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Revista Brasileira de História da Educação

versão impressa ISSN 1519-5902versão On-line ISSN 2238-0094

Rev. Bras. Hist. Educ vol.23  Maringá  2023  Epub 26-Set-2023

https://doi.org/10.4025/rbhe.v23.2023.e286 

Artigo Original

Marie-Thérèse Eyquem ou l’émancipation sous contrôle des pratiques corporelles féminines (1942-1961)

Marie-Thérèse Eyquem or the emancipation under the control of female bodily practices (1942-1961)

1Université de Strasbourg, Strasbourg, France. E-mail: jsaintmartin@unistra.fr, cardin@unistra.fr, lisawalther@unistra.fr


Resumé

Entre 1942, année où elle est nommée chargée de mission de l’éducation physique et des sports féminins auprès et 1961 où elle devient Inspectrice de la Jeunesse et des Sports, Marie-Thérèse Eyquem multiplie les initiatives pour sensibiliser les jeunes françaises aux buts hygiéniques et esthétiques des exercices physiques. L’objet de cet article vise à interroger cet engagement continu durant deux décennies et ses effets sur les transformations de l’éducation physique féminine. Il s’agira alors de mesurer à la fois l’importance des sources d’inspiration de cette actrice et l’évolution de sa trajectoire intellectuelle pour tenter d’expliquer en quoi l’émancipation sous contrôle des femmes qu’elle ne cesse de promouvoir s’appuie pour partie sur une liberté surveillée du corps féminin.

Mots clés: Femmes; Corps féminin; éducation physique féminine

Abstract

Between 1942, the year in which she was appointed project manager for women's physical education and sports, and 1961, when she became Inspector of Youth and Sports, Marie-Thérèse Eyquem multiplied initiatives to make young French women aware of the hygienic and aesthetic objectives of exercise physicists. The purpose of this article is to question this ongoing commitment over two decades and its effects on the transformations of female physical education. It is then a matter of measuring both the importance of this character's sources of inspiration and the evolution of her intellectual path, aiming to explain how the emancipation under the control of women that she promoted was based in part on a protected freedom of the female body.

Keywords: women; feminine body; female physical education

Resumo

Entre 1942, ano em que foi nomeada encarregada de projetos de educação física e esportes femininos e 1961, quando se tornou Inspetora da Juventude e Esportes, Marie-Thérèse Eyquem multiplicou iniciativas para sensibilizar as jovens francesas sobre os objetivos higiênicos e estéticos relativo aos exercícios físicos. Sendo assim, o objetivo do presente artigo visa analisar esse engajamento contínuo realizado pela professora ao longo de duas décadas e seus efeitos nas transformações da educação física feminina francesa. Trata-se de medir tanto a importância das fontes de inspiração desta personagem, bem como a evolução do seu percurso intelectual na tentativa de explicar como a emancipação feminina se assenta em parte numa liberdade tutelada do corpo feminino.

Palavras-chave: mulheres; corpo feminino; educação física feminina

Introduction

Marie-Thérèse Eyquem (1913-1978), actrice du sport féminin et de l’éducation physique, politique et féministe, débute sa carrière en étant nommée monitrice sportive au sein du Rayon Sportif Féminin (RSF) en 1930 (Castan-Vicente, 2009). Lors de son parcours (Morris, 2017) elle s’engage dans divers postes à responsabilité au sein de différentes instances associatives (le RSF, la Fédération internationale d’éducation physique et sportive féminine (FIEPSF), etc.) et politiques (Commissariat Général d’Education Générale et aux Sports (CGEGS) (Terfous, 2010), Direction Générale Jeunesse et Sport (DGJS), Mouvement démocratique féminin (MDF), le Parti socialiste (PS), etc.). À travers les multiples actions qu’elle a menées depuis son engagement associatif, Marie-Thérèse Eyquem est devenue l’une des actrices incontournables dans le développement du sport féminin et de l’éducation physique féminine.

D’après l’ensemble des travaux existants concernant cette actrice, son impact sous Vichy et au sein du Mouvement démocratique féminin, souvent mis en évidence, est bien réel. En effet, depuis son entrée au sein du Gouvernement de Vichy, Marie-Thérèse Eyquem a œuvré pour le développement du sport féminin au niveau national. Son action est orientée vers la recherche d’une collaboration entre les différentes fédérations féminines, la création de stages, de formation de cadres, ainsi que la construction d’installations nouvelles (Munoz, 2002). Nous retrouvons également un fort engagement de l’actrice dès les années trente au sein du Rayon sportif féminin mais également dans les années soixante à travers le Mouvement démocratique féminin, qui prend de l’ampleur principalement sous sa direction à partir de 1962 lorsqu’elle devient dirigeante du mouvement jusqu’en 1970, date à laquelle le mouvement décline. Cependant, une zone d’ombre reste, selon nous, à éclaircir concernant la période de la IVe République et avant qu’elle ne soit nommée inspectrice de la Jeunesse et des sports au tout début des années 1960. En effet, entre 1942, année où elle est nommée chargée de mission de l’éducation physique et des sports féminins auprès du Colonel Pascot, et 1961 où elle devient Inspectrice de la Jeunesse et des sports, les pensées et les actions de Marie-Thérèse Eyquem se multiplient et se diversifient, mettant en évidence les évolutions idéologiques de l’actrice au sein notamment de son parcours intellectuel. Durant cette période, elle multiplie les initiatives pour sensibiliser les jeunes françaises aux buts hygiéniques et esthétiques des exercices physiques, en publiant différents ouvrages et/ou articles relatifs à l’éducation physique féminine, dont le plus connu demeure La Femme et le sport publié en 1944, mais aussi en organisant pour la 1ère fois la Fête Nationale de la sportive au Parc des Princes, à Paris le 5 juillet 1942.

Sur le plan méthodologique, l’analyse des documents officiels liés à ses fonctions ministérielles mais aussi et surtout l’analyse des trois ouvrages suivants, La Femme et le sport (1944), Jeunes filles au Soleil (1945), Irène Popard ou la danse du feu (1959), et les articles qu’elle publie dans la presse, y compris la presse spécialisée, (revue EGS, Tous les sports, Les jeunes, L’Homme Sain, la Revue EP.S, la revue Basket-ball, etc.). Cet article vise ainsi à éclaircir les « zones d’ombre » dans le parcours de cette actrice pour mieux comprendre en quoi ses engagements multiples entre 1942 et 1961 contribuent à la promotion d’un féminisme modéré essentialiste à travers des événements et manifestations auxquels elle participe et/ou organise (Congrès Internationaux, Journées d’études internationales) ou des réseaux d’influence qu’elle ne cesse de renforcer (catholique, éducation physique/sportif, local/national/international).

L’éducation physique féminine : une ode à la féminité traditionnelle ?

Un héritage difficile de l’idéal féminin vichyste ?

Selon M-T. Eyquem (1941, p. 2), « la sportive française travaille pour acquérir la santé, l’adresse, la résistance, la force et la grâce. Elle mettra ses qualités physiques, morales, intellectuelles, au service d’un idéal, celui du travail, de la famille, du Pays ». Si la source de cette citation - hebdomadaire officiel du régime de Vichy - mettait déjà en évidence un rapprochement entre Marie-Thérèse Eyquem et le régime vichyste, le contenu précisant les objectifs de la pratique sportive pour la femme française ne fait que renforcer ce lien idéologique. En effet, cette conception traditionnelle de la femme fait directement écho à la pratique corporelle mesurée et adaptée aux capacités féminines recherchée par le CGEGS renvoyant à une véritable politique de contrôle du corps féminin. Il s’agit ici ni plus ni moins de promouvoir une éducation physique de base pour transmettre des savoirs corporels spécifiquement féminins rattachés à l’esthétisme et à la beauté des mouvements réalisés par les femmes sportives. Encensée également dans La Femme et le sport (1944), cette éducation physique est majoritairement associée à la maternité dans l’objectif de constituer une jeunesse saine : « Le projet de la Révolution nationale (...) construit un univers symbolique et un idéal de la maternité, de la famille, du foyer » (Eyquem, 1944, p. 7). Conformément aux principes de l’Education Générale et Sportive (EGS), elle prône ainsi une éducation sexuée pour la formation des « futures gardiennes de foyer » et « détermine une éducation physique spécifique, adaptée à la formation des futures mères de la Patrie » (Terfous, 2010), renforçant le dogme de l’assignation des identités sexuées à travers le rôle traditionnel attribué à la femme dans la société française des années 1940. Elle milite pour un féminisme essentialiste, c’est-à-dire un féminisme qui considère que les femmes doivent travailler à revaloriser les qualités féminines. Il s’oppose à la volonté de vouloir ressembler aux hommes en adoptant par exemple leurs comportements. Pleinement en accord avec le contexte de l’« entre-deux-féministes » (1920-1960) (Chaperon, 2000) correspondant à la transition entre l’ancien mouvement des droits des femmes et le nouveau féminisme, Marie-Thérèse Eyquem véhicule ainsi un discours où conceptions traditionnelles et conceptions modernes de la place et du rôle des femmes dans la société d’après-guerre s’entremêlent. Elle incite donc les femmes (et non plus la femme) à affirmer leur féminité qui peut être plurielle plutôt que de rechercher à ce que les femmes ressemblent aux hommes. En d’autres termes, Marie-Thérèse Eyquem s’engage dans une forme de féminisme plus mesuré que le féminisme radical mis en avant, par exemple, par Simone de Beauvoir dans le Deuxième Sexe (1949) puisqu’elle recherche surtout la complémentarité des genres sans aucune hiérarchie établie.

Au demeurant, la représentation de l’EP féminine qu’elle promeut s’inscrit totalement en adéquation avec les conceptions médicales véhiculées depuis l’entre-deux-guerres par le Dr. Maurice Boigey mais aussi celles de Jacques Martinié-Dubousquet, Luc Durtain, Yvonne Legrand-Lambling et Ebba Champetier de Ribes. Citons notamment un extrait de l’ABC d’éducation physique féminine rédigé par Ebba Champetier de Ribes : « Nous sommes femmes avant tout, nous voulons le rester de corps et d’esprit : c’est pourquoi nous demandons pour la femme une Éducation Physique vraiment féminine. Le garçon doit être en état de devenir soldat. La jeune fille doit être apte à devenir un jour mère... Faut-il leur donner la même éducation ? [...] la jeune fille doit spécialement être préparée à la maternité, à la douceur, à la grâce et au don de soi » (de Ribes, 1940, p. 2). Dans ce contexte si singulier de Vichy, Marie-Thérèse Eyquem s’appuie sur le discours médical pour légitimer son propre discours et reconnaître le principe de la domination masculine dans les pratiques corporelles françaises de cette époque.

En outre, si ces conceptions sont largement majoritaires dans l’entre-deux-guerres et sous le régime de Vichy, la Libération n’apporte pas de modification majeure et radicale concernant les représentations des femmes. Bien qu’elles obtiennent le droit de vote en 1944, la reconnaissance sociale des femmes est toute relative. En effet, dans les années quarante et cinquante, les mères sont toujours présentées comme les ouvrières du progrès humain et il est question de dévouement au service des autres, d'attention, de patience. Avec le baby-boom, la maternité revient d’ailleurs au premier plan dans les années cinquante et une femme « a le devoir de bien élever ses enfants et de rendre son intérieur agréable, mais aussi le droit comme toute nature agissante de se distraire avant le labeur pour le reprendre ensuite avec plus de courage » (Eyquem, 1946, cite dans Hubscher, 1992, p. 130). À ce titre, l’éducation catholique reçue par Marie-Thérèse Eyquem pourrait justifier en partie les conceptions qu’elle véhicule puisque l’Église catholique renforce et valorise la différence entre les sexes qu’elle considère comme irréductible (Castan-Vincente, 2009).

Quoi qu’il en soit, si Marie-Thérèse Eyquem ne réduit pas le rôle des femmes à leur seule fonction sociale liée à la maternité, elle s’inscrit toujours dans un discours traditionnel au sortir de la guerre, qu’elle couple, il est vrai, à un souhait de libérer les corps féminins grâce aux pratiques corporelles. Cette dialectique entre tradition et modernité dans l’EP féminine s’inscrit alors en totale adéquation avec l’évolution des discours dans la société française. D’une part, le discours médical traditionnel persiste. D’autre part, des conceptions plus ouvertes émergent, comme celle de Claude Magnin (1952) qui propose une conception innovante de l’éducation physique des femmes. Selon lui, la société a tendance à confondre le sport (en tant que compétition), qui est un ensemble avec ce qu’il peut comporter de bon ou de mauvais et le fait qu’il soit pratiqué par des filles ou des garçons n’a rien à voir. Nous retrouvons cette dialectique dans l’éducation physique de base que Marie-Thérèse Eyquem souhaite développer. Elle s’appuie sur des méthodes déjà existantes, notamment la méthode hébertiste et la gymnastique harmonique, et procède à leur synthétisation pour promouvoir une éducation physique complète, mesurée, hygiénique mais permettant également de libérer les corps féminins.

Le modèle de la débrouillarde

Dans son article, Claude Magnin compare également le discours de Georges Hébert à celui de Marie-Thérèse Eyquem. En effet, Georges Hébert montre que « ce sont les préjugés qui nous font considérer la femme comme un être à part, physiquement inférieur à son compagnon mâle. C’est l’éducation qui créée les différences d’aptitudes physiques entre garçons et filles » (Hébert, 1936, cité dans Magnin, 1952, p. 23). Quant à Marie-Thérèse Eyquem, elle indique « qu’il n’y a pas plus de nature féminine que de nature humaine. Les qualités et défauts de la femme, son comportement, sont le résultat de sa situation. Si elle n’est bonne qu’à ce qu’elle fait, c’est qu’on l’y a contrainte » (Magnin, 1952, p. 22). Claude Magnin met ici en évidence les ressemblances entre les conceptions des deux acteurs, à partir de la notion d’éducation engendrant des transmissions de culture et de valeurs différentes selon les sexes biologiques des enfants. En outre, en 1949, au congrès de Copenhague, Marie-Thérèse Eyquem utilise également les adjectifs « inférieurs » et « supérieurs » mais cette fois-ci, elle explique qu’ils ne peuvent plus marquer les différences entre les hommes et les femmes, contrairement à ce qu’elle dit en 1951 dans la revue EP.S. Ces propos contradictoires montrent que l’actrice est partagée entre tradition et modernité durant la période et s’appuie sur les conceptions d'un féminisme essentialiste qui se détache progressivement des conceptions traditionnelles pour tendre vers des ouvertures plus modernistes.

En s’ancrant dans ce courant idéologique entre 1942 et 1961 en lien avec les évolutions des représentations sociales des femmes de cette époque d’après-guerre, Marie-Thérèse Eyquem se détache progressivement des conceptions empreintes d’une vision traditionnelle de la femme pour tendre vers la prise en compte d’une diversité de profils féminins dont leur émancipation reste mesurée à travers les pratiques corporelles féminines. Ainsi, partagée entre tradition et modernité, la période étudiée de la trajectoire de Marie-Thérèse Eyquem correspond pleinement à une période transitoire. Son discours et ses actions illustrent cette dialectique, preuve de son féminisme essentialiste mais également d’une volonté de promouvoir un sport et une éducation physique féminine à travers son réseau d’influence qui s’étend à différents niveaux, local (parisien), national, international, et dans différents domaines (catholique, sportif, éducation physique).

Grâce à l’ensemble de ses propositions didactiques, nous pouvons ainsi identifier les enjeux épistémologiques poursuivis par cette actrice montrant que les savoirs visés reposent sur deux grandes catégories, l’élaboration d’une éducation physique (EP) de base, faisant principalement la synthèse de la méthode naturelle de Georges Hébert et de la gymnastique harmonique d’Irène Popard; mais également l’accès mesuré et réfléchi aux pratiques sportives et la compétition pour les femmes tout en respectant les principes d’un féminisme essentialiste.

Dans l’EP de base qu’elle promeut, Marie-Thérèse Eyquem milite pour une émancipation raisonnée et sous contrôle des jeunes filles. Sur le plan des conceptions proprement dites, elle s’inspire de la méthode hébertiste. Déjà, sous Vichy, elle fait référence à Georges Hébert dans le journal Tous les sports et dans La femme et le sport où elle fait l’éloge de la méthode naturelle. Elle propose, par exemple, une éducation naturelle pour les femmes « rurales » en leur conseillant le parcours en plein air à l’image des parcours hébertistes (Eyquem, 1944, p. 293) et précise que la méthode naturelle « constitue le meilleur mode d’entraînement général » car elle permet d’augmenter la puissance cardiaque, respiratoire, musculaire et digestive, la solidité de la charpente osseuse et des articulations ainsi que la souplesse articulaire. Elle montre ainsi les bienfaits de cette méthode d’un point de vue physique, mais s’attache également à mettre en évidence les bienfaits psychologiques et moraux de cette méthode. Plus que la méthode naturelle, elle cherche à promouvoir les valeurs hébertistes : l’altruisme, le dévouement, la solidarité entre les femmes et envisage ainsi l’ensemble des femmes comme une « grande unité sociale » (Morris, 2017, p. 44). Entre 1942 et 1944, le dévouement est ainsi orienté vers les besoins de la nation à l'image des valeurs du régime (Travail-famille-patrie) et l'unité sociale qui envisage la femme au singulier. Néanmoins, ces mêmes valeurs peuvent être encore identifiées à la Libération dans son roman Jeunes filles au soleil dans lequel, contrairement à la période de Vichy, Marie-Thérèse Eyquem met en avant une pluralité de profils féminins et la singularité des femmes qui peuvent alors s’émanciper à travers différentes pratiques corporelles. En 1957, Marie-Thérèse Eyquem fait de nouveau référence à Georges Hébert dans la revue lHomme Sain:

il choisit d’utiliser les mouvements naturels propres à l’humanité qu’il répartit en dix familles : marche, course, saut, [...]. Chacun exécutera ces mouvements non de la même façon que son voisin, suivant un commandement strict, selon un rythme venu de l’extérieur, mais suivant son rythme et ses moyens. Il progressera en faisant effort, en luttant contre l’espace, la pesanteur, la matière, l’adversaire lui-même (Eyquem, 1957, p. 169).

Enfin, elle indique que la méthode d’Hébert ne s’appuie pas suffisamment sur le rythme du mouvement. Ce qui nous amène à identifier, un second élément incontournable dans l’éducation physique de base pour Marie-Thérèse Eyquem : une éducation par le rythme.

Éducation rythmique : contrefort éducatif d’une éducation physique de base

En 1957, dans un article de la revue de l’Homme Sain, Marie-Thérèse Eyquem (1957b) met en avant plus particulièrement une éducation rythmique. Cette éducation, qui valorise les caractéristiques « féminines » (grâce, beauté), vient ainsi compléter la méthode hébertiste dans l’éducation physique de base qu’elle appelle toujours de ses voeux. Une fois encore, elle souligne le côté esthétique de l’éducation physique se rapprochant progressivement de la danse. Elle évoque les gymnastiques de Per-Henrik Ling, Georges Hébert et Georges Demeny et leur caractère esthétique, rythmique et harmonieux, ainsi que les « danses gymnastiques », la gymnastique harmonique d’Irène Popard, la rythmique défendue par les représentants français de la méthode Dalcroze. Elle insiste sur la place de ces pratiques dans l’enseignement de l’éducation physique en disant que « la danse est l’expression la plus parfaite de la mobilité corporelle » (Eyquem, 1957, p. 2). Marie-Thérèse Eyquem s’attache ainsi à défendre cette éducation rythmique, qui constitue pour elle, un élément clef d’une éducation physique de base. Les vertus de cette éducation rythmique lui semblent être alors favorables à la libération des corps et à l'émancipation des jeunes filles. Ici, Marie-Thérèse Eyquem fait explicitement référence à la gymnastique harmonique d’Irène Popard. En effet, depuis sa rencontre avec cette chorégraphe en 1940 (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959) et le paragraphe qui présente les vertus de la gymnastique harmonique dans La femme et le sport, elle devient une fervente propagandiste de la gymnastique harmonique au niveau national et international (Castan-Vicente, 2009). En 1959, elle rédige même une biographie romancée d’Irène Popard qui lui donne l’occasion de promouvoir les savoirs corporels et les vertus de la gymnastique harmonique. Selon elle, Irène Popard a permis à la gymnastique féminine de devenir synonyme de tenue, d'élégance, de beauté, d’harmonie (Eyquem, 1959). Plus encore, elle s’attache à défendre l’idée selon laquelle la gymnastique harmonique peut libérer les êtres contraints, édifier la santé, construire les corps (Eyquem, 1959), en évoquant à plusieurs reprises la libération des corps au cours du roman. Elle le fait à travers les pratiques corporelles comme la gymnastique: « après la leçon, elle se sentait mieux, le sport lui plaisait davantage » ou la danse « comment se fait-il que, lorsqu’elle danse, elle n’ait plus envie de chanter, de crier, de pleurer ? » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 22). La danse serait alors pour Irène Popard une échappatoire, un moyen de se détacher et de se libérer de sa vie misérable. La recherche de liberté s’intensifie ensuite au cours du roman à travers le développement et la création de la gymnastique harmonique et la volonté grandissante d’Irène Popard de libérer non pas uniquement son corps mais les corps de toutes les jeunes filles, « celles qui ont des corsets autour du corps et autour de l’âme. Et moi, toute ma vie, j’essayerai de les délivrer » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 90). Son engagement est total comme l’indique l’extrait suivant : « je donnerais aux filles de France la joie de ces vagues pures, nues, souples, belles, vraies, libres, libres… » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 92). Selon elle, Irène Popard a « tenu parole : les petites françaises brisaient les liens conventionnels, devenaient résistantes, belles, joyeuses. » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 122). La notion de liberté apparaît également en dehors des pratiques corporelles, lorsqu’Irène Popard discute avec « Madame Réjane » (patronne de sa mère, figure des classes aisées) : « Personne ne nous commande. Nous obéissons en saignant. Reines, partout, puisque la liberté est notre royaume ». (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 44) ou encore lorsqu’elle critique ouvertement la liberté des femmes en France auprès de son amie Irma : « tu te fais des illusions sur mon pays. Nous avons marché à reculons depuis 1789. La liberté ? les femmes sont des esclaves ! » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 87) en dénonçant par exemple certaines coutumes traditionnelles comme le port du corset : « Certes, elle est trop grosse. Mais elle préfère devenir comme la crémière du coin, plutôt que de s’affubler d’un corset, comme sa mère. S’il faut aussi mettre son corps en prison ! » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 30). Cependant, Marie-Thérèse Eyquem ne manque pas de rappeler le rôle traditionnel des femmes à travers l’évocation du portrait de la mère d’Irène Popard : « l’honnêteté, la rectitude de vie, étaient beaucoup plus importantes que le succès » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 72) et en l’évoquant explicitement à la fin du roman : « elle s’en allait, dans un dénuement total, mais en laissant une immense richesse vivante : des myriades de jeunes femmes, belles, robustes, qui seraient le charme de leur foyer et les mères de beaux enfants » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 182). Ainsi, la libération des corps semble être un enjeu majeur pour Marie-Thérèse Eyquem qu’elle illustre à travers les prises de positions et les actions d’Irène Popard. La gymnastique harmonique représente de fait un des moyens permettant de libérer les corps féminins tout en respectant les normes de genre et le rôle traditionnel des femmes. Irène Popard tout comme Marie-Térèse Eyquem s’intéressent donc à « la jeunesse féminine qui avait besoin, non de surveillance, mais d’amour, de conseils, d’appui » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 107) et aux façons de la guider en libérant les jeunes filles de France.

Entre 1942 et 1961, Marie-Thérèse Eyquem alterne entre tradition et modernité, sous couvert d’un féminisme essentialiste qu’elle revendique explicitement à la fois dans ses discours politiques et dans ses romans, confirmant en cela que cette période est bien une période transitoire pour l’actrice, attachée encore à certaines conceptions traditionnelles en lien sûrement avec son éducation catholique et présentant déjà des conceptions plus modernes plus proches de son engagement féministe des années soixante.

Dans les faits, elle souhaite tout autant développer cette éducation physique de base. Les congrès internationaux sur l’éducation physique féminine lui en offrent l’occasion en lui permettant de mettre particulièrement en avant l’éducation physique de base qu’elle promeut. De ce point de vue, l’analyse du 2ème congrès international d’EP féminine qui se déroule à Paris du 19 au 26 juillet 1953 est très éclairant. Organisé par Marie-Thérèse Eyquem et la DGJS dans le cadre de l’IAPESGW en lien avec les conceptions de sa présidente américaine, D. Ainsworth, Marie-Thérèse Eyquem fait de ce congrès une opportunité sans précédent pour donner la parole aux femmes et à des conférencières qu’elle a personnellement choisies (Castan-Vicente, 2009). Ce congrès permet de faire la promotion de l’éducation physique de base qu’elle défend depuis une décennie et qui regroupe à la fois l’éducation physique féminine qui fait à cette occasion l’objet d’une présentation très précise par Mme Surrel (directrice de l’ENSEP jeunes filles), la « gymnastique rythmique moderne », l’« éducation du mouvement humain », la « méthode d'éducation physique féminine », la méthode « corrective », et la gymnastique harmonique qui constitue le temps fort du gala de fin de ce congrès. À cela s’ajoute une démonstration des méthodes d'éducation physique dans le cadre de l’ENSEP sous la direction d’Yvonne Surrel et une séance pratique d'éducation populaire donnée par les rythmiciennes françaises. Denise René Mayer (vice-présidente de la Fédération française d'éducation physique) réalise également une conférence pour indiquer que l'éducation physique fait en effet désormais partie intégrante de la vie de la femme d’aujourd’hui (Eyquem, 1953). Finalement, ce programme expose une diversité de pratiques corporelles pour les jeunes filles et représente un ensemble de déclinaisons possibles d’une éducation physique de base où chacune peut puiser en fonction du profil de ses élèves. L’objectif demeure bel et bien de promouvoir une éducation physique de base pour toutes et de la diffuser le plus largement possible grâce à la présence à Paris de 600 délégués et de 37 nations qui accentuent « les intérêts de la profession et fait resurgir le désir de se perfectionner, de renouveler ses méthodes, (...) de progresser » (Eyquem, 1953, p. 12). L’intérêt grandissant pour l’EP des jeunes filles suite à ce congrès est également souligné dans la presse sportive de cette époque. L’Equipe reprend par exemple l’article paru dans Tous les sports expliquant que les échanges d’idées ont permis une « conclusion constructive » pour le sport féminin et souligne le point de vue de Gaston Roux sur le congrès de Paris : « J'ai toujours cru, pour ma part que les hommes s’entendront mieux le jour où les femmes mettront en commun pour en faire profiter l’humanité tout entière, les richesses de tendresse, d’ingéniosité et de désintéressement avec lesquelles elles se penchent sur les problèmes de l’enfance et de la jeunesse » (L’équipe, 27 juillet 1953, p. 2). L’ampleur du congrès montre l’implication de la France dans l’élaboration de nouvelles conceptions de l'éducation physique des jeunes filles. Cette implication se poursuit grâce à l’engouement des monitrices et dirigeantes et de nouveaux événements. En effet, suite au congrès de Paris, sont organisées les journées internationales d’études sur l’activité physique pendant la période pubertaire chez la jeune fille à l’INS en juillet 1955 à l’initiative de la Fédération française d’éducation physique et sa présidente, Mme Denise René Mayer. Cette journée réalise ainsi la transition entre le congrès de Paris de 1953 et le prochain congrès international sur l’éducation physique féminine qui doit se dérouler à Londres du 15 au 20 juillet 1957 (Eyquem, 1957, p. 169) afin de répondre à la volonté des techniciennes et dirigeantes d’approfondir les données concernant les activités physiques (éducation physique de base, rythmique, sports) pendant la période pubertaire chez la jeune fille en relation avec des connaissances anatomiques, psycho-physiologiques, pathologiques et biométriques (Brenet & Goffin, 1955). Marie-Thérèse Eyquem participe personnellement à la préparation de cette journée d’étude. C’est elle qui dirige ensuite les débats entre les cent-vingt médecins, pédagogues, psychologues, techniciens des différents pays. Deux idées majeures sont retenues de ces journées : « le problème de l’âge pubertaire ne se pose que dans des cas pathologiques » et « la compétition sportive officielle doit être évitée pendant cette période de transformation du corps pour être réservée plus tard à quelques prédestinées » (Brenet & Goffin, 1955, p. 29). De même, le développement de cette EP de base se poursuit ainsi lors des journées d’études sur la gymnastique féminine moderne à Mâcon en 1960. Marie-Thérèse Eyquem est invitée par le Cercle de danse harmonique et lors de son intervention, elle insiste sur les ressemblances entre la gymnastique et la danse moderne (Maucurier, 1960).

En définitive, ces différentes manifestations constituent pour elle un moyen de diffusion de cette éducation physique de base pour les jeunes filles mais également l’occasion d’élargir son réseau national étant donné la présence de nombreuses actrices et dirigeantes dont Mme J. Roger (Fédération française de gymnastique éducative), Mme Jacquot (Fédération française de gymnastique), Mme Delsout (Union française des œuvres laïques d’éducation physique et CREPS de Paris), Mme Moreau (Fédération sportive de France), Mme Bal-Voirat (Fédération sportive et gymnastique du travail), Mme Truc et Mme Maucurier (Amicale des sportives françaises) ainsi que diverses associations et institutions comme l’UFOLEP et l’OSSU. L’ensemble de ces relations constitue une réelle opportunité pour Marie-Thérèse Eyquem de diffuser à un niveau international ses conceptions et l’éducation physique de base souhaitée.

Vers des féminités sportives ?

Les singularités des Jeunes filles au soleil (1945)

En indiquant que les « riches et pauvres, athées, reconnaissent les bienfaits du stade » (Eyquem, 1944, p. 299), Marie-Thérèse Eyquem évoque une diversité du public féminin et la nécessité pour toutes ces femmes, qu’elles soient rurales ou citadines, de répondre aux valeurs et au rôle social qui leur sont assignés dans la société. Cette représentation proposée en 1944 s’inscrit cependant dans une logique dualiste du rapport au sport avec d’une part, « celles qui osent braver l’opinion publique, jeter l’effroi dans leur famille » et d’autre part, « celles qui ne voient dans le sport qu’une occasion de bagarre et de compétitions tapageuses » (Eyquem, 1944, p. 26). Autrement dit, si certaines restent « charmante[s], modestes et timides », d’autres « sont qualifiées d’écervelées, d’agitées et d’exaltées » (Eyquem, 1944, p. 26). Par conséquent, dans cet ouvrage Marie-Thérèse Eyquem fait preuve de modernité avec ce possible accès aux sports pour les femmes, tout en véhiculant une représentation très stéréotypée de la pratique sportive compétitive.

En revanche, à travers son roman Jeunes filles au soleil publié en 1945, l’auteur met en évidence un spectre de féminités sportives beaucoup plus large, prenant en considération la diversité des représentations des femmes au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En effet, Jocelyne, Lisbeth, Catherine, Michèle, La Mouche, Myriem et Sylviane sont associées à des caractéristiques physiques singulières, des rapports au sport variés tant en termes d’intérêt que de niveau de pratique. Par exemple, Myriem est une « créature merveilleuse » (Eyquem, 1945, p. 14), « un bel animal » (Eyquem, 1945, p. 15), « les grâces l’avaient dotée » (Eyquem, 1945, p. 14), tandis que pour Lisbeth, « Dieu en créant son corps n’a pas terminé son ouvrage, il s’est rattrapé en lui donnant un cœur sans fin » (Eyquem, 1945, p. 11). À côté de ces références presque mythologiques, et des représentations traditionnelles d’une femme - Michèle est, par exemple, « très séduisante », « élégante » (Eyquem, 1945, p. 20), d’autres protagonistes sont décrites, physiquement et moralement, davantage à travers leur rapport au sport comme Jocelyne et « la longueur de ses jambes battant l’eau, la puissance de ses bras fauchant l’eau, la souplesse onduleuse de son corps musclé, insuffisamment pourtant, et trop mobile » (Eyquem, 1945, p. 130). Ces caractéristiques font écho aux niveaux de pratique des femmes, Jocelyne décrite précédemment étant une « excellente nageuse » (Eyquem, 1945, 9), alors que Lisbeth est « une sportive médiocre » (Eyquem, 1945, p. 10).

Les six actrices du roman associent d’ailleurs des intérêts qui leur sont propres à la pratique sportive, induisant une réelle singularité de chacune. Si certaines envisagent la pratique physique pour entretenir un corps féminin associé à des représentations traditionnelles (Myriem : « Je fais du sport […] parce que je me crois belle, et pour le demeurer ») (Eyquem, 1945, p. 56), d’autres sont davantage sur un versant compétitif de la pratique. Catherine affirme explicitement : « je fais du sport […] pour vaincre » (Eyquem, 1945, p. 56). Ainsi, à travers ces trois indicateurs, l’évolution du discours de Marie-Thérèse Eyquem semble évidente. À partir des descriptions proposées dans ce roman mettant en avant la singularité de chaque protagoniste, Marie-Thérèse Eyquem montre en filigrane comment le sport (au sens large) rend heureuses, vertueuses et épanouies les jeunes filles, aussi différentes soient elles, grâce aux valeurs et vertus véhiculées par les pratiques sportives. La multiplicité de profils féminins représentés avec les différentes protagonistes ayant des relations au sport et des états d’esprit totalement diversifiés se réunit, cependant, autour de l’idée selon laquelle le sport représente pour toutes les jeunes filles un moyen d’évasion, de détente, de délassement tout en ayant pour objectif de les rendre plus belles et de participer à leur santé physique et mentale,

Dans ce roman au titre explicite, Jeunes filles au soleil, qui succède à son ouvrage La femme et le sport, la singularité de chaque jeune fille du roman dépasse les féminités sportives proposées, et s’ouvre sur un débat plus large concernant les classes sociales. Alors que des différends apparaissent à ce propos entre les protagonistes (« on voit tout de suite qu’elle n’est pas de notre monde ») (Eyquem, 1945, p. 13), la pratique sportive semble, à travers ce roman, rassembler les jeunes femmes autour d’un objet commun (« j’espère que vous vous entendrez ») (Eyquem, 1945, p. 16) et lisser des différences de classes très ancrées dans la société de l’entre-deux-guerres. D’ailleurs, cette attention particulière portée par Marie-Thérèse Eyquem perdure dans les années 1950 et elle semble y mettre un point d’honneur dans l’ouvrage qu’elle consacre à Irène Popard : « je m’honore d’avoir eu des filles de tous les milieux sociaux, de toutes les confessions, de tous les bords politiques auxquelles je n’ai jamais demandé leurs idées ni celles de leur parents » (Eyquem, 1959, p. 161). Par conséquent, Marie-Thérèse Eyquem véhicule à travers ce roman publié à la Libération une représentation de la pratique sportive ouverte à toutes, en opposition à la situation du début du siècle mais également en décalage avec les problématiques du professionnalisme faisant foi dans la sphère sportive masculine, pouvant parfois être transposées aux femmes. Évoquant la trajectoire d’Irène Popard, elle affirme : « Sans doute préférait-elle à toutes les autres, ces filles d’ouvriers, pauvres et futées, indomptables mais riches de sensibilité, pour qui la gymnastique harmonique était l’illusion de l’égalité de classe, la possibilité de se montrer supérieures aux plus fortunées » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 119).

L’analyse de contenu du roman Jeunes filles au soleil permet ainsi de mettre en évidence l’évolution de la pensée et du discours de Marie-Thérèse Eyquem. Dans ce roman, en effet, elle dépasse la représentation d’une pratique sportive comme ascenseur social pour proposer des rapports aux pratiques sportives variés chez les femmes françaises des années 1940-1950. Son discours est désormais empreint d’une vision plurielle des femmes, s’éloignant progressivement de la vision de la femme unique sous Vichy et dont l’ouvrage La femme et le sport faisait état.

Ce changement de conception montre une évolution progressive que nous retrouvons à la fois dans la société et dans son discours et qui lui permet de s’ancrer dans cette période transitoire. Pour elle, ces deux décennies représentent donc l’occasion de promouvoir sa vision des femmes sportives, plurielles et singulières en leur permettant notamment l’accès à des pratiques sportives et compétitives diversifiées.

Une pluralité d’activités sportives et valeurs supposées

Plus particulièrement, en lien avec cette diversité de féminités sportives, Marie-Thérèse Eyquem envisage un éclectisme de pratiques corporelles, dès ses propositions sous Vichy avec l’initiation sportive comprise dans sa doctrine sportive féminine. Un éventail large de pratiques est décrit dans La femme et le sport: des sports individuels aux sports collectifs en passant par les sports de glace, les sports nautiques ou les sports de nature. Toutefois, pour « réaliser un sport équilibré, mesuré, simple, en un mot véritablement féminin » (Eyquem, 1942a, p. 2), certaines pratiques sont davantage à promouvoir pour l’auteure qui cherche continuellement à mettre en évidence la spécificité de ces pratiques féminines.

Les sports collectifs permettent par exemple de développer le dévouement, le sacrifice de soi : « les sports collectifs donneront peut-être aux Français l’esprit d’équipe qui leur fait si souvent défaut. Cet esprit d’équipe, qui est d’abord respect du chef, amour du club, sens de la collectivité, oubli de soi au bénéfice du groupe » (Eyquem, 1944, p. 89). Marie-Thérèse Eyquem fait ici référence au développement complet de l’homme ou de la femme, tel que promu par le régime de Vichy, avec un développement physique, moral et social et un dévouement pour le collectif.

En outre, ses propositions s’ancrent dans un contexte de développement du sport féminin dans la société. L’année 1942, est marquée d’un « caillou blanc » (Eyquem, 1942b, p. 2) pour le sport féminin en raison de l’augmentation des licenciées dans les fédérations sportives. « On compte, en effet, pour 1942 : le double de licenciées en basket-ball, escrime, golf, gymnastique, hockey, natation, tennis de table, volleyball, le triple de licenciées en athlétisme, aviron, handball, tennis » (Eyquem, 1942b, p. 2). Elle poursuit sa volonté de promouvoir le sport féminin à la Libération. Dans un article paru dans Les Jeunes en 1946, elle met en avant les joueuses par la souplesse de leur technique, la beauté du jeu, la perfection de leur tenue. « Une vraie sportive doit être capable de tendre toutes ses énergies en vue d’un succès à obtenir, d’accepter les résultats avec bonne humeur... » (Eyquem, 1946b, p. 2) et valorise ainsi davantage l’aspect technique et le jeu des femmes. Elle dénonce également les stéréotypes dans les pratiques sportives en tentant de faire « tomber les préjugés dont longtemps ce sport a été entouré » en préconisant le basket-ball féminin « comme un sport très attrayant pour la jeune fille et la femme et bien approprié au développement du corps » (Walter, 1945, p.4).

En complément de ses écrits, Marie-Thérèse Eyquem a également l’occasion de promouvoir le sport féminin lors de différents événements et manifestations durant la période. La Fête de la sportive, qu’elle organise en 1942, représente sa première grande action en faveur du développement du sport féminin en lui permettant de glorifier le mouvement sportif féminin français grâce au regroupement de sportives de toutes les fédérations et à leurs démonstrations. Selon Emile-Georges Drigny, la sportive française a su montrer « sa volonté, son ardeur, son audace, son sang-froid ainsi que le bienfait corporel qu’elle tire de la pratique des exercices physiques » (Drigny, 1942, p. 2). Les femmes sont ainsi mises en avant lors des fêtes publiques et représentent des combattantes du renouveau mais avec toujours certaines caractéristiques traditionnelles. En effet, la pratique festive met en avant une réalité tournée vers la « sportive-femme », c’est-à-dire une femme nouvelle et actrice, différente de la « femme-sportive » de la période précédente, modelée par l’éducation nouvelle et la méthode française sous l’impulsion de Marie-Thérèse Eyquem ou encore Irène Popard. Nous retrouvons durant cette fête « l’esprit d’union » en relation avec les valeurs hébertistes montrant que l’ensemble des femmes représente un seul et même tout, ne laissant pas de place à la singularité. Ce type de fête se retrouve également dans le cadre du Rayon sportif féminin et du réseau catholique de Marie-Thérèse Eyquem. Elle utilise également ce réseau pour promouvoir le sport et plus particulièrement la revue Les Jeunes qui devient alors un levier majeur de diffusion pour le développement d'un sport féminin à la Libération. En complément, son réseau international lui permet de promouvoir le sport féminin, notamment à travers la Fédération internationale d’éducation physique et sportive féminine et les congrès internationaux. Le congrès de Copenhague (1949) est ainsi l’occasion pour elle d’exposer sa vision du sport féminin. Elle y évoque notamment les bienfaits et méfaits du sport dans divers domaines : physique, esthétique, mental, moral, artistique, social et national, lors de sa conférence. Plus particulièrement, elle détaille l’ensemble des processus physiologiques notamment à travers l’impact du sport sur la respiration, la circulation, la digestion, les métabolismes, la force, la résistance, la souplesse, l’agilité, la rapidité ou encore l’adresse. Elle associe ainsi des vertus à la pratique sportive qui représente alors une activité positive pour les femmes grâce au développement d’un ensemble de savoir-faire corporels. Marie-Thérèse Eyquem ne se limite donc pas à une conception physique de la santé ou du corps des femmes, mais opte pour une représentation holistique avec des arguments autour des domaines psychologiques. Elle insiste sur le fait que le sport permet le développement du courage, de la ténacité, de l’énergie dans l’effort, de l’endurance en face de l’adversaire, de la maîtrise de soi ou encore de l’altruisme. Elle souligne également que le « sport ne sera positif sur le plan de la collectivité que si, ayant donné une plus-value à l’individu, il augmente le potentiel du groupe » (Ministère de l’Éducation nationale français, 1949, p. 3). Ainsi, nous retrouvons à travers les pratiques sportives les valeurs hébertistes défendues par l’actrice dans le cadre de l’éducation physique de base.

Pour prolonger ses actions et étendre ses idées, à la suite de ce congrès, elle souhaite créer une Commission internationale d’études pour faire des expériences sur les activités physiques féminines et demander l’IAAF d’étendre le programme féminin des JO pour organiser une vaste épreuve internationale féminine. Il apparaît alors que l’échelle internationale soit un vecteur important pour cette actrice. Le congrès de Paris de 1953 lui offre, à ce titre, l’opportunité de poursuivre son action en réalisant une conférence sur la représentation féminine dans les groupements olympiques. Même si, initialement, ces congrès sont majoritairement axés sur l’éducation physique, Marie-Thérèse Eyquem complète cette offre en proposant des conférences sur les pratiques sportives et montre une fois encore l’éclectisme de sa pensée. Il est ainsi précisé, au congrès de Paris, que les pratiques sportives n’ont ni un but éducatif ni une fin de mieux être personnel et qu’ils ne concernent qu’une élite. Dans ces conditions, ils ne peuvent constituer un sujet prioritaire de ce congrès qui est exclusivement dédié à la promotion de l'éducation physique et sportive féminine. Dans l’esprit des dirigeantes des différents pays : jouer au ballon, ramer, nager, faire de l’athlétisme, du tennis, de l’équitation, c’est du sport et le sport fait partie de l’éducation physique (Brenet et Goffin, 1953). Marie-Thérèse Eyquem défend totalement cette complémentarité entre une éducation physique de base et les pratiques sportives, son implication dans certaines fédérations sportives comme les articles publiés dans les revues des fédérations de basket-ball, d’athlétisme et de handball l’attestent. Pour elle, le réseau sportif constitue clairement une plus-value dans l’optique de promouvoir le sport féminin dans différentes sphères. La mise en avant des bienfaits du sport sur le développement physique, moral, social, psychologique s’affiche explicitement dans les revues officielles des fédérations comme dans la revue Basketball où elle indique que « le basket-ball convient parfaitement à la femme en général, et à la Française en particulier (…) Un sport qui exige avant tout : l’adresse, la maîtrise de soi, la vitesse, une endurance moyenne, peu de force, n’est-il pas, par excellence, un sport féminin ? » (Eyquem, 1945a, p. 3). Dès lors, elle précise que ce sport est adapté à la pratique des jeunes femmes et ajoute que « nous avons aimé l’élégance, la précision, la présence d’esprit, l’allure souple, et, en un mot la beauté » (Walter, 1947, p. 3) en parlant des joueuses de basket-ball, ce qui renvoie à des valeurs spécifiquement féminines. Ces valeurs et conceptions défendues par l’actrice sont ainsi en adéquation avec les idéaux d’un féminisme essentialiste. Aussi, tout en développant une vision de plus en plus moderne, elle envisage également les limites de ces pratiques, ce qui renvoie à la part de tradition persistante dans son discours et à une émancipation sous contrôle des femmes.

Un féminisme modéré : la peur d’une masculinisation

Malgré les évolutions de la pratique sportive féminine notamment sous Vichy, les représentations traditionnelles persistantes dans la société tendent à limiter l’émancipation des femmes par le sport. En effet, les jeunes françaises ont la possibilité d’être initiées aux techniques sportives mais il faut tout de même les « tenir éloignées des compétitions, où elles s’épuisent physiquement et nerveusement » (Evesque, 1942, p. 151). Imprégnée, dès son plus jeune âge, de cette conception, Marie-Thérèse Eyquem insiste régulièrement sur les limites de la pratique sportive, véhiculant cette notion d’émancipation sous contrôle des femmes. En effet, dans La Femme et le sport, elle évoque les principaux dangers résultant d’activités physiques mal dirigées : pour l’éducation physique générale le « mauvais dosage », pour l’éducation physique et les sports : le « surentraînement » et la « masculinisation », pour la rythmique le « surmenage, troubles articulaires, cabotinage ». « Il appartient au Commissaire Général de jeter les bases d’une organisation tendant à réduire au maximum ces dangers de façon à réaliser un sport équilibré, mesuré, simple, en un mot véritablement féminin » (Eyquem, 1944). Ainsi, nous retrouvons dans ses propos les conceptions vichystes et les représentations de la femme dans la société à cette période. Malgré la Libération, ces réticences vis-à-vis du sport féminin persistent dans la société en raison de représentations traditionnelles de la femme en vigueur, comme le rappelle Fatia Terfous en 2011: « Malgré l’obtention pour les femmes du droit de vote en 1944, rendant le suffrage politique universel, malgré l’inscription dans la constitution de 1946 de l’égalité des sexes dans tous les domaines, malgré la parution du Deuxième Sexe en 1949 (Beauvoir), la fin de l’Occupation n’entraîne pas la disparition des stéréotypes de genre dans l’éducation des corps. Dit autrement, un changement politique n’entraîne pas un changement de mentalité » (Ottogalli-Mazzacavallo & Liotard, 2012, p. 105). De la même manière, le Docteur R. Andrivet dans la revue INS de 1952 met en avant les limites du sport féminin. Il indique que le corps des femmes n’est pas adapté à la compétition sportive et que les sports dit forts, virils (football, rugby, lutte, boxe) sont à écarter des pratiques féminines. Pour démontrer ses propos, il s’appuie sur des « raisons » anatomiques (système musculaire moins développé, performance inférieure, fatigue plus rapide, insuffisance respiratoire, orientation des parois abdominales), physiologiques (complexité hormonale) et sociales (la femme est destinée à la maternité, « perdre de vue cette destinée serait (...) commettre une grave erreur »). Selon toujours ce médecin, seul le basket-ball, le volleyball et le handball peuvent être accessibles aux femmes mais seulement pour des « sujets robustes et résistants » (Andrivet, 1952, p. 8). Cette part de tradition se relève également dans le discours de Marie-Thérèse Eyquem, mettant en évidence la peur d’une masculinisation des femmes, témoin de son ancrage idéologique à un féminisme essentialiste tout au long de la période. Pour exemple, en 1945, elle plaide la cause du sport féminin en affirmant que « la sportive doit recevoir une éducation conforme à ses possibilités de femme » (Walter, 1945, p. 4). Elle envisage ainsi toujours les limites des pratiques sportives à la Libération en respectant les spécificités du sexe féminin.

À cette même période, lors d’un congrès de la Fédération catholique, elle indique que « la nature du sport […] peut être la même et le comportement dans la pratique du sport […] doit être différent », en raison d’une puissance moindre chez les femmes qui engendre une « beauté spécifique » du sexe féminin. À ce titre, elle va jusqu’à critiquer certaines femmes sportives qui ne correspondent pas aux normes féminines : « les championnes ne sont pas des femmes d’exception, des spécimens hors série de l’athlétisme féminin, véritables exceptions qui confirment la règle » (Eyquem, 1946a, 2). Marie-Thérèse Eyquem expose ainsi des conceptions très traditionnelles des femmes sportives en relation avec la vision des pratiques féminines proposées aux jeunes filles catholiques qui doivent être dosées, « respectueuses de la place de la femme dans la société et dans l’Église », correspondant aux valeurs des Filles de la Charité (bienséance, abnégation, modestie, humilité) (Munoz, 2005, p. 175). En 1959, elle maintient sa position en précisant que « si tous les sports sont autorisés, certains sont heureusement délaissés tels le football et le cyclisme qui pratiqués par les femmes, étaient devenus des parodies d’assez mauvais goût. (...) Je voudrais encore voir disparaitre d’autres exercices trop violents : en athlétisme, la course du 800m qui a provoqué des accidents mortels aux JO, le cross-country de compétition et l’aviron de pointe qui peut provoquer une déformation du bassin» (Munoz, 2002, p. 68). Ce sont les seuls interdits pour Marie-Thérèse Eyquem car elle « estime que tous les autres sports peuvent être pratiqués avec d’excellents résultats par la femme. D’abord la natation qui développe harmonieusement, puis l’athlétisme, le basket-ball, le patinage, le tennis » (Eyquem, 1959, cité dans Popard, 1959, p. 191). Encore une fois, certains sports semblent pour elle plus adaptés à la pratique féminine et à la spécificité de ce public féminin. Les excès et les dérives d’une pratique sportive trop intense, qu’elle met en avant dans certains sports, nuiraient à la beauté et à l’élégance des femmes. Elle défend ainsi l’ouverture de certaines pratiques sportives dans son discours tout en envisageant les limites de cette même pratique.

En outre, selon les mêmes principes, elle défend la non-mixité durant la période. Elle encourage par exemple dans la revue Les Jeunes la création de nouvelles sociétés et demande aux sections masculines de créer une section féminine à la vie sportive distincte (Eyquem, 1945b). Dans le même numéro, elle rappelle « l’intention d’instituer un stage de basket au centre national lorsque la mixité y aura disparu » et dans l’émission radio du 6 décembre 1945 Marie-Thérèse Eyquem indique que « Les femmes ne doivent pas faire du sport à la manière des hommes, il ne faut pas qu’elles en fassent avec eux » (Eyquem, 1945c, p. 2). Elle prend l’exemple d’un match de basket-ball : « si un match était mixte pour l’équilibre du jeu la femme serait obligée de courir aussi vite que l’homme et de répondre aux passes vives et brutales par des passes aussi vives et brutales. D’où cette masculinisation qu’on reprochait à juste titre, aux joueurs d’autrefois ». Ceci renvoie aux enjeux idéologiques et épistémologiques poursuivis par l’actrice, envisageant le sport féminin avec ses limites et ses dangers.

Tout comme dans son discours, Marie-Thérèse Eyquem met également en avant les limites du sport féminin à travers ses manifestations. Lors de sa conférence au Congrès de Copenhague, elle indique que les femmes ne doivent pas pratiquer les sports qui risqueraient de provoquer des chocs : boxe, lutte, catch, rugby, football, pelote basque, hockey sur glace, water-polo, cyclisme de compétition. Elles doivent ainsi éviter les spécialités et les exercices susceptibles de provoquer des retentissements dans leurs organes internes pour les préserver en vue d’une future maternité : saut en profondeur, saut à la perche, triple saut en longueur, courses de descente à ski. Les épreuves à forte intensité sont ainsi réservées à certains sujets. Le surmenage sportif, le surentrainement sont à éviter comme la pratique de plusieurs sports en même temps. Pour éviter ces dangers, elle insiste sur le rôle des monitrices : « Seule une femme qui connait les possibilités et les limites de l’organisme féminin, peut éviter un entrainement trop intensif, ou encore le caractère viril et sans grâce qui marque souvent l’enseignement exclusivement confié à des hommes » (Ministère de l’Éducation nationale, 1949, p. 3). Pour elle, le sport correspond à un « exercice physique ayant reçu une codification valable pour l’ensemble de leurs pratiquants et pouvant donner lieu à des compétitions. » (Ministère de l’Éducation nationale, 1949, p. 3). Ces « codifications valables » correspondent aux limites qu’elle envisage pour le sport féminin, ce qui renvoie aux conceptions d’un féminisme essentialiste. Lors de cette même conférence, elle énonce également que « pour éviter autant que possible de desservir le sport féminin en heurtant les conceptions du public, il faut habituer les sportives à doser leurs efforts, à dominer leur nervosité, à rester en un mot naturelle sans crispation ni affectation » (Ministère de l’Éducation nationale, 1949, p. 4). Nous identifions ici une certaine lucidité de la part de Marie-Thérèse Eyquem, consciente que certaines pratiques peuvent choquer l’opinion publique, consciente que les représentations du corps et du sport féminin dans la période ne sont pas en adéquation avec une émancipation complète de la femme dans un milieu qui est encore largement dominé par les hommes. Elle adopterait ainsi un discours nuancé et adapté pour que ses paroles soient entendues et acceptées en s'alignant avec les conceptions hégémoniques pour pouvoir développer le sport féminin, même si cela renvoie à envisager les limites des pratiques corporelles. Elle considère ainsi les dangers, les précautions, les interdictions dans les pratiques corporelles, qu’elle met en relation avec les spécificités du public féminin. Ceci se réfère aux conceptions traditionalistes persistantes dans le discours de l’actrice.

Les pratiques sportives semblent alors également être un élément incontournable pour Marie-Thérèse Eyquem qui souhaite répondre aux attentes et aux besoins des jeunes filles dans leur singularité et leur spécificité. À travers ces pratiques sportives, nous retrouvons certaines vertus, valeurs et savoirs corporels déjà présents dans l’éducation physique de base comme les valeurs hébertistes, mais également d’autres savoirs corporels permettant de libérer les corps féminins. L’EP de base et les pratiques sportives apparaissent ainsi complémentaires en permettant un développement complet et harmonieux du corps féminin. Nous retrouvons également la volonté de l’actrice de promouvoir ces activités sportives en tant que telles à travers différents leviers de communication et de diffusion (congrès et fédérations sportives par exemple) tout en envisageant les limites de cette pratique. Ces limites représentent une stratégie lucide de la part de Marie-Thérèse Eyquem pour continuer à promouvoir le sport féminin mais elle semble s’attacher tout de même à certaines conceptions traditionnelles persistantes dans son discours renvoyant ainsi à une émancipation sous contrôle des femmes et délimitant les contours de son féminisme essentialiste.

Conclusion

La période 1942-1961 représente une période transitoire pour Marie-Thérèse Eyquem dans l’évolution de ses conceptions et dans la mise en place d’une méthode synthétisée et éclectique s’appuyant à la fois sur une éducation physique de base, composée de différentes méthodes comme la méthode hébertiste et une éducation rythmique, et sur des pratiques sportives diverses. Cet éclectisme renvoie à des enjeux épistémologiques et à sa volonté de transmettre des savoirs corporels variés afin de permettre un développement complet et harmonieux du corps - physique, social, moral - tout en respectant les valeurs féminines de grâce et de beauté, conformément aux principes du féminisme essentialiste de cette époque. Marie-Thérèse Eyquem promeut cet éclectisme à travers son discours et ses manifestations mais également par le biais de son réseau d’influence qui lui aussi est éclectique (catholique, éducation physique, sport) et s’étend à différentes échelles (locale, nationale, internationale). Finalement, durant cette période l’ensemble de son œuvre est orienté vers le développement du sport et de l’EP féminine et l’émancipation sous contrôle des femmes, qui peut se réaliser grâce à l’éclectisme des pratiques corporelles.

Sur le plan des valeurs, Marie-Thérèse Eyquem s’engage pour promouvoir à la fois les valeurs sociales d’altruisme, de dévouement, et de générosité en adéquation conformément à celles du féminisme essentialiste qui se développe à cette époque. Par l’intermédiaire de l’éducation physique de base et de pratiques sportives réfléchies, elle milite pour une libération des corps féminins et une émancipation sous contrôle des femmes.

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Rondes d'évaluation :

R1: trois convocations; un avis reçu.

R2: trois convocations; un avis reçu.

Financement : La RBHE bénéficie du soutien de la Société brésilienne d'histoire de l'éducation (SBHE) et du programme éditorial (Chamada Nº 12/2022) du Conseil national pour le développement scientifique et technologique (CNPq).

Licence : Cet article est publié en Open Access sous la licence Creative Commons Attribution 4.0 (CC-BY 4).

Received: January 26, 2023; Accepted: May 22, 2023; Published: June 07, 2023; Published: September 04, 2023

*Auteur correspondant. E-mail: jsaintmartin@unistra.fr.

Jean Saint-Martin:

Inscrit en Études politiques et culturelles, ses recherches mettent en évidence le développement de l'Éducation Physique et du sport au cours des XIXe et XXe siècles avec un accent sur la diffusion et la transformation des techniques corporelles dans divers contextes culturels et politiques. E-mail: jsaintmartin@unistra.fr https://orcid.org/0000-0002-5880-0495

Lise Cardin:

Professeur d'Education Physique au département des Sciences du Sport à l'Université de Strasbourg. Elle a terminé son doctorat en 2019 avec une thèse sur l'histoire du handball en France de 1922 à 2004. Elle appartient au Laboratoire E3S (UR 1342, Strasbourg), et ses recherches portent principalement sur la diffusion des activités physiques. E-mail: cardin@unistra.fr https://orcid.org/0000-0002-8185-1979

Lisa Walther:

professeure agrégée d'EPS, actuellement en poste à Mayotte. Elle est titulaire du master MARAPS de l'Université de Strasbourg. E-mail: lisawalther@unistra.fr https://orcid.org/0000-0001-9871-9774

Rédacteur associé responsable :

Raquel Discini de Campos (UFU) E-mail: raqueldiscini@uol.com.br https://orcid.org/0000-0001-5031-3054

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