécu de l’accueil.

- la gestion biographique des topoïs qui permet de saisir comment les narrateurs interprètent, évaluent, ajustent leur action, ici pour répondre aux demandes institutionnelles.

Ces quatre axes permettent d’avoir une vision globale de la manière dont les enseignants rencontrés vivent l’accueil d’un enfant atteint de troubles du spectre autistique.

J’ai d’abord procédé à une interprétation de chaque entretien avant de les mettre en relation pour essayer de rendre compte, dans sa complexité, de la situation de l’accueil de l’enfant présentant de TSA dans l’enseignement secondaire s’inscrivant à la fois dans un parcours singulier et un contexte institutionnel et sociétal.

Interprétations

Remarques générales

L’ensemble des enseignants rencontrés utilisent les différentes formes de discours en alternance. Les passages narratifs sont orientés notamment vers les adaptations pédagogiques mises en œuvre et vers les parcours de formation et parcours professionnels de l’enseignant. La forme descriptive apporte des informations sur les élèves présentant des TSA. Le discours évaluatif ou argumentatif témoigne de l’adoption d’une posture réflexive et évaluative qui interroge le sens et les conditions de l’accueil des enfants présentant des TSA.

Presque tous les enseignants se positionnent dans des agir progressifs, qui prennent en compte le caractère interactionnel de la situation pédagogique et semblent la conséquence d’une méconnaissance des TSA en général et des besoins de l’enfant qu’ils accueillent en particulier. Globalement, l’observation des systèmes d’actants met l’enseignant en position centrale, quelle que soit son opinion quant à l’accueil des enfants présentant des TSA. Les enseignants interprètent différemment leurs rôles dans la situation d’inclusion, mais s’y positionnent rarement en tant qu’auteurs- créateurs de sens.

Les autres actants, mis à part les AVS (assistants de vie scolaire), tantôt considérés comme des ressources, tantôt comme des obstacles ou des acteurs indésirables, ne sont pas présentés comme agissant dans le cadre de l’inclusion. En effet, l’enfant, systématiquement évalué par rapport à une norme, qu’il rejoint ou qu’il dépasse, est abordé sur un mode descriptif. L’accent est surtout mis sur ses atouts, sur ses déficiences ou, parfois, sur ses émotions. L’équipe pédagogique, représente un point d’appui, voire un point d’« abri » quand l’inclusion menace la stabilité de l’enseignant. Mais elle est peu citée et surtout à travers l’utilisation de pronoms indéfinis « on » ou du pronom personnel « nous » qui traduit le plus souvent une forme de fusion sécurisante. Les partenaires extérieurs, la famille et les camarades de classe, n’occupent des rôles que très secondaires.

Le discours des enseignants s’organise aussi autour de modes d’appréhension de l’accueil des enfants présentant des TSA qui relèvent d’émotions et de sentiments: peur, confiance, souffrance, colère, reflets de l’inscription des modalités d’accueil. Elles dépendent des représentations professionnelles, liées en partie à la formation reçue et à l’expérience professionnelle, et de celles de l’autisme.

Représentations professionnelles et agir de l’enseignant

Rappelons que les représentations professionnelles « sont définies comme des ensembles de cognitions descriptives, prescriptives et évaluatives, portant sur des objets significatifs, utiles à l’activité professionnelle et organisés en un champ structuré présentant une signification globale » (Blin, 1997, p. 89) et qu’elles influencent la pratique des enseignants.

L’inscription dans un système de représentation des finalités de l’institution scolaire, du sens de l’acte éducatif et du rôle de l’enseignant va en partie conditionner les modalités d’accueil proposées.

Stéphanie, enseignante au lycée, qui inscrit sa pratique et qui a été formée à l’IUFM dans le paradigme de l’intégration demandera l’année prochaine à ne plus accueillir d’enfants présentant des troubles autistiques dans sa classe: « c’est pas mon boulot et je ne pense pas que leur place soit à l’école, je n’ai pas signé pour ça, moi ». Elle veut pouvoir inscrire ses cours dans un fonctionnement habituel, c’est-à-dire sans adaptation particulière. Pour les élèves qui ne peuvent s’adapter, l’enseignement spécialisé est à son avis la meilleure solution, « en particulier pour des enfants autistes », ajoute-t-elle, puisqu’ils ne parviennent pas à communiquer, s’appuyant pour l’affirmer sur l’expérience qu’elle vit en accueillant un élève avec qui le dialogue est difficile: « c’est comme si je n’existais pas ».

Georges la rejoint en partie:

Georges: J'ai hésité à le mettre sur ma feuille de vœux: je ne veux pas d'enfants avec AVS dans ma classe […] Ce que je vous ai dit tout à l'heure: "le lycée ce n'est pas un hôpital", "on n'est pas formé pour". Donc euh [...] C'est une chose difficile.

Mais les représentations qu’il se fait de son métier le conduisent tout de même à s’adapter:

Georges: Mais bon, à partir du moment où on en a, ben, s'adapter, quoi. Il n'y a pas de choix. […]Les enseignants sont contents d'être enseignants, dans la conscience des exigences du métier.

Mais il n’ajuste pas son cours pour autant. C’est en cela qu’il s’inscrit d'avantage dans le paradigme de l’intégration que dans celui de l’inclusion.

Denise, enseignante au collège, adopte la même position que Georges en ce qui concerne sa position l’inclusion. Cependant, elle adapte davantage ses cours. Si elle se positionne parfois dans un discours intégratif, elle adopte finalement une pratique plutôt inclusive.

Béatrice, enseignante au lycée, dont le discours est favorable à l’inclusion des élèves en situation de handicap au nom de la diversité, semble pourtant attendre des enfants présentant des TSA qu’ils soient en capacité de s’adapter aux exigences du programme.

Sébastien, lui, accueille un enfant diagnostiqué comme présentant des TSA mais qui ne se démarque en rien des autres élèves et n’est pas accompagné par un AVS. Il ne voit pas la nécessité d’une adaptation ni d’une recherche d’informations qui pourraient faciliter la scolarité de cet enfant.

À la différence des autres enseignants, Alix semble absolument convaincue des bénéfices de la scolarisation en milieu ordinaire des enfants autistes autant pour l’élève concerné, que ses camarades de classe et l’enseignant, mais elle n’a accueilli que des élèves dont elle souligne l’intelligence hors-norme.

Ces témoignages montrent que la pratique des enseignants n’est pas toujours en relation avec leur position concernant l’inclusion scolaire. Au nom de la loi ou de l’éthique, ils peuvent défendre un système intégratif tout en s’adaptant aux besoins de l’élève accueilli ou, à l’inverse, défendre un système scolaire inclusif en limitant les adaptations en direction des élèves présentant des TSA.

En effet, si les enseignants interrogés partagent le même cadre législatif, les entretiens révèlent d’importantes variations dans la mise en œuvre de l’accueil, en fonction du sens attribué à sa pratique par l’enseignant. Trois facteurs peuvent favoriser ou freiner l’inclusion et rendent chaque situation d’accueil singulière: le contexte de scolarisation, les caractéristiques de l’élève et les caractéristiques de l’enseignant.

Le contexte

Trois éléments contextuels semblent pouvoir être pris en considération: le niveau de scolarisation, le type d’établissement et le climat de la classe.

Il semble possible que les enseignants de collège, habitués à un public plus diversifié qu’au lycée, accueillent plus facilement les élèves présentant des TSA. Pour autant, cela ne vaudrait que pour les établissements ne présentant pas de difficultés particulières. En effet, le contexte de l’enseignement en REP, pourrait être moins favorable. Denise, qui met l’accent sur la charge déjà lourde à laquelle elle doit faire face, semble appréhender davantage que les autres collègues l’accueil d’un enfant présentant des TSA.

Denise: De se dire, y a ce problème-là en plus, avec déjà d'autres élèves, aussi, difficiles.

Elle évoque aussi la question des moyens:

Denise: Dans de bonnes conditions, s'il y a les moyens qu'il faut, oui.

- L’élève

Les enseignants mettent en lien le niveau de scolarisation, celui de l’élève et les possibilités d’insertion professionnelle pour questionner du sens de son accueil en milieu ordinaire.

Dans certains cas, l’intérêt de l’inclusion est remis en question:

Georges: Et N., c'est un garçon qui [...] J'ai des soucis sur sa réussite.

Béatrice: Donc la maman a voulu absolument qu'il s'inscrive en seconde générale pour voir. Et ça se passe pas très bien. Il [ [...] ] Il a, il est très lent, il a du mal à comprendre ce qu'il lit. Et donc euh [...] les exigences du lycée sont plus élevées que celles du collège. […] Cela va être que du littéral au détriment de l'écriture et là, on s'éloigne complètement de l'objectif du lycée en français au final.

Ou encore:

Béatrice: Donc, je me [...] pose la question suivante: est-ce que cette élève-là, avec son bac, si elle obtient son bac littéraire, va réussir à faire des études supérieures et à être, vous voyez, autonome ? […] j'en suis pas certaine.

Quand il s’agit d’autistes dits « à haut-niveau de fonctionnement », l’inclusion est envisagée de façon très positive:

Georges: Voilà, la finalité, voilà, c'est ça. Le fait de donner du sens. Avec M. C'est tout à fait possible. Je sais qu'il veut être documentaliste. C'est un garçon curieux, qui fait du latin, du grec, de l'histoire de l' art [...] […] C'est un garçon brillant donc il faut l'aider à aller jusqu'au bout à réussir sa vie, ben, quand il va être tout seul, quoi.

Béatrice: Par exemple mon élève de terminale, là, qui est brillant en latin, cet élève alors [...], je n'ai pas de soucis, vous voyez, pour son futur. Alors après, il aura peut-être un métier dans lequel il n'y aura pas trop de relations publiques, mais il est très intéressé par l'informatique. Moi, je l'imagine bien programmeur, développeur, enfin, voilà, ce genre de métier va lui aller à merveille, je pense.

On voit ici apparaître ce qui fait la spécificité de l’inclusion de l’enfant présentant des TSA par rapport à d’autres types de handicaps: il peut présenter des aptitudes hors normes et s’inscrire en figure d’élève « idéal » du point de vue intellectuel, cognitif, mais aussi comportemental:

Alix: il avait une volonté d'apprendre, un comportement, on pourrait dire, exemplaire, c'est- à-dire qu'il arrivait en classe, euh [...] il sortait assez facilement ses affaires et il était très très attentif. […] Alors c'était fulgurant, euh [...] ses rédactions, c'était des petits romans, c'était extraordinaire. J'avais à peine fini la question qu'il avait déjà la réponse. Mais alors il était extrêmement brillant. […]. Mais alors, c'était, c'était extraordinaire. Une intelligence rare.

Béatrice: C'est le meilleur élève de la classe et de loin.

Denise: il participe quand il faut, il [...] , son travail est fait et souvent de très bonne qualité.

Mais la spécificité des TSA peut aussi conduire au rejet de leur scolarisation si l’élève présente des troubles communicationnels et relationnels ou souffre de sa scolarisation:

Denise: l'autisme fait peur parce que [...] on se demande toujours, ouais, comment on va pouvoir communiquer [...]

Georges: M., il est reparti dans son monde. J'ai été à son service, voilà. Le prof était à son service. Il fallait arrêter le cours pour répondre à ses questions. J’étais obligé de lui dire: "M., il y a trente autres élèves qui attendent la suite du cours".

Béatrice: Mais un élève qui souffre, je pense que ce n'est pas une bonne chose, qu'il reste.

Pourtant, la spécificité de l’enfant présentant des TSA cherche souvent à être gommée:

Denise: Mathieu, il a des capacités. Il arrive, vous voyez, il arrive à faire quasiment les mêmes choses que les autres.

Denise: je n'irai pas jusqu'à dire que Mathieu est un élève comme les autres, mais oui quand même quelque part.

Béatrice: on remarque pas en fait, si on ne le sait pas [...] on ne remarque pas plus que ça en fait son handicap, qui, je pense, finalement est assez léger, il me semble. Enfin, je n'en sais rien, mais moi je le perçois comme ça. […] Donc euh [...] là, ce n'est pas du tout un handicap en fait, pour lui.

Sébastien: on ne voit pas du tout qu’il est autiste.

Seule Alix met clairement l’accent sur des besoins spécifiques liés aux TSA:

Alix: Parce que je [...] moi j'estime que [...] Ben, on doit les considérer euh [...] Voilà. Pas à égalité, parce que forcément, y en a qui ont besoin de plus de soutien.

Ces extraits mettent en évidence l’importance des caractéristiques de l’enfant dans la mise en œuvre de son inclusion. Les caractéristiques de l’enseignant la déterminent bien sûr tout autant.

- L’enseignant

Il semble que les enseignants formés dans le paradigme de l’inclusion tiennent un discours plus ouvert sur l’accueil que ceux ayant été formés, à l’IUFM ou « sur le tas » dans le paradigme de l’intégration. Mais l’expérience de l’enseignant a aussi son importance. On voit par exemple que Georges, Stéphanie, Alix, formés dans le paradigme de l’intégration puisent dans leur expérience pour adapter leur gestion de classe, même s’ils n’adaptent pas pour autant leur pédagogie aux besoins de l’élève. Leur expérience humaine entre aussi en ligne de compte comme on le voit par exemple avec Georges, qui vit lui-même une situation de handicap moteur développe une sensibilité particulière:

Georges: Ce besoin de la relation avec les autres, et en particulier avec les enfants est nourri de ce handicap.

N’ayant pas de connaissances sur les troubles autistiques, les enseignants s’appuient sur leur capacité d’observation pour gérer la classe et faire en sorte que leur cours se déroule le plus « normalement » possible.

On peut aussi noter que ceux qui ont déjà une expérience positive de l’accueil des enfants présentant des TSA abordent les nouvelles situations avec confiance quand à l’inverse, une expérience difficile fait appréhender les suivantes.

Les conceptions de leur métier et du handicap par les enseignants semblent un facteur extrêmement important. L’identité professionnelle construite, les valeurs défendues peuvent amener à des positions et donc à des types d’agir différents.

Georges: Je sais bien que moi je ne peux pas être autrement que [...] qu'à l'écoute des élèves et ça m'intéresse plus que ce que je leur enseigne.[…]. Au début on arrive, on est prof de français pour enseigner le français. […] ce qui s'est construit pendant toute ma carrière, c'est [...] d'être le plus possible à l'écoute des élèves, dans la relation.

Denise: [...] Je pense que j'avais l'idée de transmettre des choses, d'être utile, quoi. Y avait cette dimension-là.

Béatrice: Mais en ZEP, en plus, il faut participer à la construction de la personne. Au lycée, je m'occupe vraiment de la construction intellectuelle, parce que je sais qu'ils ont les codes. Au collège, ils n'avaient pas les codes, les élèves que j'avais entre les mains. Donc, il fallait qu'on leur donne aussi les codes, les codes sociaux, et qu'on les structure.

Certains énoncent clairement une conception plutôt intégrative du handicap:

Sébastien: Sur le principe, l’école doit accueillir tous les enfants, quelle que soit leur situation et les faire progresser le plus possible. Moi je dis, à condition qu’ils puissent suivre.

Alix, à l’opposé s’inscrit dans une conception inclusive qui implique de s’adapter aux besoins de l’enfant:

Alix: … mais moi je trouve que [...] oui, je ne vois pas pourquoi on n' accueillerait pas des enfants qui ont un handicap.

Les autres semblent plus mitigés:

Béatrice: C'est-à-dire que, un élève euh [...] qui serait en situation d'échec, mais qui ne souffrirait pas d'être en situation d'échec, pourquoi pas ? Euh [...] Mais un élève qui souffre, je pense que ce n'est pas une bonne chose, qu'il reste.

Denise: […] je suis pas très très au fait en la matière, mais des moments où on peut les intégrer et des moments ou peut-être ces enfants auraient besoin aussi de sortir un peu parce qu'il y a des moments, ça peut être trop. Donc là je ne parle pas forcément de l'autisme, là, je parle un peu d'une manière globale.

Il est intéressant de mettre en dialogue les différents facteurs qui influencent l’accueil de l’élève présentant des TSA avec les agir des enseignants en direction de ces enfants.

Les actions des enseignants en direction des enfants présentant des TSA

Dans le contexte législatif qui encadre l’inclusion des élèves présentant des TSA et au vu des connaissances produites sur leurs besoins des enfants, on peut attendre des enseignants un certain nombre d’actions pour permettre l’inclusion: adaptations pédagogiques, prises d’information sur les TSA, construction d’un lien de partenariat avec les familles, concertation avec l’équipe pédagogique et les partenaires extérieurs, coordination avec les AVS.

Dans la pratique, ces actions ne semblent pas systématisées.

- En effet, seules Alix et Denise évoquent des adaptations pédagogiques en amont du cours pour faciliter l’apprentissage de l’enfant accueilli.

Denise: je vais adapter une dictée, etc. Il va en faire moins, ou il va faire une dictée à choix multiples [...] Il va avoir un exercice adapté.

D’autres justifient pourquoi ils ne le font pas:

Béatrice: mais je ne vais pas adapter le contenu de mon cours aux élèves autistes, parce que je, je ne peux pas. J'ai [...] Ils sont intégrés, alors en seconde, ils sont 30-35, plus l'AVS, et en première, ben c'est des premiers L, donc ben le programme est très lourd. Et donc euh [...] je ne peux pas euh [...] voilà, je ne peux pas ralentir le rythme des cours euh [...]

Les adaptations mentionnées concernent surtout le fonctionnement du cours et l’attitude de l’enseignant vis-à-vis de l’élève. Elles résident dans la valorisation, l’écoute de l’élève, la répétition des informations et l’attention à ne pas mettre les élèves dans des situations de communication qui pourraient les embarrasser.

Seule Alix connaît et suit les préconisations du PPS (Plan Personnalisé de Scolarisation):

Des directives, enfin, entre guillemets, donc savoir ce qu'il fallait faire euh [...] pour l'aider. Par exemple, les cours photocopiés, lui laisser un peu plus de temps euh [...] relire les consignes, pour qu'il les interprète correctement.

Les prises d’information préalables à l’accueil de l’enfant semblent rares. Cinq enseignants n’ont pas effectué cette démarche alors qu’ils avouent n’avoir que peu de connaissances sur l’autisme.

Georges: Donc la pathologie de l'autisme, surtout qu'on m'a donné un autre nom [...] Que je n'ai pas pris la peine de [...] d'étudier de près, voilà. […] Je n'ai pas été regarder sur internet ce que c'était que [...]

Paradoxalement, ils peuvent mentionner un manque d’informations et de formation à plusieurs reprises.

Georges: Peut-être que si j'avais été guidé davantage, j'aurais été meilleur plus tôt. Voilà. Donc, oui, ce que je veux dire, c'est: manque d'information sur la pathologie de ces enfants. Ou encore: Je pense qu'il faut une formation. Mais je ne l'aurais pas forcément demandé. Parce que j'ai suffisamment d'expérience et que les formations je n'aime pas ça.

Concernant la concertation avec l’équipe pédagogique, elle peut être présentée comme contre-productive ou comme une ressource selon les cas:

Béatrice: Et là ce qui a achevé notre inquiétude, c'est qu' on nous a organisé une réunion, pendant, une semaine avant son accueil, pour nous informer [...]. Donc là, le fait qu'il y ait une réunion, avec la direction, avec l'infirmière, je crois que ça nous a un peu stressés, parce que ça [...] ça a attiré notre attention, en fait, sur lui.

Denise: Donc on a eu une réunion […] où on a rencontré ses parents, je pense la pédopsychiatre, qui doivent le suivre, et puis bon, c'était intéressant de voir, de pouvoir les rencontrer, etc., quoi. Là aussi, ça faisait, ça contribuait à nous rassurer, vous voyez.

Enfin, la relation à la famille ne semble pas souvent initiée par les enseignants qui nourrir parfois de la défiance ou des jugements vis-à-vis de la famille. Elle peut s’inscrire dans le cadre habituel des réunions parents-professeurs ou en dehors, à leur demande:

Béatrice: Alors, j'ai rencontré leurs parents dans le cadre des réunions parents-profs, la maman de l'élève autiste je l'ai rencontrée avant, en fait, à sa demande, elle voulait me parler de sa fille. Alors que la maman de l'autre élève a attendu la réunion parents-profs pour me rencontrer. Mais c'est vrai que moi, je n'ai pas fait la démarche d'aller vers les familles, oui.

La famille peut être envisagée comme faisant obstacle aux apprentissages:

Béatrice: En tout cas, moi ce qui m'inquiète un petit peu, c'est que la maman est ultra investie dans la scolarité de sa fille.[…] par exemple, les devoirs maison sont faits par la maman.

Alix: c'était parfois un petit peu difficile, parce qu'il fallait vraiment, là, mettre tout en place pour qu'elle soit rassurée et qu'elle euh [...] Qu'elle fasse un petit peu, qu'elle fasse quand même confiance aux enseignants, voilà.

Elle peut aussi représenter une ressource, par des enseignants du collège:

Denise: Voilà, je pense qu'il faut […] écouter, écouter les parents, voilà, pour savoir euh [...] voilà, comment, comment est l'enfant, voilà, les gens qui le connaissent pour savoir, voilà, s'il y a quelque chose de particulier à faire à adapter ou quoi. Voilà.

L’action la plus fréquemment citée par les enseignants concerne la sollicitation des AVS, rassurants, et source d’informations:

Georges: Mais bon j'avais [...] peut-être inconsciemment la présence de l'AVS qui me rassurait. Ou: R. qui était AVS m'a dit, quand tu parles à M., saches que tout ce que tu lui dis, il le prend comme argent comptant. Il a très peu de recul M.. Je ne sais rien de l'autisme, donc [...]

Mais la présence de l’AVS peut aussi se présenter comme une source d’inquiétude:

Georges: je redoutais peut-être plus la présence de l'AVS que la présence de l'enfant [...] Avoir quelqu'un d'étranger dans sa classe pour un enseignant, vous savez, ce n'est pas [...] c'est pas commun. On n'aime pas ça [...]

Béatrice: Alors, la présence de l'AVS dans la classe […] mais voilà, on a un regard d'adulte qui est constamment présent aussi sur, sur le travail que l'on fait [...]

Les enseignants se déchargent parfois des adaptations pédagogiques sur les AVS:

Béatrice: je me repose sur les AVS. Rarement d'ailleurs, les AVS me demandent quoique ce soit, euh [...]

L’AVS est aussi envisagé comme une ressource sur le plan social:

Denise: Alors peut-être aussi du fait de son AVS, etc. aussi qui est là pour faire du lien.

Plus rarement, l’enseignant peut aussi y voir un obstacle à la progression de l’élève:

Béatrice: À mon avis, c'est-à-dire qu' il faut aussi que l'élève puisse vivre sa vie d'ads et qu'il puisse aussi nouer des liens d'amitiés et donc s' il y a toujours l'AVS qui interfère entre lui et les autres, ça peut être compliqué aussi, vous voyez, pour nouer des liens.

Mais Alix, qui s’implique dans l’accueil des élèves, agit aussi pour réguler l’intervention de l’AVS:

Alix: Alors, je me suis approchée et je lui ai dit: "c'est moi qui fais la dictée"

Le rapport enseignant-AVS s’ajuste en fonction du champ d’expertise que l’enseignant reconnaît à chacun.

Position, identité professionnelle et agir des enseignants

Quel positionnement des enseignants?

On constate une grande diversité dans le positionnement des enseignants et dans leurs pratiques de l’inclusion.

Au regard des enjeux de l’inclusion, pour la société et pour les jeunes concernés, que nous rappelle Gardou: « L’éducation est, par essence, politique. Sans cet étayage, l’enfant risque de demeurer dans une acceptation passive de la mise à l’écart des « non conformes à la norme » (Gardou, 2014), il est important de comprendre quels pourraient être les leviers d’une amélioration de la situation.

En 2004, Tournebize & Genoloni relevaient, à partir d’une enquête par questionnaire auprès d’enseignants d'EPS accueillant des élèves en situation de handicap en classe, quatre types de prises de positions différentes: les « résistants », les « passifs », les « actifs » et les « militants » (Tournebize & Genoloni, 2004). Ces types de position concernaient des enseignants d’EPS mais ne sont pas sans entrer en résonnance, sans toutefois totalement les recouper, avec les positions des enseignants de lettres interrogés.

Deux types de propositions, les plus extrêmes, pourraient être adoptés. La position d’Alix correspond à celle des « militants », qui se traduit pour elle par un engagement dans des adaptations variées en faveur de l’enfant atteint de TSA et celle de Stéphanie entre dans celui des « résistants ».

Mais les autres enseignants se positionnent à l’intersection de plusieurs types de positons. On peut émettre l’hypothèse que le changement de politique a introduit des confusions dans les positions adoptées. Elles dénotent des contradictions entre le discours des enseignants et leurs agir, tant dans leur mission de socialisation que dans celle de la transmission des savoirs.

Dès lors, un autre type de position pourrait s’avérer approprié que nous proposons de nommer les « tiraillés », pour désigner les « enseignants [qui] apparaissent […] tiraillés entre les attendus institutionnels, en termes de programmes et de réussite, et la prise en compte de l’enfant en situation de handicap » (Bedoin & Daverne, 2014, p. 177). Il concernerait les enseignants que la situation d’inclusion fait entrer dans une tension entre leur identité professionnelle et une inscription dans le paradigme de l’inclusion, au regard d’un principe éthique et/ou législatif. L’identité professionnelle, construite par le biais de la formation initiale, d’une mimesis professionnelle et de l’expérience du métier détermine leurs agir. Selon Bedoin et Daverne, la politique de l’inclusion a constitué « un choc institutionnel produisant des effets contrastés chez les acteurs » (Bedoin & Daverne, 2014, p. 177). Elle a entraîné une déstabilisation des repères habituels qui nécessite qu’ils trouvent, « dans la continuité de leur identité professionnelle– les ressources pour prendre au mieux en compte les besoins éducatifs particuliers des élèves » (Ibid, p. 178).

Transformation des positions et des agir enseignants

Les positions construites par les enseignants interrogés, ainsi que les postures et les agir qui en découlent, si elles ne peuvent être considérées comme représentatives de celles de tous les enseignants de lettres, donnent tout de même une indication sur les pratiques d’inclusion. Elles mettent en évidence des difficultés des enseignants à mettre en application la loi sur l’égalité des chances de 2005. Les élèves présentant des TSA qui restent scolarisés dans le secondaire dans des classes ordinaires sont ceux qui parviennent, seuls, avec l’aide de leurs parents ou celle des AVS à mettre en œuvre des stratégies pour surmonter leur difficulté. Leur présence à l’école les confronte au regard de l’enseignant alors que: « La personne handicapée partage le plus souvent la culture de celui qui la regarde, aussi s’adapte-t-elle comme elle le peut à ce regard. Pour éviter le processus de stigmatisation, elle peut être contrainte de masquer ses difficultés » (Scelles, 2013a, p. 38). Cela implique davantage de travail pour l’élève en situation de handicap que les autres pour atteindre le même but. Pourtant, c’est théoriquement à l’école de s’ajuster à ses besoins. Comme le souligne Burnztejn: « Finalement, ces intégrations individuelles dépendent encore beaucoup de la capacité de l’enfant à s’adapter au dispositif scolaire. Les adaptations de l’école en fonction des difficultés spécifiques de l’enfant restent très limitées. (Bursztejn, 2013, p. 231).

Pour transformer la situation, il est nécessaire de prendre appui sur la construction d’une posture, envisagée comme « une orientation constante de la pensée » (Thouroude, 2016, p. 75). Elle permet de dépasser l’aspect fonctionnel de l’expérience de l’accueil de l’enfant présentant des TSA et de la réinscrire dans sa finalité éducative humaniste et émancipatrice, ce qui implique d’inscrire sa pratique dans une finalité éthique qui dépasse la prescription législative.

L’expérience scolaire d’un enfant s’inscrit dans une construction biographique globale avec laquelle elle doit pouvoir s’articuler. En raison de la singularité des troubles de l’enfant présentant des TSA, il est donc encore plus important pour lui que pour les autres, de prendre l’initiative de la construction d’un entre-deux, situé entre la famille et l’école proprement dite, pour le comprendre. Mais, comme l’explique Thouroude, les parents « connaissent souvent mieux leur enfant que les enseignants quant à ses particularités liées à son handicap, ce qui risque de les mettre en rivalité avec les savoirs des enseignants » (Thouroude, 2017, p. 39).

Cela peut certainement expliquer en partie les réticences des enseignants à aller à la rencontre des parents des enfants présentant des TSA, aux dépens des intérêts des élèves. Ces derniers ont besoin d’être regardés positivement et d’être reconnus dans leur singularité pour s’engager dans les apprentissages. Un regard rassurant repose sur la rencontre et la compréhension de l’élève et de sa situation. Mais il n’est possible que si l’enseignant peut lui-même trouver (ou retrouver) un sentiment de sécurité.

La politique de l’inclusion a fragilisé les identités professionnelles enseignantes. Il convient donc, comme nous y invite Scelles, « de prendre soin des professionnels qui doivent accueillir ces parents, cet enfant […]. Cela suppose de les aider à comprendre certaines réactions des parents et des enfants, de les soutenir dans leur écoute, et de les former à mieux travailler avec ces enfants ayant des manières d'être, de fonctionner qui les déroutent et parfois leur font peur » (Scelles, 2013b, p.136).

Conclusion

Cette première phase de recherche demande à être approfondie par de plus nombreux entretiens en direction d’autres enseignants du secondaire de lettres et d’autres disciplines et pourrait aussi être complétée par des entretiens en direction des parents afin de mieux comprendre ce qui fait obstacle à la scolarisation de leurs enfants au collège et au lycée. Mais elle a déjà mis en évidence certaines difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants de lettres du secondaire dans l’accueil des élèves présentant des TSA. Elle met en évidence une méconnaissance de ces troubles et de leur spécificité ainsi que des actions qui peuvent favoriser l’inclusion des enfants qu’elles concernent. Elle fait aussi apparaître une déstabilisation de l’identité professionnelle enseignante alors que l’expérience de l’accueil des élèves présentant des TSA, encore rare dans le secondaire, n’entre pas dans une continuité de leur expérience professionnelle. Cette déstabilisation entraîne les enseignants concernés dans un travail biographique qui vise à en construire. Mais ce travail semble tourner à vide dès lors qu’ils ne disposent pas de schémas pour l’interpréter.

Tout laisse à penser qu’une formation ajustée aux besoins des enseignants, les informant des spécificités des TSA et des actions qui permettent de s’adapter aux besoins des élèves ,mais les aidant aussi à interpréter l’expérience de l’inclusion, puis à se positionner comme auteurs et créateurs du sens de leur pratique, pourrait améliorer la qualité de l’accueil, incitant davantage les parents à scolariser leurs enfants dans des classes ordinaires.

Si, comme le pense Gardou, « En atteignant très tôt un enfant par son intelligence et par l’expérience du côtoiement de ceux qu’il juge de prime abord étranges, on prévient les dérèglements de ses représentations, de ses comportements, et, plus tard, de ses pratiques » (Gardou, 2014, p. 430), on ne peut que souligner l’importance et l’urgence d’améliorer l’inclusion des enfants présentant des TSA.

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Received: June 01, 2018; Accepted: July 01, 2018