SciELO - Scientific Electronic Library Online

 
vol.26 número58Energía creativa a favor de la educación: tecnología y arte para la disrupción curricularDificultades de enseñanza y aprendizaje de la matemática en la enseñanza superior según la perspectiva de los docentes y discentes índice de autoresíndice de materiabúsqueda de artículos
Home Pagelista alfabética de revistas  

Servicios Personalizados

Revista

Articulo

Compartir


Série-Estudos

versión impresa ISSN 1414-5138versión On-line ISSN 2318-1982

Sér.-Estud. vol.26 no.58 Campo Grande set./dic 2021  Epub 28-Feb-2022

https://doi.org/10.20435/serie-estudos.v26i58.1620 

Dossiê: Currículo, resistência e criação com as artes

L’autre ment? D’une autre mode? Vérités et mensonges du pédagogique

O outro mente? Ou de outro modo? Verdades e mentiras do pedagógico

Does the other lie? Or in another way? Truths and lies of the pedagogical

¿El otro miente? ¿O de otro modo? Verdades y mentiras de lo pedagógico

1Université de Haute-Alsace (Mulhouse et Colmar) de Monlhouse, France.


Résumé

Ce texte met en perspective l’idée de l’AUTRE sous quatre dimensions de la pensée humaine: théologique, philosophique, psychologique et pédagogique. En ce qui concerne la première, nous ferons appel aux idées d’Erasme et de Luther sur le « libre arbitre». Pour la seconde, nous convoquerons les idées de Rousseau et de Kant sur l’« autonomie». Quant à la troisième, c’est Freud et son concept de « transfert» qui seront mis à contribution. Enfin, en ce qui a trait à la dimension pédagogique, nous nous appuierons sur Comenius, Pestalozzi, Steiner, Korczak et Freire pour aborder la relation entre pratiques et théories dans les contextes et les univers de référence. Pour penser cette dimension pédagogique, les auteurs des autres dimensions seront considérés comme « héritage» ou « testament», et nous nous poserons la question de savoir comment ils sont arrivés jusqu’à nous pour demeurer présents dans nos réflexions actuelles sur l’éducation.

Mots-clés: idées pédagogiques; libre arbitre; autonomie; transfert; relations pratiques-théories

Resumo

O texto questiona a ideia do OUTRO em quatro dimensões do pensar humano: a teológica, a filosófica, a psicológica e a pedagógica. Para a conversa acerca da primeira, são chamadas as ideias de Erasmo e de Lutero, quanto ao “livre-arbítrio”. Para a segunda, as ideias de Rousseau e de Kant, acerca da “autonomia”. Já quanto à terceira, Freud é chamado, quanto ao conceito de “transferência” (“transfert”). Por fim, quanto à dimensão pedagógica, são trazidos Comenius, Pestalozzi, Steiner, Korzack e Freire, para trabalhar a relação práticas/teorias, percebendo-as nos contextos e nos universos de referência. Para pensar a dimensão pedagógica, os autores das outras dimensões são percebidos como “herança” e “testamento” se questionando como chegam a nós e se estão presentes no que, hoje, pensamos em Educação.

Palavras-chave: ideias pedagógicas; livre-arbítrio; autonomia; “transfert” (transferência); relações práticas-teorias

Abstract

The text questions the idea of the OTHER in the four dimensions of the human thinking: the theological, the philosophical, the psychological, and the pedagogical. To talk around the first, the ideas of Erasmus and Luther about “free will” are used. To the second, the ideas of Rousseau and Kant, around “autonomy”. For the third, Freud is called, regarding his concept of “transference” (“transfert”). Lastly, concerning the pedagogical dimension, Comenius, Pestalozzi, Steiner, Korzack and Freire are used to work the practical/theory relations, perceiving them in the context and in the reference universes. To think the pedagogical dimension, the authors used in the other three dimensions are understood as “inheritance” and “testament”, questioning how they get to us and if they are present at what we consider as Education, today.

Keywords: pedagogical ideas; free will autonomy; “transfert” (transference); practical-theories relations

Resumen

El texto cuestiona la idea del OTRO en cuatro dimensiones del pensar humano: la teológica, la filosófica, la psicológica y la pedagógica. Para hablar sobre la primera, se toman las ideas de Erasmo y Lutero, en cuanto al “libre albedrío”. En la segunda, las ideas de Rousseau y Kant sobre la “autonomía”. Ya en la tercera, tomamos a Freud, en lo que se refiere al concepto de “transferencia” (“transfert”). Por último, en la dimensión pedagógica, se traen a Comenius, Pestalozzi, Steiner, Korzack y Freire para trabajar la relación prácticas/teorías, entendidas en los contextos y los universos de referencia. Para pensar la dimensión pedagógica, los autores de las otras dimensiones se perciben como “herencia” y “testamento” cuando se cuestiona cómo llegan a nosotros y si están presentes cuando hoy pensamos en la Educación.

Palabras clave: ideas pedagógicas; libre albedrío; autonomía; “transfert” (transferencia); relaciones prácticas-teorías

Homo sum et nihil humanum me alienum a puto (Térence).

[Je suis homme et rien de ce qui concerne l’humanité ne m’est étranger].

1 SUR QUELLES ÉPAULES SOMMES-NOUS JUCHÉS?

La thématique de « l’AUTRE dans l’histoire et la philosophie», résonne pour l’historien des idées pédagogiques avec l’invitation faites jadis par Bernard de Chartres à ses élèves: « [...] nous sommes comme des nains sur des épaules de géants. Nous voyons mieux et plus loin qu’eux, non que notre vue soit plus perçante ou notre taille plus élevée, mais parce que nous sommes portés et soulevés par leur stature gigantesque »2.

Invitation à prendre de la hauteur donc, sauf à risquer une vision rasante, atrophiée et singulière de l’AUTRE, sans rapport à la pensée universelle. Certes, mais encore faut-il s’installer sur les « bonnes» épaules, suffisamment hautes pour s’élever au-dessus des réseaux d’idées et de pratiques qui parcourent l’histoire des idées pédagogiques, suffisamment stables pour y asseoir les fondations d’un édifice théorique singulier, dans son rapport à l’héritage. Choisir c’est aussi renoncer… même si l’on peut, pour des besoins rhétoriques, se permettre de changer d’épaules afin d’adopter un angle de vue différent.

Nous avons donc choisi de bâtir le cadre théorique de notre réflexion autour de quatre entrées: une entrée théologique, une entrée philosophique, une entrée psychanalytique, une entrée pédagogique enfin. Pour ce qui concerne les deux premières, toute reconstitution historique exhaustive des débats sur le statut de l’AUTRE, disciple, élève, apprenant etc. qui traversent le champ de l’histoire des idées, est naturellement hors de propos.

Nous souhaitons par contre soumettre au conflit des interprétations, deux controverses fondamentales autour d’un concept voisin: celui de « libre arbitre» pour les théologiens, qui se sécularise en « autonomie» chez les philosophes. Quatre épaules (quatre « belvédères» comme disent les italiens) seront donc nécessaires: successivement celles d’Erasme de Rotterdam et de Martin Luther, puis celles de Jean-Jacques Rousseau et d’Emmanuel Kant.

La perspective psychanalytique qui s’ouvre ensuite à nous du haut des épaules de Sigmund Freud, nous semble propre à complexifier le modèle relationnel, tout en l’éclairant d’un jour nouveau, autour du concept central de transfert.

Finalement, quelques grandes figures pédagogiques, Comenius, Pestalozzi, en majeur, Steiner, Korzack et Freire, en mineur, viendront témoigner de l’invention de l’AUTRE dans l’espace dialectique théories / pratiques, en fonction des contextes et des univers culturels de référence.

Comme toute question essentielle pour démêler la complexité de la rencontre pédagogique, celle du rapport à l’autre procède, pour l’historien, de l’héritage. Mais qui dit héritage, dit testament. Or quelle est la nature du testament? Dans quel état parvient-il jusqu’à nous? Comment résonne-t-il avec nos approches contemporaines de la relation en éducation? Et, au final, serionsnous des héritiers sans testament?

2 CE QUE DIEU EN DIT

« Puisqu’il faut combattre des bêtes fauves ». C’est ainsi qu’Erasme de Rotterdam (1469-1536) qualifie lui-même, dans une lettre du 8 mars 1526, l’improbable bras de fer engagé à son corps défendant, contre Luther et ses disciples, autour de la question essentielle du libre arbitre.

Il est des points de repères chronologiques immuables dans l’histoire de l’humanité: 800, le couronnement de l’empereur Charlemagne, 1492 la découverte du Nouveau monde, 1969 Armstrong pose le pied sur la Lune. Celui du 28 mars 1519, date à laquelle Martin Luther (1483-1546), le réformateur, prend la plume pour proposer à Erasme l’humaniste, son aîné de 17 ans, de prendre la tête du mouvement qu’il a déclanché en Allemagne, est ignoré du plus grand nombre: « Nous avons les mêmes ennemis, et des amis communs… ». Du point de vue idéologique, ce premier contact génère pourtant un partage spatial et culturel de l’Europe éducative, dont nous vivons sans doute encore aujourd’hui les conséquences.

L’humanisme d’Erasme est porté par l’épanouissement de la religion chrétienne dans la tradition classique. Il mêle satisfaction esthétique et discipline intellectuelle. Cherchant à détacher les lettres antiques de leur tradition païenne, en y décelant le modèle de vertus saines et naturelles, il aspire dans le même mouvement à restaurer les sources de la révélation chrétienne dans leur pureté primitive. L’humaniste veut ainsi régénérer l’homme, en purifiant la religion et en sacralisant la culture.

Exégète et commentateur, Erasme ne goûte guère les controverses et ne recherche pas le combat, même lorsqu’il s’agit de prêcher aux autres la paix qu’il traduit dans ses oeuvres. Mais face au message d’harmonie de l’humanisme chrétien, venu De Rotterdam et de Bâle, se dresse celui révolutionnaire de l’évangélisme luthérien, venu de Wittenberg.

En 1519, Luther reste un moine marqué par une enfance pénible et une formation religieuse insuffisante, qui a trouvé dans Saint Paul l’amorce de ses théories de la liberté du chrétien devant la loi, et de son impuissance absolue à opérer son salut sans les secours gratuits de Dieu. Ces deux thèses essentielles sont celle de la justification par la foi, et celle de la liberté chrétienne.

Il n’y a aucun doute que la foi-confiance n’est pas le produit de nos oeuvres ou de nos mérites, mais qu’elle vient de Jésus-Christ et nous est promise et donnée gratuitement. (STROHL, 1931, p. 105).

[…] Le chrétien est un libre seigneur sur toute chose et n’est soumis à personne… Le chrétien est en toutes choses un serviteur et dépend de tout le monde. (LUTHER, 1996, p. 27).

Le destin terrestre de l’homme reste donc marqué, en définitive, par une impuissance radicale et, dans son désespoir, il se raccroche à une justification complètement extérieure: « Le salut donné par Dieu sans aucun mérite de notre part » (STROHL, 1931, p. 311).

La théorie de la justification par la foi résulte en partie de l’expérience personnelle de Luther, et en partie de ses méditations sur la Bible. La révélation subite de sa propre justification, vers la fin de 1518, et sa conséquence, la gratuité totale du salut, constituent le fameux « épisode de la Tour» qui marque un changement complet de l’équilibre intérieur du réformateur de Wittenberg, aussi bien qu’une consolidation de sa doctrine.

D’un point de vue plus politique, Luther a derrière lui la presque totalité de l’opinion allemande, très hostiles aux principautés ecclésiastiques et à la fiscalité excessive.

Erasme, qui ne désire rien de moins que l’exaspération du conflit, accuse, le 30 mai 1519 une fin de non recevoir. Pris entre un réformateur dont-il désapprouve les outrances, et la faction conservatrice de l’Eglise, il sait que toute neutralité est impossible. Mais même si l’univers d’Erasme paraît inconciliable avec l’enseignement doctrinal et la conduite politique de Luther, c’est avant tout la peur du schisme qu’il pressent qui le pousse à engager l’humanisme dans un combat qu’il sait perdu d’avance.

Le premier élément de la controverse paraît en 1524, sous la forme d’une courte mise au point appuyée sur les Ecritures : De liberio arbitrio. Erasme examine dans ce petit traité, si la volonté humaine est propre à se déterminer librement à agir et à penser face à la volonté Divine, ou si elle est objet d’un déterminisme ou d’un fatalisme, permettant d’affirmer, comme le fait Martin Luther, qu’elle est déterminée dans chacun de ses actes par des forces qu’elle ne maîtrise pas. Le libre arbitre s’oppose ainsi, en quelque sorte, à l’idée de destin.

Ce plaidoyer discret en faveur de l’humanisme chrétien, dont l’essor est irrémédiablement brisé par le schisme luthérien, est fondé sur le principe selon lequel, la thèse du déterminisme absolu (John Wyclif, saint Augustin), est de nature à conduire à l’impiété les hommes charnels. Erasme plaide, par son exégèse tout en s’appuyant sur les Pères de l’Eglise, pour l’existence d’une forme de libre arbitre, affirmant en particulier que :

  • – le chrétien tiraillé entre le poids de la concupiscence charnelle, et la sollicitation de l’esprit, triomphera avec l’aide de Dieu et produira de bonnes oeuvres ;

  • – la nature humaine ne cesse de collaborer à son salut ;

  • – l’homme n’est pas qu’un instrument entre les mains de Dieu, mais participe effectivement à son salut.

  • – les textes sur l’inclination de l’homme au péché, prouvent la nécessité de la grâce plus que l’inexistence du libre arbitre.

Erasme décrit ainsi le cadre d’une possible collaboration entre cet Infini qu’est Dieu et cet élément borné, mais non négligeable, qu’est l’homme: le concursus. Des trois « moments» qui déterminent nos actes, l’inspiration, la volition et l’exécution, Erasme reconnaît à la grâce l’entière responsabilité des deux extrêmes (inspiration et exécution), mais revendique pour le libre arbitre une part importante au second moment (volition). Selon lui, le tort principal des luthériens est de prétendre que toutes les oeuvres de l’homme sont autant de péchés, qu’il ne possède aucun mérite et qu’il est mû par une nécessité absolue. S’il faut certes reconnaître la plus grande part à la grâce, un espace doit permettre à l’homme d’exprimer son libre arbitre. Même si l’homme a tout reçu de Dieu, cela ne l’empêche pas d’être homme, et tout en s’estimant serviteur inutile, de porter dans sa conduite la dignité d’un agent libre et raisonnable, créé à l’image de Dieu. Au final, Erasme définit ainsi le libre arbitre: « Une force du vouloir humain grâce à laquelle l’homme puisse s’attacher aux choses qui concourent au salut ou s’en détourner».

En réponse à son De liberio arbitrio, Erasme reçoit de Luther un ultimatum en bonne et due forme en avril 1524: « contente toi d’assister en spectateur à notre tragédie […]. Je te prie seulement de ne pas publier d’ouvrages contre moi, comme de mon côté je me garderai d’en écrire contre toi » (MESNARD, 194, p. 43-4).

Le second élément de la controverse ne tarde par à paraître : De Servo Arbitrio (1525), texte clé pour appréhender la pensée religieuse luthérienne. L’oeuvre est d’envergure (300 pages environ), polémique et radicale. De liberio arbitrio y est ainsi qualifié de ridicule, impie, et Erasme d’ignorant et de médiocre exégète.

Luther pose la question du libre arbitre à la manière d’une équation logique : Ou il a véritablement le pouvoir de nous conduire au salut, et dans ce cas la grâce devient inutile, ou il ne possède pas ce pouvoir, et il ne s’agit plus que d’un mot vide avec lequel les sophistes abusent le pauvre monde. Il nie ainsi, par son exégèse, l’existence de toute forme de libre arbitre, affirmant en particulier que :

  • – il faut appeler les chrétiens à la conscience et à la révélation intérieure ;

  • – si la doctrine du libre arbitre était admise, s’en serait fini de la paix intérieure ;

  • – l’homme doit s’en remettre au libre arbitre divin.

Le dernier mot restera aux luthériens et la querelle autour du libre arbitre marque bien la fin de l’humanisme chrétien sous sa première forme. Et si l’on peut historiquement parler, à juste titre, d’un schisme de l’Eglise à partir de cette question, il est aussi légitime de penser à un schisme dans la conception du rapport à l’AUTRE, en particulier dans la relation éducative. Il n’est pas anodin en effet de s’adresser à un individu déterminé par un destin sur lequel il n’a pas de prise, ou à un alter ego susceptible d’autonomie, au moins dans le vouloir.

3 LUMIÈRES ET AUTO NOMOS

Le débat à distance entre le philosophe genevois et le maître de Königsberg, s’il semble plus apaisé (parce qu’indirect), n’a rien à envier sur le fond au bras de fer engagé par Erasme et Luther sur la question du libre arbitre.

Rousseau dans son Emile ou de l’éducation, prétend que l’éducation « […] tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands» (ROUSSEAU, 1966, p. 39), nous est donné par trois sortes de maîtres:

Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l’éducation des choses. (ROUSSEAU, 1966, p. 40).

Ainsi, pour être « bien élevé» est-il nécessaire que les leçons prodiguées par les trois maîtres de l’homme ne se contrarient pas. Toute cacophonie est synonyme d’errance et d’incohérence. Rousseau déduit paradoxalement de cette nécessaire cohérence, l’impossibilité du processus éducatif: enseigner à autrui est un métier impossible! Une lueur d’espoir cependant, si deux des maîtres acceptent de conformer leurs actes sur ceux du troisième

Or, de ces trois éducations différentes, celle de la nature ne dépend point de nous ; celle des choses n’en dépend qu’à certains égards. Celle des hommes est la seule dont nous soyons vraiment les maîtres ; encore ne le sommes-nous que par supposition ; car qui est-ce qui peut espérer de diriger entièrement les discours et les actions de tous ceux qui environnent un enfant? […] Tout ce qu’on peut faire à force de soins est d’approcher plus ou moins du but, mais il faut du bonheur pour l’atteindre. Quel est ce but? C’est celui même de la nature; cela vient d’être prouvé. Puisque le concours des trois éducations est nécessaire à leur perfection, c’est sur celle à laquelle nous ne pouvons rien qu’il faut diriger les deux autres […]. (ROUSSEAU, 1966, p. 41).

L’éducation sera donc naturelle ou ne sera pas. Accompagner le développement de l’homme naturel conduit au respect fondamental de son autonomie, de sa faculté à penser et à se penser par lui-même. L’éducation est affaire d’unité, de structuration de l’identité. L’individu en est la norme, le préceptorat la forme :

L’homme naturel est tout pour lui ; il est l’unité numérique, l’entier absolu, qui n’a de rapport qu’à lui-même ou à son semblable. L’homme civil n’est qu’une unité fractionnaire qui tient au dénominateur, et dont la valeur est dans son rapport avec l’entier, qui est le corps social. Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croit plus un, mais partie de l’unité, et ne soit plus sensible que dans le tout […] Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle ; il faut être toujours décidé sur le parti que l’on doit prendre, le prendre hautement, et le suivre toujours. J’attends qu’on me montre ce prodige pour savoir s’il est homme ou citoyen, ou comment il s’y prend pour être à la fois l’un et l’autre […] Ces deux mots de patrie et citoyen doivent être effacés des langues modernes. (ROUSSEAU, 1966, p. 39-44).

Les lunettes de Kant déforment sensiblement la vision de l’autonomie définie par Rousseau. La tutelle est ainsi donnée à voir comme le principal obstacle à une éducation selon les principes de la raison, comme un lien de dépendance entre les maîtres et ceux qu’ils dominent. Le problème est que le dominé s’attache luimême à ses chaînes et choisit délibérément de « dépendre» :

Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une conduite étrangère, restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle, et qui font qu’il est si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être sous tutelle. Si j’ai un livre qui a de l’entendement à ma place, un directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n’ai alors pas moi-même à fournir d’efforts. Il ne m’est pas nécessaire de penser dès lors que je peux payer; d’autres assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne. Et si la plus grande partie, et de loin, des hommes (et parmi eux le beau sexe tout entier) tient ce pas qui affranchit de la tutelle, outre qu’il est très pénible, pour très dangereux, c’est que s’y emploient ces tuteurs qui, dans leur extrême bienveillance, se chargent de les surveiller. Après avoir d’abord abêti leur bétail et avoir empêché avec sollicitude ces créatures paisibles d’oser faire un pas sans la roulette d’enfant où ils les avaient emprisonnés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace s’ils essaient de marcher seuls. Or ce danger n’est sans doute pas si grand, car après quelques chutes ils finiraient bien par apprendre à marcher; un tel exemple rend pourtant timide et dissuade d’ordinaire de toute autre tentative ultérieure. (KANT, 1964, p. 481-94).

S’affranchir de la tutelle, briser les chaînes de la dépendance, devenir capable de se servir de son entendement sans la conduite d’un tiers, tel doit être, selon Kant, le projet éducatif des Lumières. Courage ! Sapere aude ! Belle invitation à la libération des âmes et des consciences… Mais au-delà des apparences trompeuses, le miroir kantien nous renvoie–t-il le même reflet de l’autonomie que celui de Rousseau?

La question se corse lorsque se pose la question du comment (les moyens pour y parvenir), donc de l’éducation et du rapport à l’AUTRE.

Dans la relation préceptorale, qui domine le rêve pédagogique de l’Emile, Rousseau fait du maître un personnage rusé, tel le renard de la fable. Sous les apparences de l’autonomie se dessinent les contours d’une tutelle qui ne dit pas son nom, mais constitue le cadre référentiel de l’éducation selon la voie naturelle

Prenez une route opposée avec votre élève; qu’il croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même. Le pauvre enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connaît rien, n’est-il pas à votre merci? Ne disposez-vous pas, par rapport à lui, de tout ce qui l’environne? N’êtes-vous pas le maître de l’affecter comme il vous plaît? Ses travaux, ses jeux ses plaisirs, ses peines, tout n’est-il pas dans vos mains sans qu’il le sache? Sans doute il ne doit faire que ce qu’il veut ; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse; il ne doit pas faire un pas que vous ne l’ayez prévu, il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu’il va dire. (ROUSSEAU, 1966, p. 110-2).

Les mots ne soulèvent guère d’équivoques: assujettissement, apparence de liberté, capture de la volonté… tutelle qui ne dit pas son nom. Plus que de lien c’est de cadre dont-il s’agit ici. Etrange paradoxe que de vouloir développer l’autonomie dans la dépendance… Le caractère implicite du lien, sa continuelle élaboration, constituent au final le savoir faire pédagogique: comment rendre la tutelle indivisible et constructive pour l’AUTRE? Il reste que l’autonomie d’Emile se construit dans la dépendance, et penser par soi-même se mue en penser comme le maître veut que je pense. L’éducation de l’AUTRE se fonde sur un principe inégalitaire, et le moins que l’on puisse dire c’est que l’autonomie est ici « construite».

Voyons à présent comment Kant s’y retrouve. Sans surprise, là où Rousseau fait naître l’autonomie du lien indéfectible entre un maître singulier et son disciple, Kant mise sur la force du collectif :

Il est donc difficile à chaque homme pris individuellement de s’arracher à l’état de tutelle devenu pour ainsi dire une nature. Il y a même pris goût et il est pour le moment vraiment dans l’incapacité de se servir de son propre entendement parce qu’on ne l’a jamais laissé s’y essayer. […] Mais qu’un public s’éclaire lui-même est plus probable; cela est même presque inévitable pourvu qu’on lui accorde une certaine liberté. (KANT, 1964, p. 481-94).

Penser librement est un travail d’équipe. L’AUTRE est ici pensé comme un coéquipier, dont l’apport est nécessaire à ma propre émancipation. Le lien devient alors synonyme de force et de garantie d’indépendance. Certes, mais en apparence seulement… Car à l’arrière plan de la scène kantienne, les maîtres dictent le scénario dans les coulisses :

Car il se trouvera toujours quelques êtres pensant par eux-mêmes, même parmi les tuteurs en exercice du grand nombre, pour rejeter eux-mêmes le joug de l’état de tutelle et pour propager ensuite autour d’eux l’esprit d’une appréciation raisonnable de la propre valeur et de la vocation de tout homme à penser par soi-même. (KANT, 1964, p. 481-94).

La liberté a ses prophètes, et l’AUTRE participe d’une mise en scène de son autonomie, dont l’appropriation des finalités, « une vraie réforme du mode de penser», reste aléatoire. Kant homme de réforme (étymologiquement

« changement de forme»), joue sur la souplesse du cadre, de l’organisation sociétale; mais si la tutelle change de nature, si comme chez Rousseau, elle reste bienveillante par nature, elle demeure néanmoins. L’autonomie se construit dans la dépendance, la ruse comme le lien restent des agents doubles, à la fois support d’un développement autonome et vecteur d’une tutelle qui ne dit pas son nom.

4 LE PÉDAGOGUE EST (ET) LE TRANSFERT

La théorie psychanalytique suppose le sujet humain comme divisé, entre l’acteur d’une part, face sociale supposée « objective », et l’actant face arcane, subjective, lieu de fabrication des symptômes à l’insu de l’individu.

L’acteur incarne la surface sociale. L’actant, celui qui « par dessous » pousse à agir. Qui agit? Qui parle chez ce sujet divisé? L’insu symbolise ce lieu dans lequel se fabriquent les symptômes, la vérité de notre désir inconscient.

Le modèle didactique traditionnel met en scène un émetteur (l’enseignant) et un récepteur (l’élève, l’AUTRE), et présuppose que la qualité de la préparation de la rencontre et la pertinence des contenus proposés, permettra de vérifier en retour les acquis lors d’une évaluation (feed back). Ces présupposés délimitent les contours d’un modèle cyclique des apprentissages.

Un tel modèle privilégie l’énoncé, le message (« la saveur des savoirs »), en faisant l’impasse sur le sens et la signifiance. Dans le référentiel psychanalytique, les mots sont chargés d’affects (ils résonnent en nous), et le rapport de l’individu au discours est d’abord un rapport de type affectif. Chacun entend ce qui est énoncé à l’intérieur d’un système de références qui est le sien.

Les paroles entendues peuvent évoquer quelque chose de la vie refoulée et conflictuelle qui habite l’individu. La personne que je rencontre m’inspire quelque senti/ment. La sympathie ou l’antipathie que j’éprouve n’est pas forcément liée à elle, mais à ce qu’elle représente. Elle vient re/présenter (présenter à nouveau) quelqu’un qui peut être placé au niveau des images qui m’habitent dans des séries sympathiques ou antipathiques. Ce n’est pas nous que les autres aiment ou détestent, mais ce que nous représentons à leurs yeux. On parle alors d’un transfert, vécu comme le retour de quelque chose qui se situe au niveau de l’inconscient, ou comme une structure qui se réactualise lors de la rencontre. Sur le terrain pédagogique le transfert est un support. Il sous-tend tout le champ pédagogique. La psychanalyse affirme donc, que dans les actes que nous posons, il y a des facteurs inconscients.

Or le senti ment, on l’a vu, et ce mensonge soutient l’édifice pédagogique. Le maître a incontestablement besoin d’être aimé pour exister. Mais l’amour n’est évidemment pas une finalité, seulement une condition préalable (non suffisante) à l’accès aux savoirs (processus de « sublimation» freudien). Tout développement exagéré du transfert positif conduit, via la séduction, à la manipulation. Le manque d’amour induit le rejet du savoir sous prétexte de rejet du véhicule (le maître). L’excès de transfert négatif conduit à la dépression, à la culpabilité, aux résistances… Vision aristotélicienne du juste milieu…

Le défi pédagogique (impossible à relever selon Freud) reviendrait donc à transformer se senti ment, nécessaire médiateur de la rencontre inaugurale avec l’AUTRE, en fiance, à défaut de confiance, ouvrant la voie à un possible « co labeur » (collaboration) dans les apprentissages.

Finalement la psychanalyse semble inscrire le mensonge dans ses fondements, à travers l’image renvoyée par l’AUTRE (effet de transfert).

5 ETRE PÉDAGOGUE OU SAVOIR SE METTRE EN QUATRE

Pédagogues des Lumières, Comenius (1592-1670) et Pestalozzi (1746-1827) affirment ensemble la place prépondérante de l’homme au centre de la création. Ils insistent sur le devoir sacré des éducateurs auxquels revient la lourde tâche d’aider l’enfant à préparer son accès à la vie dans de bonnes conditions, et sur le caractère urgent de la réforme d’un système éducatif défaillant qui ne permet pas « d’apprendre tout à tous». Ils souhaitent substituer à l’enseignement traditionnel scolastique, l’école de la vie : l’enseignement doit rester concret, pour permettre à l’élève de toujours juger avec ses propres ressources sensitives et intellectuelles, sans avoir besoin des yeux des autres.

C’est principalement dans les 4 premiers chapitres de sa Didactica Magna (Grande Didactique) parue en 1657 que Comenius développe les fondements idéologiques de sa pédagogie. Le fait de concevoir le monde comme une école, conduit à rechercher sa pénétration dans toutes ses particularités. Cette quête de vérité est facilitée par la bivalence de l’individu à la fois objet et sujet du monde : il est objet d’un univers dont il fait partie intégrante et sujet agissant pour en comprendre les mécanismes et les interpréter. Sur ces bases théoriques, Comenius attribue au maître et à l’élève leurs rôles respectifs dans l’oeuvre éducative : l’enfant n’est pas considéré comme un récipient vide dans lequel le maître va devoir amasser des connaissances, puisqu’il possède en lui les principes fondamentaux qui vont lui permettre de les acquérir. Un équilibre doit donc s’installer entre les deux parties, le savant n’écrase plus un disciple fait à son image. Les bonnes relations entre le maître et son élève conduisent à une intégration réussie de celui-ci dans la classe d’abord, puis dans la société. Le contrat tacite entre les deux parties leur impose de chercher ensemble le meilleur chemin possible à parcourir pour que l’élève rejoigne le maître dans sa compréhension du monde.

A l’ouverture du retable coménien, trois tableaux fondateurs sont ainsi donnés à voir. Le panneau central pose les fondements éthiques du rapport à l’AUTRE, les panneaux latéraux précisent les contours d’une action fondée sur une éthique de conviction d’une part, et les voies de la nature d’autre part :

  1. Des philosophes ont défini l’homme comme « microcosme», c’est-à-dire résumé de l’univers, comprenant en réduction toutes les choses visibles dans le « macrocosme» du monde. On peut donc justement comparer l’esprit de l’homme qui vient au monde à une semence, un noyau où la forme de l’herbe ou de l’arbre n’existe pas en acte, mais existe cependant en puissance. On le voit quand le noyau mis en terre donne racines et pousses qui croissent en branches et rameaux, se couvrent de feuilles et s’ornent de fruits (COMENIUS, 1992, p. 61).

  2. Il n’est donc nul besoin d’apporter à l’homme, du dehors, des qualités dont il contient le germe. Il suffit de faire pousser, de laisser se développer ces qualités, et déployer leur nature. Nous suivons Pythagore lorsqu’il dit que la connaissance de toute chose est naturelle à l’homme. Si bien qu’un enfant de sept ans à qui on poserait directement des questions sur n’importe quelle question philosophique, pourrait répondre à chacune car la lumière de la raison est à elle seule la forme et la norme suffisantes de toute chose. Cependant, depuis sa chute, l’homme ne parvient plus seul à sortir de la situation obscure et embrouillée où il se débat. Et ceux qui devraient l’aider ne font que l’y enfoncer davantage (COMENIUS, 1992, p. 61).

  3. Et, là où les maîtres et les élèves ne manquent pas, les livres ne peuvent pas non plus faire défaut; les livres divins, bien entendu! Car chacun a partout et toujours devant soi le grand livre de la Création, le monde; il faut, par conséquent, qu’on apprenne à y lire! Chacun a aussi un livre plus petit en lui-même, c’est-à-dire son esprit qui s’ouvre volontiers grâce à toutes les vérités innées, à tous les désirs innés et à toutes les impulsions innées; que chacun apprenne donc à feuilleter ce livre! Et le troisième livre divin, le livre des révélations de Dieu, est facilement accessible à chaque peuple; car il est traduit en langues vivantes ou peut l’être. Enfin d’autres bons livres ne peuvent non plus faire défaut, à condition qu’on s’applique à les composer.

L’image de la relation à l’AUTRE, reflétée par le triptyque de Comenius, nous renvoie au débat théologique précédemment évoqué sur la question du libre arbitre. Le savoir potentiel, est un don de la grâce; l’autonomie relative une conséquence du libre arbitre. La méthode consiste en une découverte autonome et progressive des dons de la grâce divine, par la maîtrise progressive des savoirs. Et si elle présente les apparences de la liberté, elle reste néanmoins fondée sur la reconnaissance d’une suprême tutelle, la vie sur terre n’étant perçue que comme propédeutique à l’université céleste !

Pestalozzi se coltine à son tour la question de l’autonomie dans la relation à l’AUTRE. Dans la perspective de l’auteur de « La Méthode», le développement autonome de la pensée de l’enfant trouve ses racines dans la relation d’amour fondamentale entre mère et enfant. L’amour reçu et partagé permet de « s’aimer soi-même», avant d’accéder, par l’école, à une pensée autonome, par la pratique d’activités autonomes. La mère incarne la grâce. L’autonomie pestalozzienne estelle pour autant synonyme de liberté?

C’est dans son Journal sur l’éducation de Jakob que le pédagogue suisse nous semble toucher au plus près du triptyque libre arbitre, autonomie, liberté. Dans la continuité de Comenius le disciple de Rousseau nous entraîne à sa suite sur les chemins du monde :

C’est dans la libre salle de cours de la nature entière que tu conduiras ton fils par la main : tu l’y instruiras par les montagnes et les vallées. C’est dans cette libre salle de classe que son oreille s’ouvrira aux intentions de ton enseignement. La difficulté des langues et de la géométrie sera remplacée pour lui par la liberté; mais que dans ces heures de liberté la nature enseigne plutôt que toi. Si, pendant ces heures, tu lui apprends quelque chose d’autre, que la joie que te procure la poursuite de ton art ne te conduise pas, s’il arrive que des objets de la nature le détournent de ton enseignement, à ne pas le laisser tout entier à la pleine jouissance de la nature qui s’impose à lui. Il doit ressentir, pleinement ressentir que c’est la nature qui enseigne ici, et que tu ne fais que glisser délicatement à ses côtés en l’accompagnant de ton art; lorsque l’oiseau gazouille de façon charmante et qu’un nouvel insecte grimpe le long de la feuille, interromps alors ton exercice de langue : l’oiseau enseigne, ainsi que l’insecte, plus et mieux. Tais-toi. (SOËTARD, 1995, p. 67).

Mais là où Rousseau fait de la ruse une vertu pédagogique cardinale, Pestalozzi le pragmatique préfère la réintroduction de la contrainte, alternant ainsi entre éthique de conviction et éthique de responsabilité :

Mais dans les quelques rares heures où doit être formée l’aptitude nécessaire à se travailler l’un l’autre, alors ne te laisse pas troubler. Que ces heures soient peu nombreuses, mais que rien ne puisse les remplacer. Qu’au contraire le sérieux règne totalement, et veille, autant que tu le peux, à ce qu’aucun événement attirant ne vienne l’interrompre ou le distraire pendant ces heures, que tout ce qui se présente soit écarté définitivement et irrémédiablement. Que ne se développe pas la plus faible lueur d’espérance de pouvoir se soustraire à cette nécessité. Cet espoir lui ôterait toute tranquillité, tandis que la pleine conviction qu’on ne peut échapper fait oublier jusqu’au désir même d’échapper. C’est ici que la nature et le penchant à la liberté doivent être absolument contrariés. […]. (SOËTARD, 1995, p. 105).

Pestalozzi tutoie la frontière entre liberté, obéissance et devoir social. La préparation de l’enfant à ses devoirs sociaux exige que sa liberté soit contrariée « complètement et sans espoir». Pas de demi-mesure donc. L’octroi de la liberté est le fait du maître, cet agent double: « la liberté est un bien et l’obéissance l’est également». Le juste milieu encore… Le bon maître est persuadé du bienfait de la liberté (la nature enseigne mieux que les hommes), tout autant que de la nécessité d’habituer l’AUTRE à l’obéissance, au milieu d’une éducation libre… On mesure ici le paradoxe de la position pédagogique. Pestalozzi n’est pas dupe, et sait que toute contrainte produit la méfiance, alors que l’accompagnement pédagogique se fonde sur la confiance !

Notre petit florilège de pédagogues aurait pu nous conduire à examiner encore la pensée de Paolo Freire, qui, en prétendant que « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde » (FREIRE, 1974), semble répondre en écho à Comenius et Pestalozzi, ou encore celle de Rudolph Steiner, dont la finalité du projet anthroposophiqueest de donner sens et but à la vie de l’homme occidental: « l’esprit de l’homme doit toujours se réincarner, cette loi veut qu’il transporte les fruits d’une vie précédente, dans la suivante[…] L’esprit qui se réincarne ramène son destin de ses incarnations précédentes[…] Ce destin , qui est l’oeuvre propre de l’homme, c’est le karma».

En éduquant l’AUTRE, il est possible, selon Steiner, de régulariser, de modifier son karma par l’introduction à la connaissance du monde suprasensible. Celle de Janus Korczak, enfin, qui en déclarant que « l’enfant ne devient pas un homme, il en est déjà un», bouscule toute une série de représentations sur l’infériorité supposée, la nature différente et l’immaturité de l’enfance: « l’enfant est comme un étranger dans une ville inconnue dont il ne connaît ni la langue, ni les coutumes, ni la direction des rues […] Souvent, il préfère se débrouiller seul, mais si c’est trop compliqué, il demande conseil. Il a alors besoin d’un informateur poli» (KORCZAK, 1929, p. 93).

6 EPILOGUE

Il serait sans doute hardi de tirer de ce rapide tour d’horizon du rapport à l’AUTRE, des conclusions par trop hâtives. Il n’en reste pas moins que la trilogie libre arbitre, autonomie, liberté pose la relation, que celle-ci soit pensée par les théologiens, les philosophes, les psychanalystes ou les pédagogues. D’un point de vue méthodologique, la tension entre vérité et mensonge semble structurer le champ de la relation. Mais si l’AUTRE ment, comment dire la vérité à l’AUTRE?

2Citation de Bernard de Chartres (1120) à ses élèves (apudRICHÉ; VERGER, 2006).

REFERÊNCIAS

COMENIUS, J.-A. La grande didactique. Paris: Klincksieck, 1992. [ Links ]

ERASME, N. Essai sur le libre arbitre. Alger, Chaix, 1945. [ Links ]

FREIRE, P. La pédagogie des opprimés. Paris, La Découverte, 1974 . [ Links ]

FREUD, S. Cinq psychanalyses. Paris: PUF, 1993. [ Links ]

KANT, E. Beantwortung der frage: was it Aufklarung. Berlinische Monatschrift, Frankfurt, n. 4, Weinschedel, Insel, Tome VI, p. 481-94, 1964. [ Links ]

KORCZAK, J. Le droit de l’enfant au respect. Paris: R. Laffont, 1979. [ Links ]

LUTHER, M. De la liberté du chrétien. Paris: Points, 1996. [ Links ]

LUTHER, M. Du serf arbitre. Paris: Gallimard, Folio essais, 2001. [ Links ]

MESNARD, P. Introduction à l’essai sur le libre arbitre. Alger: Chaix, 1945. [ Links ]

RICHÉ, P.; VERGER, J. Des nains sur les épaules de géants: maitres et élèves au Moyen age. Paris: Tallander, 2006. [ Links ]

ROUSSEAU, J. J. Émile ou de l’éducation. Paris: Granier-Flammarion, 1966. [ Links ]

SOËTARD, M. Journal de Pestalozzi sur l’éducation de son fils. In: Etudes de Jean-Jacques Rousseau, n. 6. Montmorency: Musée Jean-Jacques Rousseau, 1995. [ Links ]

STEINER, R. Philosophie de la liberté. Paris, PUF, 1923. [ Links ]

STROHL, H. La substance de l´evangile selon Luther: témoignages choisis, traduits et annotés par Henri Strohl doyen de la faculté de théologie protestante de Strasbourg. Paris: La Cause, 1931. [ Links ]

Received: October 18, 2021; Accepted: November 22, 2021

Loïc Chalmel: doctorat en Sciences et Théories de L’Éducation - Université de Sciences Humaines de Strasbourg (1995). Professeur à l’Université de Haute-Alsace (Mulhouseet Colmar) – retraité. E-mail:loic.chalmel@uha.fr, Orcid:https://orcid.org/0000-0003-4449-608X

Creative Commons License Este é um artigo publicado em acesso aberto (Open Access) sob a licença Creative Commons Attribution, que permite uso, distribuição e reprodução em qualquer meio, sem restrições desde que o trabalho original seja corretamente citado